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— Nous sommes des étrangers dans votre pays. Si chez vous les étrangers sont mis en cage, nous préférerons peut-être trouver un engagement ailleurs.

Un léger tressaillement d’émotion – amusement ou mépris ? – parcourut les narines et le tour de la bouche du Métamorphe.

— Pourquoi redouteriez-vous cela ? Êtes-vous des criminels ?

— Certainement pas.

— Alors vous ne serez pas mis en cage. Allez présenter vos hommages à la Danipiur et si vous avez d’autres questions, posez-les-lui. Des tâches importantes m’appellent.

Valentin tourna la tête vers Lisamon Hultin qui haussa les épaules. Le Métamorphe s’éloigna. Il n’y avait rien d’autre à faire que de retourner à la roulotte.

Les porteurs soulevaient les cages et les attachaient à des perches posées sur leurs épaules. De la plus grande cage s’éleva un rugissement de colère et de désespoir.

13

Ilirivoyne n’était ni une ville ni un village, mais quelque chose d’intermédiaire, une morne concentration d’habitations en osier ou en bois léger, basses et d’aspect provisoire, disposées le long des rues inégales et non pavées qui semblaient s’étirer sur des distances considérables à l’intérieur de la forêt. L’ensemble donnait l’impression d’une installation de fortune, comme si, quelques années auparavant, l’agglomération avait pu être située ailleurs et si, dans quelques années, Ilirivoyne pouvait se trouver dans une tout autre région. Le fait qu’il s’agissait de l’époque du festival à Ilirivoyne était apparemment signalé par des sortes de bâtons fétiches fichés en terre devant presque chaque maison, des piquets polis auxquels étaient attachés des rubans de couleur et des bandes de fourrure. Dans de nombreuses rues, des estrades avaient également été dressées, qui devaient faire office de scènes, à moins, se dit Valentin avec inquiétude, qu’elles ne soient utilisées pour la célébration de rites tribaux autrement macabres.

Trouver la Maison de ville et la Danipiur ne fut pas difficile. La rue principale débouchait sur une grande place bordée sur trois côtés par de petites constructions au toit en forme de dôme, tressé et ornementé, et sur le quatrième côté par un bâtiment plus important, le premier édifice à trois niveaux qu’ils aient vu depuis leur arrivée à Ilirivoyne, avec, sur le devant, un jardin touffu d’arbrisseaux gris et blanc à tige épaisse, taillés en boule. Zalzan Kavol arrêta la roulotte sur un dégagement à proximité de la place.

— Venez avec moi, dit le Skandar à Deliamber. Nous allons voir ce que nous pouvons arranger.

Ils restèrent un long moment à l’intérieur de l’édifice municipal. Quand ils en ressortirent, une femelle métamorphe de belle prestance et à l’allure autoritaire – sans doute la Danipiur – les accompagnait et ils restèrent tous les trois en conversation animée dans le jardin. La Danipiur montrait quelque chose du doigt ; Zalzan Kavol hochait et secouait alternativement la tête ; Autifon Deliamber, qui faisait figure de nain entre ces deux êtres de haute taille, multipliait avec diplomatie les gestes de conciliation. Finalement, Zalzan Kavol et le Vroon revinrent à la roulotte. L’humeur du Skandar semblait s’être sensiblement améliorée.

— Nous sommes arrivés juste à temps, annonça-t-il. Le festival a déjà commencé. Demain soir a lieu une des fêtes les plus importantes.

— Serons-nous payés ? demanda Sleet.

— Il semblerait que oui, répondit Zalzan Kavol. Mais nous ne serons ni nourris ni logés, car il n’y a pas d’auberge à Ilirivoyne. Il y a également certains quartiers déterminés de la ville dont l’accès nous est interdit. J’ai déjà reçu des accueils plus chaleureux dans certains endroits, mais je suppose qu’il m’est aussi arrivé de temps à autre d’être accueilli plus froidement.

Ils traînèrent derrière eux une ribambelle d’enfants métamorphes graves et taciturnes pendant qu’ils menaient la roulotte de la place à un endroit légèrement en retrait où ils pouvaient la garer. En fin d’après-midi, ils firent une séance d’entraînement, et bien que Lisamon Hultin eût fait de son mieux pour éloigner les jeunes Métamorphes de la scène et les tenir à distance, il était impossible de les empêcher de revenir furtivement, sortant d’entre les arbres ou surgissant au milieu des buissons pour dévorer des yeux les jongleurs. Valentin trouvait fort énervant de travailler devant eux et il n’était visiblement pas le seul, car Sleet se montrait tendu et d’une maladresse insolite, jusqu’à Zalzan Kavol, le maître entre les maîtres, qui laissa tomber une massue pour la première fois depuis que Valentin le connaissait. Le silence des enfants était troublant – ils restaient immobiles comme des statues aux yeux morts, un public distant qui vidait les jongleurs de leur énergie sans rien leur apporter en contrepartie – mais plus déconcertante encore était leur manie de se métamorphoser sans cesse, de passer d’une forme à l’autre avec la désinvolture qu’un jeune humain mettait à sucer son pouce. C’était apparemment le mimétisme qui les intéressait, car les formes qu’ils prenaient étaient des imitations grossières et à demi reconnaissable des jongleurs, comme l’avaient fait précédemment les Métamorphes plus âgés à la Fontaine de Piurifayne. Les enfants étaient incapables de conserver longtemps leurs formes – ils ne semblaient guère doués – mais dans les intervalles entre les exercices, Valentin les voyait tantôt se faire pousser des cheveux dorés pour lui-même, blancs pour Sleet ou bruns pour Carabella, tantôt se transformer en êtres velus dotés de plusieurs bras comme les Skandars, ou bien essayer d’imiter des traits ou des expressions de visages, le tout de manière déformée et peu flatteuse.

Les voyageurs passèrent la nuit entassés dans la roulotte et dormirent serrés les uns contre les autres. Ils eurent l’impression que toute la nuit, la pluie tombait sans interruption. Valentin eut un sommeil haché ; il s’assoupissait parfois, mais il passa le plus clair de la nuit à écouter les ronflements impétueux de Lisamon Hultin et les sons encore plus grotesques émis par les Skandars. À un moment, il dut s’endormir vraiment, car il fit un rêve, flou et incohérent, dans lequel il vit des Métamorphes accompagnant un cortège de prisonniers, des frères de la forêt et l’étranger à la peau bleue, le long de la route de la Fontaine de Piurifayne dont la haute gerbe jaillissante surplombait le monde comme une colossale montagne blanche. Et de nouveau, à l’approche du matin, il dormit profondément pendant quelque temps jusqu’à ce que Sleet le tire du sommeil en lui secouant l’épaule un peu avant l’aube.

Valentin se dressa sur son séant en se frottant les yeux.

— Qu’y a-t-il ?

— Sortons. J’ai à te parler.

— Mais il fait encore nuit !

— Ça ne fait rien. Viens !

Valentin bâilla, s’étira et se leva en faisant craquer ses articulations. Sleet et lui enjambèrent précautionneusement les corps endormis de Carabella et de Shanamir, contournèrent prudemment un des Skandars et descendirent les marches de la roulotte. La pluie avait cessé, mais le petit matin était obscur et froid, et un brouillard déplaisant s’élevait du sol.

— J’ai reçu un message, dit Sleet. De la Dame, je pense.

— Quel genre ?

— À propos de l’être à la peau bleue dans la cage, dont ils prétendent qu’il est un criminel et qu’il doit être puni. Dans mon rêve, il est venu me voir et m’a dit qu’il n’avait rien d’un criminel, qu’il était seulement un voyageur qui avait commis l’erreur de pénétrer dans le territoire métamorphe et qu’il avait été capturé parce que leur coutume est de sacrifier un étranger à la Fontaine de Piurifayne pendant la période du festival. Et j’ai vu comment ils procèdent. La victime, pieds et poings liés, est abandonnée dans la cuvette du geyser et, quand l’éruption se produit, elle est projetée très haut dans le ciel.