Выбрать главу

Valentin, que le sommeil fuyait, repassa une centaine de fois dans son esprit la pantomime métamorphe. Certes, cela avait une qualité onirique, mais aucun rêve n’avait cette immédiateté. Il avait été assez près pour toucher son sosie métamorphe ; il avait vu, sans que le doute soit permis, les changements de traits, le passage du blond au brun, et du brun au blond. Les Métamorphes connaissaient la vérité, beaucoup mieux que lui-même. Étaient-ils capables de lire dans les âmes, comme le faisait parfois Deliamber ? Et qu’avaient-ils ressenti en sachant qu’ils avaient parmi eux un Coronal déchu ? Aucune crainte, assurément : les Coronals ne représentaient rien pour eux, tout au plus des symboles de leur propre défaite des milliers d’années plus tôt. Il avait dû leur paraître follement drôle de voir un successeur de lord Stiamot lancer des massues pour leur festival et les amuser avec des tours et des danses ridicules, loin des splendeurs du Mont du Château, un Coronal dans la boue de leur village de bois. Que tout cela est étrange, se dit-il. Que tout cela ressemble à un rêve…

15

À l’approche de l’aube, d’énormes montagnes aux sommets arrondis commencèrent à devenir visibles, séparées par un défilé. Avendroyne ne devait pas être loin. Zalzan Kavol, avec une déférence dont il n’avait jamais fait montre jusqu’alors, vint à l’arrière pour consulter Valentin sur la stratégie à adopter. Rester cachés dans les bois toute la journée et attendre la tombée de la nuit pour essayer de traverser Avendroyne ? Ou bien tenter de forcer le passage de jour ?

Valentin n’avait plus l’habitude du commandement. Il réfléchit quelques instants, essayant de se donner un air avisé et clairvoyant.

— Si nous avançons de jour, dit-il finalement, nous nous ferons remarquer. D’autre part, si nous perdons toute la journée à rester cachés ici, nous leur laissons plus de temps pour nous tendre des pièges.

— Ce soir, fit remarquer Sleet, est encore un soir de fête à Ilirivoyne, et il en est probablement de même ici. Nous pourrions essayer de nous faufiler en profitant des réjouissances. Mais pendant la journée nous n’avons aucune chance.

— Je suis d’accord avec lui, dit Lisamon Hultin.

— Carabella ? demanda Valentin en tournant la tête.

— Si nous attendons, nous laissons à ceux d’Ilirivoyne le temps de nous rattraper. À mon avis, il faut continuer.

— Deliamber ?

Le Vroon mit délicatement en contact l’extrémité de ses tentacules.

— En avant. Dépassons Avendroyne et obliquons en direction de Verf. Il y aura sûrement à partir d’Avendroyne une seconde route menant à la Fontaine.

— Oui, dit Valentin.

Il se tourna vers Zalzan Kavol.

— Je partage l’avis de Deliamber et Carabella. Quelle est votre opinion ?

— Ce que je voudrais, répondit le Skandar, le visage sombre, c’est que le sorcier fasse voler cette roulotte et qu’elle nous transporte pendant la nuit jusqu’à Ni-moya. À défaut de cela, je propose de continuer sans perdre de temps.

— Ainsi ferons-nous, dit Valentin, comme s’il avait pris la décision tout seul. Et quand nous approcherons d’Avendroyne, nous enverrons des éclaireurs pour trouver une route qui contourne la ville.

Ils poursuivirent leur chemin, redoublant d’attention alors que l’aube commençait à poindre. La pluie tombait toujours par intermittence, mais lorsqu’elle reprit, il ne s’agissait plus d’un petit crachin, mais d’une averse presque tropicale dont les grosses gouttes s’écrasaient avec un bruit fracassant sur le toit de la roulotte. Pour Valentin, cette pluie était la bienvenue : peut-être obligerait-elle les Métamorphes à rester à l’abri pendant leur traversée de la ville. Ils approchaient des faubourgs, maintenant, et des huttes en osier se disséminaient au bord de la route qui bifurquait de plus en plus souvent. Deliamber devinait la bonne direction à chaque embranchement jusqu’à ce que finalement ils aient acquis la certitude d’être à proximité d’Avendroyne. Lisamon Hultin et Sleet partirent en éclaireurs et revinrent une heure plus tard, porteurs de bonnes nouvelles : l’une des deux routes qui s’ouvraient devant eux menait au cœur d’Avendroyne où les préparatifs du festival battaient leur plein, et l’autre obliquait vers le nord-est, contournant toute la ville et traversant une zone de cultures sur les pentes de la montagne.

Ils prirent la route du nord-est et dépassèrent sans encombre la région d’Avendroyne.

En fin d’après-midi, ils sortirent du défilé et s’engagèrent dans une vaste plaine couverte de forêts, battue par la pluie et sombre, qui marquait la limite orientale du territoire métamorphe. Zalzan Kavol conduisait la roulotte avec une sorte d’acharnement, ne faisant halte que lorsque Shanamir insistait pour que les montures prennent un peu de repos et de fourrage. Elles avaient beau être virtuellement infatigables et d’origine synthétique, elles n’en étaient pas moins vivantes et avaient besoin, de temps à autre, de se reposer. Le Skandar cédait à contrecœur ; il semblait possédé par une nécessité désespérée de mettre la plus grande distance possible entre Piurifayne et lui.

À l’heure du crépuscule, alors qu’ils traversaient un terrain raboteux et accidenté, les ennuis commencèrent soudain.

Valentin voyageait dans le compartiment central en compagnie de Deliamber et de Carabella ; la plupart des autres dormaient, et Heitrag Kavol et Gibor Haern occupaient le siège du conducteur. De l’avant leur parvint un long craquement sinistre et le bruit retentissant d’un écroulement, et quelques secondes plus tard, la roulotte s’arrêtait en cahotant.

— Un arbre abattu par la tempête ! cria Heitrag Kavol. La route est bloquée devant nous !

Zalzan Kavol se répandit en jurons et tira sur la manche de Lisamon Hultin pour la réveiller. Devant la roulotte, Valentin ne voyait qu’une masse verte, toute la cime de quelque géant de la forêt qui obstruait la route. Cela risquait de prendre des heures, voire des jours pour la dégager. Les Skandars, épaulant leurs lanceurs d’énergie, sortirent pour constater les dégâts. Valentin les suivit. La nuit tombait rapidement. Le vent soufflait par rafales qui leur projetaient presque horizontalement la pluie sur le visage.

— Mettons-nous au travail, grommela Zalzan Kavol en secouant la tête de contrariété. Thelkar ! Tu commences à couper à partir d’ici ! Rovorn ! Tu t’occupes des grosses branches latérales ! Erfon…

— Il serait peut-être plus rapide, suggéra Valentin, de faire demi-tour et de se mettre à la recherche d’un autre embranchement de la route.

La suggestion laissa Zalzan Kavol tout pantois, comme si, en cent ans de vie, le Skandar n’eût pas été capable de concevoir cette idée. Il la rumina pendant un moment.

— Oui, fit-il finalement. Il y a du vrai là-dedans. Si nous…

Et un second arbre, encore plus imposant que le premier, s’abattit à cent mètres derrière eux. La roulotte était prise au piège.

Valentin fut le premier à comprendre ce qui devait être en train de se passer.

— Tout le monde dans la roulotte ! C’est une embuscade ! Il se précipita vers la porte restée ouverte. Trop tard. De la forêt qui s’assombrissait, jaillit un flot de Métamorphes, une vingtaine ou plus, qui surgirent silencieusement au milieu d’eux. Zalzan Kavol laissa échapper un terrible cri de rage et ouvrit le feu avec son lanceur d’énergie ; la langue de feu projetait une étrange lueur lavande sur le bas-côté de la route et deux Métamorphes tombèrent, le corps hideusement calciné. Mais au même instant, Heitrag Kavol émit un gargouillement étranglé et s’écroula, une lame lui ayant transpercé le cou, et Thelkar tomba aussi, les mains crispées sur un autre poignard fiché dans sa poitrine.