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Soudain l’arrière de la roulotte s’enflamma. Ceux qui étaient à l’intérieur sortirent en se bousculant, Lisamon Hultin ouvrant la marche en brandissant son sabre à vibrations. Valentin se trouva attaqué par un Métamorphe ayant revêtu son propre visage. Il repoussa la créature d’un coup de pied, pivota sur ses talons et en pourfendit un second à l’aide du couteau qui était sa seule arme. Qu’il était étrange de blesser quelqu’un. Avec une singulière fascination, il observa le liquide bronze qui commençait à couler. Mais le Métamorphe Valentin revint à l’attaque et lança ses griffes en avant, cherchant les yeux. Valentin esquiva, se retourna et porta un coup de couteau. La lame s’enfonça profondément et le Métamorphe recula en titubant, se tenant la poitrine. Valentin se mit à trembler, mais cela ne dura qu’un instant. Il se tourna pour affronter le suivant.

Le fait de se battre et de tuer était une expérience nouvelle pour lui, qui lui serrait le cœur. Mais faire preuve de clémence maintenant équivalait à s’exposer à une mort rapide. Il frappait d’estoc et de taille. Il entendit, venant de derrière lui, la voix de Carabella qui lui demandait :

— Comment t’en sors-tu ?

— Je… tiens… bon… grogna-t-il en réponse.

Zalzan Kavol, voyant sa superbe roulotte en feu, saisit en hurlant un Métamorphe par la taille et le précipita dans le brasier ; deux autres se ruèrent sur lui, mais un autre Skandar les arrêta au passage et les cassa comme des fétus de paille avec ses deux paires de mains. Dans cette furieuse mêlée, Valentin aperçut Carabella luttant corps à corps avec un Métamorphe et le plaquant au sol grâce à la puissance des muscles de ses avant-bras que des années de jonglerie avaient développés. Et Sleet, férocement vindicatif, en écrasait un autre à coups de botte avec une joie sauvage. Mais la roulotte était la proie des flammes. La roulotte brûlait. Les bois étaient remplis de Métamorphes, la nuit tombait rapidement, il pleuvait à verse, et la roulotte brûlait.

Comme la chaleur du feu augmentait, le centre de la bataille se déplaça du bas-côté à la forêt, et la confusion atteignit son comble, car dans l’obscurité il était difficile de distinguer les amis des ennemis. Les perpétuels changements de formes des Métamorphes ne faisaient que compliquer les choses, bien que dans la frénésie du combat ils fussent incapables de conserver longtemps leur nouvelle apparence, et ce qui semblait être Sleet, Shanamir ou Zalzan Kavol reprenait rapidement sa forme première…

Valentin se battait avec sauvagerie. Il était ruisselant de sa propre sueur et du sang des Métamorphes, et son cœur lui martelait douloureusement la poitrine à cause de sa débauche d’efforts. Essoufflé, haletant, sans un instant de tranquillité, il se frayait un chemin à travers les rangs ennemis avec une ardeur qui l’étonnait lui-même, sans jamais s’arrêter pour prendre une seconde de repos. De taille et d’estoc. D’estoc et de taille. Les Métamorphes n’avaient que des armes primitives, et bien qu’ils aient été des douzaines, leurs rangs s’éclaircissaient rapidement. Lisamon Hultin faisait un carnage avec son sabre à vibrations qu’elle brandissait en le tenant à deux mains, élaguant les arbres autant qu’elle sectionnait les membres des Métamorphes. Les Skandars survivants, tirant furieusement tout autour d’eux, avaient mis le feu à une demi-douzaine d’arbres et jonché le sol de corps de Métamorphes. Sleet estropiait et massacrait à tour de bras comme s’il s’imaginait pouvoir en quelques folles minutes se venger de toute la douleur qu’il avait éprouvée et dont il rendait les Métamorphes responsables. Khun et Vinorkis se battaient également en déployant une énergie farouche. Et aussi brusquement qu’elle avait commencé, l’embuscade fut terminée.

À la lumière des arbres en flammes, Valentin voyait le sol couvert de Métamorphes. Deux Skandars morts gisaient parmi eux. Lisamon Hultin avait une blessure sanglante mais peu profonde à une cuisse ; Sleet avait eu la moitié de son pourpoint arrachée et avait reçu plusieurs estafilades superficielles ; Shanamir avait des marques de griffes qui lui traversaient la joue ; Valentin, lui aussi, ne souffrait que de légères égratignures et la fatigue lui alourdissait les bras, mais il n’était pas blessé. Deliamber… tiens, où était passé Deliamber ? Nulle part il n’y avait trace du Vroon. Valentin se tourna vers Carabella et lui demanda d’une voix où perçait l’angoisse :

— Le Vroon est-il resté dans la roulotte ?

— J’ai cru que nous étions tous sortis quand elle s’est enflammée.

Valentin fronça les sourcils. Les seuls bruits qui troublaient le silence de la forêt étaient les sifflements et les craquements du feu et le crépitement régulier et moqueur de la pluie.

— Deliamber ! appela Valentin. Deliamber, où êtes-vous ?

— Ici, répondit une voix aiguë venant d’en haut.

Valentin leva les yeux et vit le magicien juché sur une énorme branche, à cinq mètres au-dessus du sol.

— La guerre n’est pas un art dans lequel j’excelle, expliqua le Vroon d’un ton imperturbable.

Puis il se suspendit à sa branche et se laissa tomber dans les bras de Lisamon Hultin.

— Que faisons-nous, maintenant ? demanda Carabella.

Valentin réalisa que c’était à lui qu’elle posait la question. C’était lui qui commandait. Zalzan Kavol, agenouillé près des corps de ses frères, semblait pétrifié par leur mort et par la perte de sa précieuse roulotte.

— Nous n’avons pas le choix, dit Valentin. Il nous faut couper à travers la forêt. Si nous essayons de suivre la route principale, nous allons rencontrer d’autres Métamorphes. Shanamir, où en sont les montures ?

— Mortes, répondit le garçon, avec des sanglots dans la voix. Toutes. Les Métamorphes…

— Eh bien, nous irons à pied. La marche sous la pluie risque d’être longue et pénible. Deliamber, à quelle distance croyez-vous que nous soyons de la Steiche ?

— À quelques jours de marche, je présume. Mais nous n’avons aucune notion de la direction à prendre.

— Suivons la pente du terrain, proposa Sleet. La rivière ne peut pas être plus haut que nous. Si nous continuons à nous diriger vers l’est, nous ne pouvons la manquer.

— À moins qu’une montagne ne se dresse sur notre chemin, fit remarquer Deliamber.

— Nous trouverons cette rivière, dit Valentin d’une voix ferme. La Steiche se jette dans le Zimr à Ni-moya, c’est bien cela ?

— Oui, répondit Deliamber, mais son cours est impétueux.

— C’est un risque à courir. Je suppose qu’un radeau sera ce qu’il y a de plus rapide à construire. Allons-y. Si nous restons ici plus longtemps, ils vont lancer une nouvelle attaque.

Il n’y avait rien à récupérer dans la roulotte, ni vêtements, ni nourriture, ni objets personnels, ni leur matériel de jonglerie – tout avait brûlé, ils avaient tout perdu, sauf ce qu’ils avaient sur eux lorsqu’ils étaient sortis à la rencontre de leurs assaillants. Pour Valentin, la perte n’était pas grave, mais pour certains des autres, les Skandars en particulier, elle était considérable. La roulotte avait longtemps été leur foyer.

Il fut difficile d’arracher Zalzan Kavol de sa place. Il était prostré et paraissait incapable d’abandonner les corps de ses frères et la carcasse encore fumante de sa roulotte. Avec douceur, Valentin le força à se relever.

— Quelques-uns des Métamorphes, dit-il, avaient fort bien pu sortir vivants de la bataille et pouvaient bientôt revenir avec des renforts ; il était périlleux de rester ici.

Ils creusèrent rapidement des tombes peu profondes dans le sol meuble de la forêt et y ensevelirent Thelkar et Heitrag Kavol. Après quoi, sous une pluie battante et à la nuit tombante, ils se mirent en route en espérant que la direction qu’ils suivaient était celle de l’est.