Выбрать главу

Le reste ne fut qu’une affreuse boucherie. Les treuils se mirent en marche, le cadavre du dragon fut hissé jusqu’à la plate-forme de dépeçage et l’écorchement commença. Valentin regarda quelque temps, jusqu’à ce que le spectacle sanglant commence à le dégoûter : le délardement, la récupération des précieux organes, le sectionnement des ailes et tout le reste. Lorsqu’il en eut assez, il redescendit, et quand il revint quelques heures plus tard, le squelette du dragon se dressait sur le pont comme une de ces carcasses exposées dans un muséum, un grand arc blanc couronné par les étranges dentelures de l’épine dorsale, et les chasseurs avaient déjà entrepris de le désassembler.

— Tu as l’air bien sombre, lui dit Carabella.

— C’est un art que je n’apprécie guère, répondit-il.

Valentin avait l’impression que Gorzval aurait pu remplir entièrement la cale de son bateau, aussi grande fût-elle, avec les prises de cette seule première troupe de dragons de mer. Mais il s’était contenté d’une poignée de petits et d’un seul adulte, qui était loin d’être le plus gros, et avait délibérément fait prendre le large aux autres. Zalzan Kavol lui expliqua qu’il y avait des quotas, déterminés par les Coronals des siècles passés, pour éviter que l’espèce ne disparaisse ; les troupes devaient être décimées et non exterminées et un dragonnier revenant trop tôt de sa campagne de pêche aurait à fournir des explications et se verrait infliger de lourdes sanctions. Il était en outre essentiel de hisser les dragons à bord avant l’arrivée des prédateurs et de traiter rapidement la chair ; un équipage trop vorace n’aurait pas été en mesure d’exploiter ses prises de manière rationnelle et profitable. Ce premier succès de la saison parut apporter un peu d’entrain à l’équipage de Gorzval. Il leur arrivait de saluer les passagers d’un signe de tête et ils allaient jusqu’à leur octroyer un sourire de temps à autre tout en vaquant aux tâches du bord d’un air détendu et presque enjoué. Leur silence hargneux fit place à des rires, des plaisanteries et des chansons.

Lord Malibor, si brave et beau, Descend de son Château. Il voulait chasser le dragon Quand la mer fait le gros dos. Lord Malibor arme un bateau ; Qu’il était beau à voir ! Ses voiles en feuilles d’or battu Et ses mâts en ivoire.

Valentin et Carabella entendirent les chanteurs – c’était l’équipe qui mettait le lard en barils – et s’approchèrent pour mieux les écouter. Carabella ne fut pas longue à retenir la mélodie, qui était d’une grande simplicité, et elle commença doucement à pincer les cordes de sa harpe de poche, ajoutant entre chaque couplet quelques fioritures de son cru.

Lord Malibor tenait la barre ; Bravant les flots houleux. Voguant en quête du dragon. Le dragon fier et preux. Lord Malibor jette un défi D’une voix de stentor : « J’affronte le roi des dragons Dans un combat à mort ! »
« J’entends, monseigneur, me voici », Rugit le monstre bientôt Il mesurait douze miles de long. Cinq de large, trois de haut.

— Regarde, dit Carabella. Voici Zalzan Kavol.

Valentin tourna la tête. Oui, c’était bien le Skandar, qui écoutait, près de la rambarde, tous ses bras croisés, la mine de plus en plus renfrognée. Il ne semblait guère apprécier la chanson. Qu’avait-il donc ?

Lord Malibor seul sur le pont Combattit bravement, Fit couler des torrents de sang Et frappa tant et tant
Les rois des dragons sont retors Et rarement vaincus. Lord Malibor, pourtant si fort. Fut avalé tout cru.
Braves chasseurs, souvenez-vous De sa triste aventure. Gare aux dragons, si ne voulez Leur servir de pâture.

Valentin éclata de rire et applaudit. Cela lui valut immédiatement un regard noir de Zalzan Kavol qui, s’avançant vers eux à grands pas, semblait suffoquer d’indignation.

— Monseigneur ! s’écria-t-il. Comment pouvez-vous tolérer une irrévérence… ?

— Pas si fort, le monseigneur, répliqua sèchement Valentin. Irrévérence, dites-vous ? De quoi parlez-vous ?

— Aucun respect pour cette affreuse tragédie ! Aucun respect pour un défunt Coronal ! Aucun respect…

— Zalzan Kavol ! fit malicieusement Valentin. Êtes-vous donc si soucieux de respectabilité ?

— Je sais discerner le bien du mal, monseigneur. Tourner en dérision la mort de lord Malibor est…

— Calmez-vous, ami, l’interrompit Valentin avec douceur en posant la main sur l’un des gigantesques avant-bras du Skandar. Quel que soit l’endroit où il se trouve maintenant, lord Malibor est très au-dessus de ces questions de respect et d’irrespect. Et cette chanson m’a fort diverti. Si moi, je ne m’en offense pas, pourquoi le feriez-vous ?

Mais Zalzan Kavol continuait à bougonner et à fulminer.

— Si je puis me permettre, monseigneur, vous n’avez peut-être pas tout à fait retrouvé le sens des convenances. Si j’étais à votre place, j’irais voir ces marins et je leur ordonnerais de ne plus jamais chanter cela en votre présence.

— En ma présence ? fit Valentin avec un large sourire. Ils se soucient de ma présence comme de leur premier dragon. Qui suis-je d’autre qu’un passager, et encore à peine toléré ? Si je leur disais cela, je passerais par-dessus la rambarde dans la minute qui suivrait et ce serait à mon tour de servir de pâture aux dragons. Hein ? Pensez à cela, Zalzan Kavol ! Et calmez-vous, mon vieux ! Ce n’est qu’une bête chanson de marins.

— Ce n’est pas une raison, grommela le Skandar en s’éloignant d’une démarche très digne.

— Il se prend tellement au sérieux, pouffa Carabella. Valentin commença à fredonner puis se mit à chanter :

Braves chasseurs, souvenez-vous De sa… De cette triste… De sa triste aventure…

— Oui, c’est ça, dit-il. Amour, veux-tu me rendre un service ? Quand ces marins auront terminé leur travail, peux-tu en prendre un à part – par exemple celui qui a la barbe rousse et la belle voix de basse – et lui demander de t’apprendre les paroles ? Et après, tu me les apprendras. Et je chanterai cette chanson à Zalzan Kavol pour le faire sourire.

— Hein ? Qu’en dis-tu ? Voyons…

« J’entends, monseigneur, me voici », Rugit le monstre bientôt Il mesurait douze miles de long. Cinq de large, trois de haut.

Il s’écoula environ une semaine avant qu’ils ne revoient des dragons, et non seulement Carabella et Valentin, mais aussi Lisamon Hultin mirent à profit ce temps pour apprendre le refrain, et la géante prenait plaisir à le beugler de par les ponts d’une voix rauque de baryton. Mais Zalzan Kavol continuait à grommeler et à pester à chaque fois qu’il l’entendait.

La seconde troupe de dragons était beaucoup plus importante que la première, et Gorzval put se permettre de tuer deux bonnes douzaines de petits, un adulte de taille moyenne et un mastodonte d’une quarantaine de mètres de long. Cela donna du travail à tous les hommes pendant les quelques jours qui suivirent.