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— Allons explorer le terrain, dit-il finalement. Lisamon, Khun, Zalzan Kavol… allez examiner les bâtiments sur notre gauche. Sleet, Deliamber, Vinorkis, Shanamir… descendez par là. Pandelon, Thesme, Rovorn… suivez la plage jusqu’à cette courbe et regardez derrière. Gorzval, Erfon…

Valentin, accompagné de Carabella et de Cordeine, se dirigea tout droit, jusqu’au pied de la colossale falaise crayeuse. Une sorte de sentier y commençait, qui s’élevait en suivant une pente invraisemblable, presque à pic, vers le sommet de la falaise où il disparaissait entre deux flèches blanches. Valentin estima que pour grimper ce sentier il fallait toute l’agilité d’un frère de la forêt. Il ne semblait pourtant pas y avoir d’autre moyen de quitter la plage. Il jeta un coup d’œil à l’intérieur de la petite cabane en bois qui se trouvait au pied du sentier, mais n’y trouva rien d’autre que quelques flotteurs utilisés, selon toute probabilité, pour l’ascension. Il en sortit un qu’il traîna jusqu’à l’aire de décollage et monta dessus ; mais il ne trouva aucun moyen de le mettre en mouvement. Déçu, il retourna vers la jetée. La plupart des autres étaient déjà revenus.

— L’endroit est désert, dit Sleet. Valentin se tourna vers Namurinta.

— Combien de temps cela vous prendrait-il pour faire le tour de l’Île et nous transporter du côté d’Alhanroel ?

— Jusqu’à Numinor ? Plusieurs semaines. Mais il n’en est pas question.

— Nous avons de l’argent, dit Zalzan Kavol. Cela parut la laisser indifférente.

— Je suis pêcheuse de mon métier. La saison de la pêche à l’épinoche est toute proche. Si je vous emmène à Numinor, je la raterai, et la moitié de la saison du gissoon par la même occasion. Vous ne pourriez pas me dédommager de ce manque à gagner.

Le Skandar sortit une pièce de cinq royaux, comme s’il espérait que son seul miroitement pourrait faire changer d’avis le capitaine. Mais elle secoua la tête en signe de refus.

— Pour la moitié de ce que vous m’avez versé pour vous transporter de Rodamaunt Graun à ici, je vous ramènerai à Rodamaunt Graun, mais c’est tout ce que je peux faire pour vous. Dans quelques mois, les bateaux de pèlerins reprendront la mer et ce port retrouvera toute son activité, et à ce moment-là, je vous ramènerai ici, toujours pour la moitié de la somme que vous avez payée. Quelle que soit votre décision, je suis à votre service. Mais je lèverai l’ancre avant la tombée de la nuit, et je ne mettrai pas le cap sur Numinor.

Valentin examina la situation. C’était beaucoup plus fâcheux qu’avoir été avalé par le dragon de mer, car il s’en était libéré assez vite, alors que cet obstacle imprévu menaçait de le retarder jusque bien avant dans l’hiver, voire au-delà, et pendant tout ce temps, Dominin Barjazid régnerait du haut du Mont du Château, de nouvelles lois seraient promulguées, le cours de l’histoire serait altéré et l’usurpateur consoliderait sa position. Mais alors, que faire ? Il tourna les yeux vers Deliamber, mais le magicien, l’air placide et serein, n’offrait aucune suggestion. Ils ne pouvaient pas escalader la muraille, ils ne pouvaient pas la franchir en la survolant. Ils ne pouvaient pas s’élever d’un bond prodigieux jusqu’à la forêt inaccessible et infiniment désirable qui en couvrait le sommet. Fallait-il donc repartir à Rodamaunt Graun ?

— Pouvez-vous attendre ici avec nous une journée de plus ? demanda Valentin. Nous vous paierons, bien entendu. Peut-être trouverons-nous demain matin quelqu’un qui…

— Je suis loin de Rodamaunt Graun, répondit Namurinta. J’ai hâte de revoir ses côtes. Même si je restais une seule heure de plus, vous n’y gagneriez rien, et moi encore moins. La saison est terminée ; les disciples de la Dame n’attendent plus de pèlerins à Taleis, et il n’y aura personne.

Shanamir tira légèrement Valentin par la manche.

— Tu es le Coronal de Majipoor, murmura le garçon. Ordonne-lui d’attendre ! Révèle-lui ton identité et force-la à mettre un genou en terre !

— Le truc risque de ne pas marcher, répondit Valentin en souriant. J’ai oublié d’emporter ma couronne.

— Alors demande à Deliamber de la soumettre par la magie !

C’était une possibilité, mais elle n’enchantait guère Valentin. Namurinta les avait pris à son bord en toute bonne foi et, en toute justice, elle était libre de repartir ; de plus, elle avait probablement raison d’estimer qu’il était vain d’attendre ici un, deux ou trois jours supplémentaires. Il répugnait à utiliser les pouvoirs de Deliamber pour la forcer à céder. Par ailleurs…

— Lord Valentin ! cria une voix de femme au loin. Par ici ! Venez !

Il regarda vers l’autre extrémité du port. C’était Pandelon, le menuisier de Gorzval, qui était parti avec Thesme et Rovom examiner ce qu’il y avait au-delà de la courbe de la plage. Elle agitait la main et faisait signe de venir. Il partit en courant dans sa direction et, quelques instants après, les autres le suivirent. Dès qu’il fut arrivé à sa hauteur, elle l’entraîna dans l’eau peu profonde et ils contournèrent une saillie de la roche qui dérobait à la vue une autre plage, beaucoup plus petite. Il y découvrit une construction de grès rose, à un seul étage, portant l’emblème de la Dame, le triangle dans le triangle, et qui pouvait être une sorte de chapelle. Sur le devant, un jardin dont les arbustes aux fleurs rouges, bleues, orange et jaunes étaient disposés symétriquement. Deux jardiniers, un homme et une femme, l’entretenaient. Ils levèrent la tête et regardèrent Valentin approcher sans manifester d’intérêt. Il fit maladroitement de la main le signe de la Dame qu’ils lui rendirent beaucoup plus expertement.

— Nous sommes des pèlerins, dit-il, et nous cherchons quelqu’un qui puisse nous indiquer le chemin jusqu’aux terrasses.

— Vous arrivez hors saison, dit la femme.

Elle avait une grosse figure blanche parsemée de pâles taches de rousseur. Il n’y avait nulle chaleur dans sa voix.

— C’est dû à notre impatience d’entrer au service de la Dame.

La femme haussa les épaules et retourna à son sarclage. L’homme, musculeux, court de stature, les cheveux grisonnants et clairsemés, prit la parole :

— À cette époque de l’année, vous auriez dû aller à Numinor.

— Nous venons de Zimroel.

Une étincelle d’intérêt s’alluma dans ses yeux.

— Avec les vents des dragons ? La traversée a dû être difficile.

— Nous avons eu quelques moments pénibles, dit Valentin, mais tout cela, c’est le passé. Nous ne ressentons plus maintenant qu’une grande joie d’avoir enfin atteint cette île.

— La Dame vous apportera le réconfort, fit l’homme d’un ton froid en se remettant à l’ouvrage avec son sécateur.

Après un moment de silence qui devint rapidement insoutenable, Valentin demanda :

— Et pour atteindre les terrasses ?

— Vous n’y arriverez pas, répondit la femme aux taches de rousseur.

— Vous ne voulez pas nous aider ? Un nouveau silence.

— Cela ne vous prendrait qu’un moment, reprit Valentin, et nous ne vous dérangerions plus. Montrez-nous le chemin.

— Nous avons notre besogne à accomplir, répondit l’homme au crâne dégarni.

Valentin s’humecta les lèvres. Cela ne le menait nulle part, et Namurinta avait peut-être déjà quitté l’autre plage depuis cinq minutes et faisait voile sur Rodamaunt Graun, les abandonnant à leur triste sort. Il regarda Deliamber. Le recours à des pratiques magiques risquait de s’imposer. Deliamber fit semblant de ne pas comprendre. Valentin s’approcha de lui et murmura :