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— Effleurez-les de vos tentacules pour les persuader de se montrer plus coopératifs.

— Je crains que ma magie n’ait guère de pouvoir sur cette île sacrée, répliqua Deliamber. Essayez vos propres incantations.

— Mais je n’en connais pas !

— Essayez, répéta le Vroon.

Valentin fit de nouveau face aux jardiniers. Je suis le Coronal de Majipoor, se dit-il, et je suis le fils de la Dame que ces deux individus adorent et servent. Il était impossible de dire cela aux jardiniers, mais peut-être réussirait-il à le transmettre par la seule force de sa volonté. Il se redressa de toute sa taille et se transporta vers le centre de son être, comme il eût fait pour se préparer à jongler devant un public hautement critique, et il les gratifia d’un sourire si chaleureux qu’il aurait pu faire éclater des bourgeons sur les branches des arbustes en fleurs et, après quelques instants, les jardiniers, détachant les yeux de leur travail, découvrirent ce sourire et y répondirent par une réaction de surprise, de confusion et… de soumission. Un amour ardent irradiait de tout son être.

— Nous avons fait de nombreux milliers de kilomètres, dit-il d’une voix douce, pour venir chercher la paix auprès de la Dame, et nous vous prions, au nom du Divin que nous servons tous, de nous aider à trouver notre route, car nous sommes dans un grand dénuement et nous sommes las d’errer.

Ils clignèrent les yeux, comme si le soleil venait d’émerger de derrière un nuage gris.

— Nous avons notre besogne, fit la femme d’une voix faible.

— Nous ne sommes pas supposés faire l’ascension avant d’avoir fini d’entretenir le jardin, marmotta l’homme.

— Le jardin prospère, dit Valentin, et il continuera à prospérer en se passant de vous quelques heures aujourd’hui. Aidez-nous, avant la tombée de la nuit. Nous vous demandons seulement de nous mettre sur la route, et je vous assure que la Dame vous en récompensera.

Les jardiniers étaient visiblement troublés. Ils échangèrent un regard puis levèrent les yeux vers le ciel, comme pour voir s’il était déjà tard. Le visage sombre, ils se levèrent, frottèrent leurs genoux pour enlever le sable qui y était collé et, comme des somnambules, ils s’approchèrent du bord de l’eau, firent quelques pas dans le léger ressac, contournèrent la pointe qui cachait la grande plage et longèrent le pied de la falaise jusqu’à l’endroit où le sentier à pic commençait son ascension.

Namurinta était encore là, mais elle était prête à lever l’ancre. Valentin se dirigea vers elle.

— Nous vous remercions de tout cœur pour votre aide, dit-il.

— Vous restez ?

— Nous avons trouvé un moyen d’accéder aux terrasses.

Elle lui adressa un sourire empreint de plaisir sincère.

— L’idée de vous abandonner ici ne me réjouissait pas, mais Rodamaunt Graun me rappelait. Je vous souhaite de faire un heureux pèlerinage.

— Et moi, je vous souhaite un excellent voyage de retour.

Il se détourna.

— Encore une chose, dit Namurinta.

— Oui ?

— Quand la femme vous a appelé de là-bas, dit-elle, elle a crié lord Valentin. Que voulait-elle dire ?

— C’est une plaisanterie, répondit Valentin. Rien qu’une plaisanterie.

— D’après ce que j’ai entendu dire, lord Valentin est le nom que porte le nouveau Coronal, celui qui règne depuis un ou deux ans.

— C’est vrai, dit Valentin. Mais il est brun. C’était une plaisanterie, un jeu de mots sur notre nom, car je m’appelle Valentin aussi. Bon voyage, Namurinta.

— Un fructueux pèlerinage, Valentin.

Il se dirigea vers la falaise. Les jardiniers avaient sorti plusieurs des flotteurs de la cabane et les avaient alignés sur l’aire de décollage. Sans un mot, ils firent signe aux voyageurs de monter sur les véhicules. Valentin prit le premier avec Carabella, Deliamber, Shanamir et Khun. La jardinière entra dans la cabane où, apparemment, étaient situées les commandes des véhicules car, un instant plus tard, le flotteur décollait et commençait la vertigineuse et terrifiante ascension de l’écrasante falaise blanche.

8

— Vous êtes arrivés, dit l’acolyte Talinot Esulde, à la Terrasse de l’Évaluation. Ici vous serez jaugés. Quand le moment sera venu pour vous d’avancer, vous accéderez à la Terrasse des Commencements, puis à la Terrasse des Miroirs où vous vous trouverez face à vous-même. Si ce que vous voyez est satisfaisant, aussi bien pour vous que pour vos guides, vous accéderez à la Seconde Falaise, où une autre série de terrasses vous attend. Vous arriverez ainsi jusqu’à la Terrasse de l’Adoration. De là, si vous avez gagné la faveur de la Dame, vous serez convoqués dans le Temple Intérieur. Mais n’attendez pas que cela se fasse rapidement. Et à votre place, je ne l’attendrais pas du tout. Ceux qui comptent parvenir jusqu’à la Dame sont les moins susceptibles d’être admis auprès d’elle.

L’humeur de Valentin s’assombrit à ces mots, car non seulement il comptait parvenir jusqu’à la Dame, mais il était absolument vital qu’il y réussisse ; néanmoins, il comprenait bien le sens des propos de l’acolyte. En ce lieu sacré, il fallait abandonner toute exigence sur la trame de l’existence. Il fallait se soumettre ; il fallait renoncer à tout désir, à tout besoin, à toute exigence pour espérer trouver la paix. Ce n’était pas un endroit pour un Coronal. L’essence d’un Coronal résidait dans l’exercice du pouvoir, avec sagesse s’il était capable de sagesse, mais en tout cas avec fermeté. L’essence du pèlerin était la soumission. Il risquait d’être victime de cette incompatibilité. Pourtant il n’avait pas le choix, il lui fallait arriver jusqu’à la Dame. Il avait, au moins, atteint les confins du domaine de la Dame. Au sommet de la falaise, ils avaient été accueillis sans surprise par des acolytes manifestement prévenus de l’arrivée hors saison d’un groupe de pèlerins. Et maintenant, l’air pieux et légèrement ridicule dans leurs robes aux tons pastel, ils étaient rassemblés dans un bâtiment long et bas, de pierre rose et polie, à proximité de la crête de la falaise. Des dalles de la même pierre rose formaient une vaste esplanade semi-circulaire qui s’étendait sur ce qui paraissait être une grande distance le long de la lisière de la forêt couronnant la falaise : c’était la Terrasse de l’Évaluation. Après, il y avait encore une forêt, et les autres terrasses étaient au-delà ; encore plus loin dans les terres, invisible de l’endroit où ils se trouvaient, s’élevait la seconde falaise crayeuse sur le plateau que formait la falaise extérieure. Et Valentin savait qu’une troisième falaise s’élevait au-dessus de la seconde quelque part à des centaines de kilomètres dans les terres, et c’était le Saint des Saints, l’endroit où se trouvait le Temple Intérieur et où la Dame résidait. Malgré toute la distance qu’il avait déjà parcourue, il lui semblait impossible de pouvoir couvrir les quelques centaines de kilomètres qui restaient. La nuit tombait rapidement. Il se retourna pour regarder par la fenêtre circulaire qui était derrière lui et il vit le ciel en train de s’obscurcir et l’immensité sombre de l’océan, éclairée seulement par les derniers rougeoiements du soleil qui disparaissait dans la direction de Piliplok. Il y avait une tâche tout là-bas, un point sur la surface unie de la mer, et il se prit à penser et à espérer qu’il s’agissait du trimaran Reine de Rodamaunt, cinglant vers son port d’attache, et encore plus loin il y avait les volevants s’abandonnant à leur rêve sans fin, et les dragons de mer se dirigeant vers un océan plus vaste encore, et derrière tout cela il y avait Zimroel, ses villes grouillantes, ses parcs et ses réserves naturelles, ses festivals, ses milliards d’habitants. Il avait déjà bien des choses à se souvenir, mais il lui fallait maintenant se tourner vers l’avenir. Il regarda fixement Talinot Esulde, leur premier guide, une personne grande et mince, à la peau d’un blanc laiteux et au crâne rasé, qui pouvait appartenir à l’un ou l’autre sexe. Valentin penchait plutôt pour le sexe masculin – la taille et quelque chose dans la carrure semblaient l’indiquer, mais pas de manière formelle – alors que la finesse des traits de Talinot Esulde, en particulier la courbe délicate des arcades sourcilières qui surmontaient d’étonnants yeux bleus, dénotait le contraire.