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Quelque part. Son cœur le lui chuchotait.

— Ils se moquent totalement de moi, dit Mia. La nounou, rien de plus, n’est-ce pas comme ça que tu m’as appelée ? Mais même ça, ils ne vont pas me le donner, pas vrai ?

— Tu auras peut-être six mois pour t’occuper de lui, mais même ça…

Elle secoua la tête, puis se mordit la lèvre quand une nouvelle contraction la traversa, transformant tous les muscles de son ventre et de ses cuisses en filaments de verre. Dès que la douleur s’apaisa quelque peu, elle acheva sa phrase.

— J’en doute.

— Alors tue-nous, si on en arrive là. Dis que tu le feras, Susannah, je te prie !

— Et si je fais ça pour toi, Mia, que feras-tu pour moi ? Si tant est que je puisse croire la moindre parole qui sort de ta bouche de menteuse ?

— Je te libérerai, si j’en ai l’occasion.

Susannah y réfléchit, et décida qu’un marché de dupes valait mieux que pas de marché du tout. Elle attrapa les mains agrippées à ses épaules.

— Très bien. Je suis d’accord.

Et comme au cours de leur première palabre en ce lieu, c’est alors que le ciel se déchira, ainsi que le merlon derrière elles et l’air qu’elles échangeaient. Dans la fente, Susannah aperçut un couloir qui tanguait, de l’autre côté. L’image était floue et sombre. Elle comprit qu’elle regardait par ses propres yeux, qu’elle avait presque fermés. Bouledogue et Faucon la tenaient toujours. Ils l’emmenaient vers la porte au bout du couloir — toujours, depuis l’arrivée de Roland dans sa vie, il y avait eu une porte à atteindre — et elle se dit qu’ils devaient croire qu’elle s’était évanouie. Et elle se dit aussi que c’était le cas, en un sens.

Puis elle fut soudain de retour dans ce corps hybride, avec ses jambes blanches… qui savait quelle proportion de sa peau brune était maintenant devenue blanche ? Elle se réjouissait qu’au moins cette situation-là soit sur le point de prendre fin. C’est bien volontiers qu’elle échangerait ces jambes blanches, si fortes fussent-elles, contre un peu de tranquillité d’esprit.

Contre un peu de tranquillité dans son esprit.

DIX-NEUF

— Elle revient à elle, grommela quelqu’un.

Celui à tête de bouledogue, crut reconnaître Susannah. Non pas que ça ait la moindre importance. Sous le masque, ils avaient tous l’air de rats humanoïdes avec de la fourrure qui pointait à travers leur chair croustillante.

— Parfait, commenta Sayre, qui marchait derrière eux.

Elle regarda autour d’elle et constata que son escorte était constituée de six ignobles, de Faucon et d’un trio de vampires. Les ignobles portaient des pistolets dans des crocs de débardeurs… sauf que dans ce monde, on les appelait sans doute des holsters. À Rome, ma chère, il faut faire comme les Romains. Deux des vampires portaient des bahs, l’espèce d’arc typique des Calla. Le troisième avait un sabre électrique qui bourdonnait, assez proche du modèle que maniaient les Loups.

Dix contre un, pensa froidement Susannah. Pas bon… Mais ça pourrait être pire.

Peux-tu — la voix de Mia, quelque part à l’intérieur d’elle.

La ferme, lui ordonna Susannah. Fini de parler.

Devant elle, sur la porte dont ils s’approchaient, elle lut :

NORTH CENTRAL POSITRONICS
New York/Fedic
Sécurité maximale
CODE VERBAL D’ENTRÉE EXIGÉ

L’inscription lui était familière, et Susannah se rappela instantanément pourquoi. Elle avait vu un panneau similaire durant sa brève visite à Fedic. Fedic, où la Mia réelle — l’être qui avait endossé le destin des mortels dans ce qui devait être le pire marché de l’histoire de l’humanité — restait prisonnière.

Lorsqu’ils atteignirent la porte, Sayre la poussa, côté Faucon. Il se pencha vers la porte et émit un son guttural, un mot inconnu que Susannah n’aurait jamais su reproduire d’elle-même. Peu importe, chuchota Mia. Moi je sais le dire et, s’il le faut, je peux t’en apprendre un autre. Mais pour l’instant… Susannah, je te demande pardon pour tout. Adieu, porte-toi bien.

La porte menant à la Gare expérimentale de l’Arc 16 de Fedic s’ouvrit. Susannah entendit comme un bourdonnement martelé, et sentit l’ozone. Nulle magie n’actionnait cette porte entre les mondes ; c’était l’œuvre des Grands Anciens, et leur erreur. Ceux qui l’avaient conçue avaient perdu foi en la magie, avaient renoncé à croire à la Tour. Pour remplacer la magie, ils avaient réalisé cette chose mourante et bourdonnante. Cette stupide chose mortelle. Et au-delà, Susannah aperçut une gigantesque pièce, remplie de lits. De centaines de lits.

C’est là qu’ils opèrent les enfants. Là qu’ils leur arrachent ce dont les Briseurs ont besoin.

Un seul des lits était occupé. Au pied se tenait une femme avec une de ces effroyables têtes de rats. Une infirmière, peut-être. À ses côtés, Susannah vit un être humain — elle ne pensait pas qu’il s’agissait d’un vampire, mais n’avait aucun moyen d’en être certaine, car ce qu’elle entrevoyait par la porte entrebâillée était aussi flou que l’air tremblotant au-dessus d’un incinérateur.

Il leva les yeux et les vit.

— Dépêchons ! s’écria-t-il. Bougez-vous ! Il faut qu’on les branche et qu’on en finisse, ou bien elle mourra ! Ils mourront tous les deux !

Le médecin — qui d’autre qu’un médecin aurait été capable d’une telle arrogance en présence de Richard P. Sayre ? — agitait les mains en petits gestes impatients, leur faisant signe d’approcher.

— Mettez-la là-dedans ! Vous êtes en retard, bon Dieu !

Sayre la poussa brutalement par la porte. Elle entendit un bourdonnement au plus profond de son crâne, et une brève mesure de carillon du vaadasch. Elle baissa les yeux, mais trop tard. Les jambes d’emprunt de Mia avaient déjà disparu et elle s’étala par terre, avant que Faucon et Bouledogue aient pu la suivre et la rattraper.

Elle se hissa sur les coudes et regarda vers le haut, consciente que, pour la première fois depuis Dieu savait combien de temps — probablement depuis qu’elle s’était fait violer dans le cercle de pierre —, elle ne s’appartenait qu’à elle-même. Mia n’était plus.

Puis, comme pour lui prouver le contraire, l’invitée surprise et indésirable de Susannah laissa échapper un cri. Susannah y ajouta le sien — la douleur était à présent trop insupportable pour être tue — et l’espace d’un instant, leurs voix chantèrent l’arrivée du bébé dans une harmonie parfaite.

— Doux Jésus, fit l’un des gardiens de Susannah — vampire, ignoble, comment savoir ? Est-ce que j’ai les oreilles en sang ? J’ai bien l’impression d’avoir les o…

— Ramasse-la, Haber ! aboya Sayre. Jey ! Remets-la debout ! Relevez-la, au nom de vos pères !

Bouledogue et Faucon — ou Haber et Jey, pour faire plus réaliste — l’attrapèrent sous les aisselles et lui firent remonter la travée au pas de course, faisant défiler les rangées de lits vides.

Mia se tourna vers Susannah et réussit à lui adresser un faible sourire épuisé. Elle avait le visage baigné de sueur et ses cheveux collaient à sa peau écarlate.

— Heureuse rencontre que la nôtre… heureuse et douloureuse, articula-t-elle tant bien que mal.

— Poussez-moi un lit par là ! hurla le médecin. Grouillez-vous, bons dieux ! Comment est-ce qu’on peut être aussi lent ?