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Oh, et puis Simetierre va sortir dans deux mois pile. Et là, ce sera vraiment la fin de ma carrière (je plaisante… du moins j’espère). Après réflexion, j’ai ajouté La Tour Sombre à la liste « du même auteur », au début du bouquin. Je me suis dit, après tout, pourquoi pas ? Oui, je sais que c’est épuisé — ils en avaient prévu que 10 000, nom de Dieu — mais c’était un vrai livre, et j’en suis fier. Je ne pense pas que je reviendrai sur les aventures de Roland le bon vieux Chevalier Errant qui Tire Plus Vite que Son Ombre, mais oui, je suis fier de ce livre.

C’est bien que je n’aie pas oublié la bière, moi.

21 février 1984

Mon vieux, j’ai reçu un appel délirant de Sam Vaughn, de chez Doubleday, cet après-midi (c’est lui qui a publié Simetierre, rappelle-toi). Je savais qu’il y avait des fans qui voulaient la suite de La Tour Sombre et qui étaient en rogne qu’elle ne soit pas écrite, parce que j’ai reçu du courrier, moi aussi. Mais Sam dit qu’eux en ont reçu plus de TROIS MILLE !! Et pourquoi, tu vas me demander ? Parce que j’ai été assez con pour mettre La Tour Sombre sur la liste de mes œuvres, dans l’édition de Simetierre. J’ai l’impression que Sam m’en veut un peu, et je dirais qu’il y a de quoi. Il dit que mentionner un livre que les fans attendent et qu’ils n’auront pas, c’est comme tendre un bout de viande à un chien affamé, en lui disant : « Non non, tu ne l’auras pas, c’est bête, hein ? » D’un autre côté, par Dieu et Jésus l’Homme, les gens sont tellement gâtés, bordel ! Ils s’imaginent que, sous prétexte qu’il y a dans ce monde un livre qu’ils veulent, alors ça leur donne un droit particulier sur ce livre. Ça ferait tordre de rire les types du Moyen Âge, qui entendaient parler de livres, et qui n’en voyaient pas un seul de toute leur vie. Le papier était une denrée rare (ce serait pas mal, d’ailleurs, dans le prochain « Pistolero/Tour Sombre », si jamais je m’y remets un jour) et les livres des trésors qu’on protégeait avec sa propre vie. J’adore ça, de pouvoir gagner ma vie en écrivant des histoires, mais quiconque dira que ça n’a pas ses mauvais côtés racontera que des conneries. Un jour je ferai un roman sur un vendeur de livres rares psychopathe (rires !)

En attendant, c’était l’anniversaire d’Owen, aujourd’hui. Il a sept ans ! L’âge de raison ! J’ai du mal à croire que mon plus jeune fils ait sept ans, et que ma fille en ait treize, une ravissante jeune femme, déjà.

14 août 1984 (New York)

Je reviens juste d’une réunion avec Elaine Koster, de chez NAL et mon agent, ce bon vieux Kirboo. Ils ont tous les deux insisté pour faire une édition en grand tirage du Pistolero, mais j’ai dit non. Peut-être un jour, mais je ne veux pas donner à tant de gens l’occasion de lire quelque chose d’aussi inachevé, à moins que/jusqu’au jour où je me remettrai au boulot sur ce livre.

Ce que je ne ferai sans doute jamais. Mais bon, j’ai une idée pour un autre long roman, avec un clown qui est en fait le monstre le plus répugnant que la terre ait porté. C’est pas une si mauvaise idée ; les clowns, ça fait peur. À moi, en tout cas (les clowns et les poulets, va savoir pourquoi).

18 novembre 1984

La nuit dernière, j’ai fait un rêve qui pourrait bien mettre fin au blocage que j’avais, pour Ça. Mettons qu’il existe une espèce de Rayon qui soutienne la Terre (ou des Terres multiples) ? Et que le générateur de ce Rayon repose sur le dos d’une tortue ? Je pourrais en faire la clé de voûte du bouquin, au moins en partie. Je sais que ça a l’air dingue, dit comme ça, mais je suis certain d’avoir lu quelque part que, dans la mythologie hindoue, il y a une grosse tortue qui nous porte tous sur sa carapace, et qu’elle sert Gan, la superpuissance créatrice. Et je me rappelle aussi une anecdote, dans laquelle une dame dit à un célèbre scientifique : « Cette histoire d’évolution, c’est ridicule. Tout le monde sait que c’est sur le dos d’une tortue que repose l’univers tout entier. » À ça, le scientifique (je pourrais me rappeler son nom, mais peu importe) répond : « Peut-être bien, madame, mais sur quoi repose la tortue ? » La dame y va de son petit rire méprisant, et répond : « Oh, vous ne m’aurez pas ! Rien que des tortues, jusqu’en bas. »

Tenez, prenez ça, vous autres, avec toutes vos théories rationnelles !

Toujours est-il que j’ai un cahier vierge près de mon lit, ce qui fait que j’y note des tas de rêves ou de bribes de rêves, sans vraiment me réveiller. Ce matin, j’avais écrit : Vois la TORTUE comme elle est ronde, sur son dos repose le monde. Son esprit, quoique lent, est toujours très gentil. Il tient chacun de nous dans ses nombreux replis. Pas terrible, côté poésie, me direz-vous. D’accord, mais pas mal pour un type aux trois quarts endormi quand il a écrit ces lignes !

Tabby ne me lâche pas, elle dit que je bois trop. Elle a raison, j’imagine, mais…

10 juin 1986 (Lovell/Chemin du Dos de la Tortue)

Mon vieux, quelle chance j’ai qu’on ait acheté cette maison ! Au départ la somme m’a fait peur, mais je n’ai jamais aussi bien écrit qu’ici. Et — ça fout les jetons, mais c’est vrai — je crois que j’ai envie de me remettre à l’écriture de La Tour Sombre. Au fond de mon cœur, je pensais que ça ne se ferait jamais, mais hier soir, alors que j’allais acheter de la bière au centre commercial, j’ai presque entendu Roland me dire : « Il existe de nombreux mondes et de nombreux récits, mais le temps presse. »

J’ai fini par faire demi-tour et je suis rentré. Je ne me rappelle plus la dernière fois que j’ai passé une soirée sans une goutte d’alcool, mais celle-ci fait partie de cette espèce en voie de disparition. C’est le coup de massue, quand je me mets pas une mine. Ce qui est bien triste, je dirais.

13 juin 1986

Je me suis réveillé au beau milieu de la nuit, avec la gueule de bois et l’envie de pisser. Alors que je me tenais devant la cuvette, j’ai presque vu Roland de Gilead. Qui me disait de commencer par la scène des homarstruosités. C’est ce que j’ai fait.

Je sais parfaitement ce qu’ils sont.

15 juin 1986

J’ai commencé aujourd’hui le nouveau roman. J’ai du mal à croire que je me sois remis à la veine « Le Bon, la Brute et le Truand », mais dès la première page, c’est tombé juste. Merde, dès le premier mot. J’ai décidé de faire une structure assez proche de celle d’un conte de fées : Roland marche le long de la Mer Occidentale, il est de plus en plus mal en point, et il découvre une série de portes qui mènent à notre monde. Et derrière chacune d’entre elles, il y a un nouveau personnage. Le premier sera un junkie défoncé du nom d’Eddie Dean…

16 juillet 1986