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Susannah ne dit toujours rien. Ce qui devenait de plus en plus difficile.

— Pour ce qui est de l’avenir immédiat de notre p’tit gars, Mia, je m’étonne même que vous posiez la question, ajouta Sayre.

C’était un beau parleur, il fallait le reconnaître, il mettait dans sa voix la dose exacte d’indignation requise.

— Le Roi tient ses promesses, contrairement à d’autres que je ne nommerai pas. Et sans même parler de notre intégrité, réfléchissez aux questions pratiques ! Qui d’autre pourrait avoir la garde de ce qui sera sans doute l’enfant le plus important de toute l’Histoire… Y compris le Christ, Bouddha et le prophète Mahomet ? Au sein de qui d’autre pourrions-nous confier sa bouche, si je puis me permettre l’image ?

Elle boit du petit-lait, constata Susannah. C’est tout ce qu’elle rêvait d’entendre. Et pourquoi ? Parce qu’elle est Mère.

— À moi, vous me le confieriez à moi ! s’écria Mia. Rien qu’à moi, bien sûr ! Merci ! Merci !

Susannah finit par prendre la parole. Par lui dire de ne pas faire confiance à cet homme. Mia, bien entendu, l’ignora royalement.

— Je ne pourrais pas plus vous mentir que rompre une promesse faite à ma propre mère, fit la voix au téléphone.

(T’es su que t’en avais une, T’ésor ? voulut savoir Detta.)

— Même si parfois la vérité fait mal, les mensonges se retournent toujours contre nous, n’est-ce pas ? Dans le cas présent, la vérité, c’est que vous n’aurez pas votre p’tit gars pour vous très longtemps, Mia, son enfance sera différente de celle des autres enfants, des enfants normaux…

— Je sais ! Oh, je sais !

— Mais pendant les cinq années où vous l’aurez bel et bien… peut-être même sept, avec un peu de chance… il aura tout ce qui se fait de mieux. Il le recevra de vous, bien sûr, mais aussi de nous. Notre intervention sera discrète…

Detta Walker se précipita devant, aussi rapide qu’une sale petite musaraigne. Elle ne put prendre possession des cordes vocales de Susannah Dean que pour un court instant, mais ce fut un instant précieux.

— C’est ça, biquet, pou’ sû’, gloussa-t-elle. C’est sû’ qu’il va pas v’ni’ vous taper su’ les ne’fs !

— Fais TAIRE cette garce ! lança Sayre comme un coup de fouet, et Susannah se sentit secouée quand Mia repoussa violemment Detta, cul par-dessus tête — mais toujours en train de glousser — à l’arrière de leur esprit commun. Au trou, une fois de plus.

— N’empêche, j’ai dit c’que j’avais à di’e, bon Dieu ! cria Detta. J’lui ai dit, à c’culé de cul’d’Blanc !

Dans le combiné, la voix de Sayre se fit froide et distincte.

— Mia, vous maîtrisez la situation, ou non ?

— Oui ! Bien sûr que oui !

— Alors que cela ne se reproduise plus.

— C’est promis !

Et quelque part — elle aurait dit que c’était au-dessus d’elle, même s’il était difficile de se repérer, dans un cerveau qu’on partageait avec d’autres — une porte sembla claquer. Avec un bruit métallique.

On est bel et bien au trou, dit-elle à Detta, mais Detta ne s’arrêta pas de rire.

Susannah pensa : Je suis presque certaine de savoir qui elle est. En plus de moi, je veux dire.

La vérité lui avait sauté aux yeux. Cette partie de Mia qui n’était ni Susannah ni quelque créature surgie du monde du néant à l’appel du Roi Cramoisi… cette troisième partie, c’était forcément l’Oracle, démon élémentaire ou non. La force femelle qui avait d’abord essayé de s’en prendre à Jake, avant de se rabattre sur Roland. Cet esprit triste et éperdu. Il avait fini par obtenir ce corps dont il avait besoin. Un corps capable de porter un p’tit gars.

— Odetta ? fit la voix de Sayre, taquine et cruelle. Ou Susannah, si vous préférez ? Je vous ai promis des nouvelles fraîches, n’est-ce pas ? Ce sont plutôt de bonnes nouvelles-mauvaises nouvelles, j’en ai bien peur. Vous voulez en savoir plus ?

Susannah ne dit mot.

— La mauvaise nouvelle, c’est que le p’tit gars de Mia ne sera peut-être pas en mesure d’accomplir la glorieuse destinée à laquelle il est promis en tuant son père, finalement. La bonne nouvelle, c’est que Roland sera très probablement mort dans les minutes qui viennent. Quant à Eddie, j’ai bien peur que la question ne se pose même pas. Il n’a ni les réflexes ni l’expérience du terrain de votre dinh. Ma chère, vous allez vous retrouver veuve très bientôt. C’est la mauvaise nouvelle.

Elle ne put se retenir plus longtemps, et Mia la laissa s’exprimer.

— Menteur ! Vous mentez sur tout !

— Pas du tout, répondit Sayre d’un ton calme, et Susannah se rappela où elle avait entendu ce nom : à la fin du récit de Callahan. À Détroit. Lorsqu’il avait violé le commandement le plus sacré de son Église et qu’il s’était suicidé, pour ne pas tomber aux mains des vampires. Callahan avait sauté à travers la baie vitrée d’un gratte-ciel pour éviter de finir de cette façon. Il avait d’abord atterri dans l’Entre-Deux-Mondes, et de là, par la Porte Dérobée, il avait rejoint les terres frontalières de La Calla. Et à ce moment précis, ce qu’avait pensé le Père, et il le leur avait raconté, c’était : Il ne devait pas les laisser gagner, il ne pouvait pas les laisser gagner. Et il avait raison là-dessus, raison, bon sang. Mais si Eddie mourait…

— Nous savions où votre dinh et votre mari atterriraient sans doute, s’ils empruntaient une certaine porte, lui dit Sayre. Et il a suffi d’appeler quelques personnes, des gens comme ce type, un certain Enrico Balazar, et je vous assure que c’était extrêmement facile, Susannah, vous pouvez me croire.

Susannah reconnut dans sa voix les accents de la sincérité. S’il ne pensait pas ce qu’il disait, alors elle avait affaire à un surdoué du mensonge.

— Comment avez-vous découvert un truc pareil ? demanda Susannah.

Elle ne reçut pas de réponse, aussi s’apprêta-t-elle à répéter la question. Mais elle se retrouva violemment repoussée en arrière. Peu importe ce que Mia avait été auparavant, car à l’intérieur de Susannah, elle avait développé une puissance incroyable.

— Elle est partie ? demandait Sayre.

— Oui, partie, à l’arrière.

Servile. Soucieuse de faire plaisir.

— Alors venez à nous, Mia. Plus tôt vous viendrez à nous, plus tôt vous pourrez regarder votre p’tit gars en face !

— Oui ! s’écria Mia, ivre de joie.

Et Susannah aperçut soudain comme un petit éclat brillant. Comme si elle jetait un œil sous la toile de tente d’un chapiteau de cirque, pour contempler une attraction fabuleuse. Ou funeste.

Ce qu’elle vit fut aussi simple que terrible : le Père Callahan, en train d’acheter du salami dans une épicerie. Une épicerie de Nouvelle-Angleterre. Une certaine épicerie générale située dans la ville d’East Stoneham, dans le Maine, en 1977. Callahan leur avait raconté toute son histoire, dans le presbytère… et Mia avait tout écouté.

La soudaine compréhension des événements surgit en elle comme le soleil se levant sur un champ de bataille où des milliers de cadavres mutilés gisaient. Susannah se précipita de nouveau devant, sans se soucier de la puissance de Mia, hurlant comme une démente :