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Dis-moi pourquoi tu souris !

Oh, pour pas grand-chose, répondit Susannah.

Sauf que maintenant elle avait la même voix que l’autre, celle qui s’appelait Detta. Mia ne pouvait vraiment pas la supporter, celle-là. Elle en avait un peu peur, de celle-là.

Je ’epense juste à ce type, Sigmund F’eud, mon chou — un sal’culé d’cul blanc, mais pas stupide. Il disait que quand quelqu’un oubliait tout l’temps que’qu’chose, c’est p’t-êt’pasque cette pe’sonne, elle veut l’oublier.

C’est idiot, répondit froidement Mia.

Derrière la porte de la cabine où se jouait cette petite conversation mentale, elle entendit entrer deux — non, au moins trois, peut-être même quatre — autres femmes, gazouillant toujours, et leurs gloussements firent grincer les dents de Mia.

Pourquoi est-ce que je voudrais oublier le lieu où on m’attend pour m’aider à avoir mon bébé ?

Eh ben, ce F’eud — ce sale g’os culé d’cul blanc viennois avec son ciga’e — il ’aconte qu’on a un esp’it en dessous de l’esp’it, il appelle ça l’inconscient, ou le subconscient, ou cette salope’ie de conscient que’qu’chose. Maintenant, je dis pas que ça existe, j’dis que lui il le dit.

(Gaspille la journée, lui avait dit Eddie, de ça au moins elle était certaine, et elle allait faire de son mieux, espérant seulement qu’elle n’allait pas conduire Jake et le Père Callahan à la mort, ce faisant.)

C’bon vieux sal’culé d’cul blanc d’F’eud, il dit que pou’plein d’cho-ses, le subconscient ou l’inconscient, il est plus malin que celui du d’ssus. Qu’il ’enifle les conne’ies plus vite que celui du d’ssus. Et p’t-êt’que l’tien, il comp’end c’que j’t’ai dit depuis Vdébut, que ton copain Say’e, c’est ’ien d’aut’e qu’un sale conna’d de menteu’qui va t’voler ton bébé et, j’sais pas, p’t-êt’le découper dans cette bassine et pis l’donner à bouffer aux vampi’es comme si c’étaient des chiens et qu’ton moufla’d c’était du canigou spécial Vamp…

La ferme ! Ferme ta sale figure de menteuse !

De l’autre côté, aux lavabos, les femmes-oiseaux riaient comme des hystériques, à tel point que Mia sentit ses yeux trembler et menacer de se liquéfier dans leurs orbites. Elle voulait sortir de sa cabine comme une furie, se précipiter sur elles, leur attraper la tête et la flanquer contre le miroir encore et encore jusqu’à ce que le sang gicle et qu’il y en ait partout sur le mur jusqu’au plafond et que leur cervelle…

On se calme, on se calme, fit la femme à l’intérieur, et elle reconnut à nouveau la voix de Susannah.

Elle ment ! Cette garce, elle MENT !

Non, répondit Susannah, et elle mit tant de conviction dans ce simple mot qu’elle réussit à envoyer une flèche de peur dans le cœur de Mia. Elle a son franc-parler, je ne dis pas le contraire, mais elle ne ment pas. Allez, Mia, retourne ta chemise.

Dans un dernier éclat de rire à vous mettre les larmes aux yeux, les femmes-oiseaux quittèrent les toilettes. Mia retira sa chemise par-dessus la tête, dénudant la poitrine de Susannah, couleur café, avec juste une goutte de lait. Ses tétons, qu’elle avait toujours eus aussi petits que des framboises, avaient beaucoup grossi. Des tétons attendant désespérément une bouche.

De l’autre côté de la chemise, à peine quelques auréoles bordeaux étaient visibles. Mia la renfila, puis déboutonna son jean afin de la glisser à l’intérieur. Susannah examina, fascinée, le point situé juste au-dessus de la toison pubienne. La peau s’était éclaircie, et avait plutôt la couleur du lait, avec juste une goutte de café. En dessous, elle vit les jambes blanches de la femme qu’elle avait rencontrée sur l’allure du château. Susannah savait que, si Mia baissait son pantalon jusqu’en bas, elle verrait les mollets écorchés qu’elle avait déjà vus quand Mia — la véritable Mia — observait la lumière rouge qui puisait dans le ciel, au-delà de Discordia, indiquant l’emplacement du château du Roi.

Il y avait là quelque chose de terrifiant pour Susannah, et après un temps de réflexion (il lui fallut à peine quelques secondes), elle en comprit la raison. Si Mia n’avait remplacé que la partie des jambes qu’Odetta Holmes avait perdue sous ce métro, quand Jack Mort l’avait poussée sur la voie, elles auraient été blanches seulement sous le genou. Mais elle avait aussi les cuisses blanches, et le bas-ventre était en train de blanchir aussi. De quel genre d’étrange lycanthropie s’agissait-il là ?

Le gen’e vol de co’ps, répliqua Detta d’un ton jovial. T’es bientôt tu vas t’ ’et’ouver avec un bidon tout blanc… des nichons blancs… un cou blanc… des joues blanches…

Arrête, la prévint Susannah, mais Detta Walker avait-elle jamais écouté ses mises en garde ? Les siennes ou celles de qui que ce soit d’autre ?

Et pis, pou’fini’, tu vas t’t’imballer un ce’veau blanc, ma fille ! Un ce’veau de Mia ! Ça se’a poilant, pas v’ai ? Pou’su ! Tu se’as une v’aie Mia ! Pe’sonne pou’a plus t’emme’der si tu veux monter à l’avant du bus !

Puis la chemise glissa sur les hanches et le jean fut reboutonné. Mia s’assit sur la lunette des toilettes. Face à elle, gribouillé sur la porte, s’étalait un graffiti : BANGO SKANK ATTEND LE ROI !

Qui est ce Bango Skank ? demanda Mia.

Pas la moindre idée.

Je crois…

C’était difficile, mais Mia se força.

Je crois que je te dois un mot de remerciement.

La réaction de Susannah fut instantanée et glaciale.

La vérité sera mon seul remerciement.

Commence par me dire pourquoi tu m’aiderais, une fois que…

Cette fois-ci, Mia ne put terminer. Elle aimait se dire qu’elle avait du courage — autant qu’il lui en fallait pour être au service de son p’tit gars, du moins — mais elle ne parvint pas à terminer.

Après que tu as trahi l’homme que j’aime pour des types qui ne sont finalement rien d’autre que des serviteurs du Roi Cramoisi, si on va au fond des choses ? Après que tu as décidé qu’ils pouvaient bien tuer les miens, tant que ton p’tit gars était sain et sauf ? C’est ça que tu veux savoir ?

Mia détesta la façon dont elle formulait les choses, mais dut bien le supporter. De gré ou de force.

Oui, jeune dame, si tu veux.

C’est l’autre qui répondit, cette fois-ci, avec cette voix — rude, croassante, riante, triomphante, et chargée de haine — encore plus détestable que les piaillements des femmes-oiseaux. Largement plus détestable.

Passque mes gars s’en sont so’tis, voilà pou’quoi ! Z’ont baisé ces ’culés d’culs blancs, et p’op’ement ! Ceux qui z’ont pas butés, i’zont volé en mille mo’ceaux !

Mia se sentit soudain très mal à l’aise. Qu’elle dise vrai ou pas, cette sorcière hilare croyait ce qu’elle racontait. Et si Roland et Eddie Dean étaient toujours là, se pouvait-il que le Roi Cramoisi ne fût pas aussi fort, aussi puissant qu’on le lui avait affirmé ? Était-il possible qu’on l’ait vraiment trompée à propos de…