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Pourtant elle se dit qu’elle voyait assez bien ce que la prophétie signifiait, malgré tout. Il y avait des tas de façons de faire une famille. Le sang n’en était qu’une parmi d’autres.

— Il ne t’a pas expliqué ce que dinh veut dire ? demanda Mia.

— Bien sûr que si. Ça veut dire chef. S’il était à la tête de tout un pays, et non pas d’un groupe de trois jeunes chiens fous débraillés, ça signifierait « roi ».

— Chef et roi, bien entendu. Maintenant, Susannah, tu vas me soutenir que ces termes ne sont pas de pâles substituts d’un autre ?

Susannah ne répondit pas.

Mia hocha la tête comme si elle avait obtenu sa réponse, puis grimaça sous le coup d’une nouvelle contraction. Quand elle fut passée, Mia reprit.

— Le sperme était celui de Roland. Je pense qu’il a dû être conservé d’une manière ou d’une autre, grâce à la science des Grands Anciens, pendant que le démon premier se retournait et passait de l’état femelle à l’état mâle, mais ce n’est pas le plus important. Le plus important, c’est que ce sperme a survécu et qu’il a trouvé son complément, comme le ka en avait décidé.

— Mon ovule.

— Ton ovule.

— Quand j’ai été violée, dans l’anneau de parole.

— Tu dis vrai.

Susannah s’assit, perdue dans ses pensées. Elle finit par relever les yeux.

— Il me semble bien que c’est ce que j’ai déjà dit. Ça ne t’a pas plu à l’époque, et ça ne te plaira pas plus maintenant, mais, ma fille, tu n’es rien de plus que la nounou.

Cette fois, il n’y eut pas d’accès de fureur. Mia se contenta de sourire.

— Qui a continué à avoir ses règles, même quand elle avait des nausées le matin ? C’est toi. Et qui a le ventre rond, maintenant ? C’est moi. S’il y a bien eu une nounou, Susannah de New York, c’est toi.

— Mais comment est-ce possible ? Est-ce que tu le sais ? Mia le savait.

QUATORZE

Le bébé, lui avait dit Walter, serait transmis à Mia. Il lui serait envoyé cellule par cellule, tout comme on envoie un fax ligne après ligne.

Susannah ouvrit la bouche pour dire qu’elle ne savait pas ce qu’était un fax, puis la referma. Elle comprenait l’esprit de ce que Mia lui expliquait, ce qui suffit à la remplir d’un horrible sentiment de rage mêlée d’effroi. Elle avait été enceinte. Elle l’était en ce moment même, au sens propre du terme. Mais on était en train de

(faxer)

d’envoyer le bébé à Mia. Le processus avait-il démarré rapidement pour ralentir ensuite, ou bien l’inverse ? S’accélérait-il maintenant ? Plutôt la deuxième solution, se dit-elle, parce que avec le temps elle s’était sentie de moins en moins enceinte, contre toute attente. Le petit renflement de son ventre avait presque complètement disparu. Et elle comprenait à présent pourquoi elle et Mia ressentaient un attachement équivalent au p’tit gars : en fait, il leur appartenait à toutes les deux. Il leur avait été transmis comme… comme une transfusion sanguine.

Sauf que quand on veut te prendre ton sang pour le mettre dans quelqu’un d’autre, on te demande la permission. S’il s’agit d’un médecin, je veux dire, et pas de l’un des vampires du Père Callahan. Et tu es beaucoup plus près des seconds que des premiers, Mia, tu en as conscience ?

— Science ou magie ? demanda Susannah. Laquelle vous a permis de me voler mon bébé ?

La question fit légèrement rougir Mia, mais lorsqu’elle se retourna vers Susannah, elle fut capable de soutenir son regard sans ciller.

— Je ne sais pas, dit-elle. Probablement un mélange des deux. Et arrête de te montrer aussi suffisante ! C’est en moi qu’il est, pas en toi. C’est de mes os et de mon sang qu’il se nourrit, pas des tiens.

— Et alors ? Tu penses que ça change quoi que ce soit ? Tu m’as volé mon enfant, avec l’aide d’un magicien abject.

Mia secoua la tête avec véhémence, ses cheveux noirs lui fouettant le visage comme un orage de jais.

— Ah non ? demanda Susannah. Alors comment se fait-il que ce ne soit pas toi qui te sois retrouvée à manger des grenouilles dans les marécages et des porcelets dans l’étable et Dieu sait quelles autres horreurs encore ? Comment se fait-il que tu aies besoin de tout ce cinéma, de toute cette mise en scène de salle de banquet dans le château, où tu pouvais prétendre que c’était toi qui mangeais ? Pour résumer, chérie, comment se fait-il que la nourriture de ton p’tit gars soit passée par ma bouche ?

— Parce que… parce que…

Susannah vit les yeux de Mia se remplir de larmes.

— Parce que cette terre est désolée ! Cette terre est maudite ! C’est la terre de la Mort Rouge, la limite de Discordia ! Je ne pouvais pas nourrir mon p’tit gars ici !

C’était là une bonne réponse, Susannah dut bien l’admettre, mais ce n’était pas la réponse complète. Mia le savait, elle aussi. Parce que Michael le bébé, le bébé parfait, avait été conçu ici même, qu’il avait lutté ici même, et qu’il luttait toujours quand Mia l’avait vu pour la dernière fois. Et si elle était si sûre d’elle, que faisaient donc ces larmes au bord de ses yeux ?

— Mia, ils te mentent, au sujet de ton p’tit gars.

— Tu n’en sais rien, alors ne sois pas si haineuse !

— Je le sais, crois-moi.

Et c’était vrai. Mais elle n’avait aucune preuve, bons dieux ! Comment prouver un sentiment, même aussi fort que celui-ci ?

— Flagg — Walter, si tu préfères — t’a promis sept années. Sayre te dit que tu en auras peut-être cinq. Et si, quand tu arriveras au Cochon du Sud, ils te tendent une carte qui dit : BON POUR TROIS ANS DE POUPONNAGE ? Tu vas encore tomber dans le panneau ?

— Ça n’arrivera pas ! Tu es aussi mauvaise que la sorcière ! La ferme !

— Tu as du culot, de me traiter de mauvaise, moi ! Toi qui n’as qu’une hâte, c’est de mettre au monde un enfant censé assassiner son propre père.

— Je m’en fiche !

— Tu es toute troublée, ma fille, tu confonds ce que tu veux qui arrive, et ce qui arrivera réellement. Comment sais-tu qu’ils ne vont pas le tuer avant même qu’il ait pu pousser son premier cri, qu’ils ne vont pas le broyer menu, et le donner en pâture à ces salauds de Briseurs ?

— La… ferme !

— Comme dessert super-vitaminé ? Ça ferait d’une pierre deux coups !

— La ferme, j’ai dit, la FERME !

— Le problème, c’est que tu ne sais rien. Tu n’es que la nounou, la fille au pair. Tu sais qu’ils mentent, tu sais qu’ils donnent la farce mais pas la friandise, et pourtant tu continues. Et tu veux que moi je la ferme.

— Oui ! Oui !

— Eh bien, je ne la fermerai pas, dit Susannah d’un air sévère, en saisissant Mia par les épaules.

Elles lui parurent étonnamment osseuses sous sa robe, mais chaudes aussi, comme si la femme avait de la fièvre.

— Je ne me tairai pas, parce qu’en vérité il est à moi, et que tu le sais. C’est pas parce que t’as rangé des choses dans le tiroir que c’est forcément un polichinelle.

Très bien, elles en étaient finalement revenues à la bonne vieille agressivité tous azimuts. Les traits de Mia se tordirent, lui donnant un air horrible et triste. Dans les yeux de Mia, il sembla à Susannah qu’elle pouvait voir la créature éternelle, insatiable et éplorée qu’avait été autrefois cette femme. Et autre chose, aussi. Une étincelle qui pourrait allumer le feu de la croyance. Avec un peu de temps.