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— Qu’est-ce que c’est que cette histoire de Roi Cramoisi « entouré » ?

— Je n’en ai pas la moindre idée.

Roland se tourna de nouveau vers Stephen King.

— Combien de fois le Seigneur de Discordia a-t-il essayé de vous tuer, d’après vous, Stephen ? De vous tuer pour faire taire votre plume ? Pour faire taire votre bouche de petit fauteur de troubles ? Depuis cette première fois, dans la grange de votre oncle et de votre tante ?

King essaya visiblement de compter, puis secoua la tête.

— Delah, dit-il. Beaucoup.

Eddie et Roland échangèrent un regard.

— Et est-ce que quelqu’un s’interpose toujours ? demanda Roland.

— Nenni, sai, ne croyez pas ça. Je ne suis pas impuissant. Parfois je me mets à l’abri.

Roland ne put s’empêcher de rire — le bruit sec d’un bâton qu’on casse en deux sur le genou.

— Savez-vous ce que vous êtes ?

— D’abord un père. Ensuite un mari. Puis un écrivain. Et un frère. Après le frère, je sèche, okay ?

— Non, pas « oookay ». Savez-vous ce que vous êtes ?

Il y eut un long silence.

— Non. Je vous ai dit tout ce que je savais. Arrêtez de me poser des questions.

— J’arrêterai quand vous direz la vérité. Savez-vous…

— Oui, d’accord, je vois où vous voulez en venir. Satisfait ?

— Pas tout à fait. Dites-moi ce que…

— Je suis Gan, ou je suis possédé par Gan, je ne sais pas, mais peut-être que ça revient au même.

King se mit à pleurer. Des larmes silencieuses, insupportables.

— Mais ce n’est pas Dis, je me suis détourné de Dis, je répudie Dis, ça devrait suffire mais visiblement ça ne suffit pas, le ka n’est jamais satisfait, ce bon vieux ka est avide, c’est bien ce qu’elle a dit, n’est-ce pas ? C’est ce qu’a dit Susan Delgado avant que vous la tuiez, ou que je la tue, ou que Gan la tue. « Comme je le déteste, ce vieux ka avide. » Peu importe qui l’a tuée, c’est moi qui lui ai fait dire ça, moi, par pure haine pour le ka. Je rue dans les brancards du ka, et je ruerai jusqu’au jour où j’irai dans la clairière au bout du sentier.

Roland s’assit à la table. Le nom de Susan l’avait fait blêmir.

— Et toujours le ka vient à moi, il vient de moi, je ne fais que le traduire, je suis fait pour cette traduction, le ka jaillit de mon nombril comme un ruban. Je ne suis pas le ka, je ne suis pas ce ruban, il ne fait que passer à travers moi, et je le déteste, je le déteste ! Les poulets étaient remplis d’araignées, vous comprenez ça ? Remplis d’araignées !

— Arrêtez de pleurnicher, ordonna Roland (avec un manque remarquable de compassion, nota Eddie), et King se tut.

Le Pistolero resta assis là à réfléchir, puis il releva la tête.

— Pourquoi avoir arrêté d’écrire l’histoire au moment où j’atteins la Mer Occidentale ?

— Mais vous êtes stupide, ou quoi ? Parce que je ne veux pas être Gan ! Je me suis bien détourné de Dis, je devrais être capable de me détourner de Gan. J’aime ma femme. J’aime mes gosses. J’aime écrire des histoires, mais je ne veux pas écrire la vôtre. Je passe mon temps à avoir peur. Il me cherche. L’Œil du Roi.

— Mais plus depuis que vous avez arrêté, conclut Roland.

— Non. Depuis il ne me cherche point, il ne me voit point.

— Néanmoins, vous devez poursuivre.

Les traits de King se tordirent, comme s’il était frappé d’une douleur vive et soudaine, puis son visage reprit l’apparence lisse du sommeil.

Roland leva sa main droite mutilée.

— Quand vous vous y remettrez, reprenez à la scène où j’ai perdu mes doigts. Vous vous rappelez ?

— Les homarstruosités, fit King. Arrachés.

— Comment savez-vous ce qui s’est passé ?

King eut un petit sourire et fit glisser l’air entre ses lèvres, émettant un doux sifflement.

— Le vent souffle.

— Gan a accouché du monde puis il a fait changer le monde, répliqua Roland. C’est ce que vous essayez de dire ?

— Si fait, et le monde aurait chu dans l’abysse, sans la grande tortue. Au lieu de tomber, il a atterri sur son dos.

— C’est ce qu’on nous a dit, et nous en disons tous grand merci. Reprenez à la scène des homarstruosités sur la plage, quand elles m’arrachent les doigts.

— Est-ce que chèque, Oie-ce que choix, ces foutus homards vous ont bouffé les doigts, lança King, puis il éclata de rire.

— Oui.

— Ça m’aurait épargné tout un tas d’ennuis, si vous étiez mort là-bas, Roland, fils de Steven.

— Je sais. À Eddie et à mes autres amis aussi.

L’ombre d’un sourire passa au coin des lèvres du Pistolero.

— Ensuite, après la scène des homarstruosités…

— Eddie arrive, Eddie arrive, l’interrompit King, en accompagnant ses paroles d’un petit geste rêveur de la main droite, comme pour dire qu’il savait déjà tout ça, et que ce n’était pas la peine que Roland perde son temps à tout lui expliquer. Le Prisonnier Le Pousseur la Dame d’Ombres. Le boulanger le pâtissier le vendeur de bistèques (il sourit). C’est comme ça que dit mon fils Joe. Quand ?

Pris par surprise, Roland fronça les sourcils.

— Quand, quand, quand ?

King leva la main, et Eddie vit avec stupéfaction le grille-pain, le moule à gaufres et l’égouttoir rempli de vaisselle propre se soulever et flotter dans la lumière.

— Vous me demandez quand vous devez reprendre l’écriture ?

— Oui, oui, oui !

Un couteau s’éleva de l’égouttoir et traversa toute la pièce. Pour aller se planter dans le mur, où la lame tremblota quelques secondes. Puis tout reprit sa place.

Roland répondit :

— Guettez le chant de la Tortue, et le cri de l’Ours.

— Chant de la Tortue, cri de l’Ours. Maturin, comme dans les romans de Patrick O’Brian. Et Shardik, comme dans le roman de Richard Adams.

— Oui. Si vous le dites.

— Les Gardiens du Rayon.

— Oui.

— De mon Rayon.

Roland le regarda avec intensité.

— Vous dites ainsi ?

— Oui.

— Qu’il en soit ainsi, alors. Quand vous entendrez le chant de la Tortue ou le cri de l’Ours, alors vous devrez vous y remettre.

— Quand j’ouvrirai les yeux sur votre monde, il me verra.

King marqua une pause.

— Ça me verra.

— Je le sais. Nous essaierons de vous protéger, dans ces moments-là, tout comme nous avons l’intention de protéger la rose.

King sourit.

— Je l’aime, cette rose.

— Vous l’avez vue ? demanda Eddie.

— Bien sûr, que je l’ai vue, à New York. Dans la rue qui part de l’hôtel Plaza de l’ONU. À l’époque, elle était dans l’épicerie, chez Tom et Jerry. À l’arrière. Maintenant elle est à l’emplacement de la boutique. Dans le terrain vague.

— Vous raconterez notre histoire jusqu’à ce que vous vous sentiez fatigué, expliqua Roland. Quand vous ne pourrez plus la raconter, quand le chant de la Tortue et le cri de l’Ours deviendront lointains et faibles à votre oreille, alors vous prendrez du repos. Et quand vous serez prêt à vous y remettre, vous vous y remettrez. Vous…