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Commala-vienne l’appel Nous acclamons celui qui nous fit tous, Qui fit les hommes et les douces donzelles, Qui fit les grands et les petits, les sages et les fous.

CHŒUR :

Commala-vienne l’appel ! Il fit les grands et les petits, les sages et les fous ! Pourtant combien puissante la main du destin cruel Qui nous dirige chacun et tous.

DOUZIÈME COUPLET

JAKE ET CALLAHAN

UN

Don Callahan avait souvent rêvé de retourner en Amérique. Son rêve commençait souvent de la même manière : il se réveillait sous le haut ciel du désert plein de nuages rebondis en forme de joueurs de base-ball (l’équipe des « Anges ») ou dans son lit du presbytère, dans la ville de Jerusalem’s Lot, dans le Maine. Peu importait le lieu, il se sentait transporté de soulagement, et son premier instinct était de prier. Oh merci, mon Dieu, ça n’était qu’un rêve et je me suis enfin réveillé.

Mais là il était réveillé, aucun doute là-dessus.

Il fit un tour complet dans l’air et vit Jake faire exactement la même chose, en face de lui. Il perdit une de ses sandales. Il entendait Ote aboyer et Eddie pousser des rugissements de mécontentement. Il entendait aussi les klaxons des taxis, cette sublime musique de la rue new-yorkaise, et autre chose, aussi : un prêcheur. Bien lancé, à en juger par sa voix. En troisième, au moins. Peut-être même en surmultipliée.

La cheville de Callahan percuta le chambranle de la Porte Dérobée lorsqu’il la passa et un éclair violent de douleur lui éclata dans le pied. Puis sa cheville (et la zone qui l’entourait) devint insensible. Un trille de carillon du vaadasch fendit l’air, comme un trente-trois tours passé en quarante-cinq. Une bouffée de courants d’air contraire lui balaya le visage, il sentit soudain des relents d’essence et de gaz d’échappement, qui vinrent éclipser l’air rance de la Grotte de la Porte. D’abord la musique de la rue ; à présent, le parfum de la rue.

L’espace d’un instant, il y eut deux prêcheurs. « Prenez garde, la porte s’est ouverte », tempêtait derrière lui Henchick, et un autre devant tonnait des « Dites Diiieu, mes frères, c’est ça, appelez DIEU sur la 2e Avenue ! ».

Encore des jumeaux, se dit Callahan — il en eut à peine le temps — puis la porte derrière lui claqua dans un vacarme foudroyant et il ne resta plus qu’un illuminé, celui de la 2e Avenue. Callahan eut aussi le temps de se dire : Bienvenue à la maison, mon salaud, bienvenue en Amérique, et c’est alors qu’il atterrit.

DEUX

Ce fut un crash total, mais il réussit à amortir la chute à quatre pattes. Son jean protégea quelque peu le bas (malgré les déchirures), mais le trottoir lui arracha environ un hectare de peau sur les paumes (du moins lui sembla-t-il). Il entendit la rose, son chant impassible et tout-puissant.

Callahan roula sur le dos et regarda le ciel au-dessus de lui, tout en grimaçant de douleur, tenant ses mains en sang et bourdonnantes devant son visage. Une goutte de sang coula de la gauche et vint s’écraser sur sa joue comme une larme.

— Putain, tu tombes d’où, comme ça, l’ami ? demanda un Noir ébahi en treillis gris.

Il semblait être le seul à avoir remarqué le retour fracassant de Don Callahan en Amérique. Il fixait le prêtre étalé sur le trottoir avec des yeux comme des soucoupes.

— D’Oz, dit Callahan en s’asseyant.

Ses mains le piquaient violemment, et sa cheville était de retour, psalmodiant sa litanie de douleur (won-won-won), en parfaite synchronisation avec les battements de son cœur.

— Allez, mon pote. Faut pas rester là. Je vais bien, alors tu peux t’arracher.

— Comme tu voudras, mon frère. À plus.

L’homme en treillis gris — un portier qui venait de quitter son service, se dit Callahan — reprit son chemin. Il gratifia Callahan d’un regard d’adieu — toujours abasourdi, mais commençant à se demander s’il n’avait pas rêvé — puis alla se fondre dans le petit groupe qui écoutait le prêcheur. Une seconde plus tard, il avait disparu.

Callahan se remit sur pied et gravit l’une des marches qui menaient à Hammarskjöld Plaza ; il balaya les alentours du regard, à la recherche de Jake. Il ne le vit pas. Il regarda de l’autre côté, cherchant la Porte Dérobée, mais elle aussi avait disparu.

Maintenant, écoutez, mes amis ! Écoutez, je dis Dieu, je dis l’amour de Dieu, je dis donnez-moi des Alléluias !

— Alléluia, renchérit l’un des membres de la petite troupe qui s’était formée sur le trottoir.

Pas plus motivé que ça.

Je dis Amen, merci, mon frère ! Maintenant écoutez, parce que c’est l’heure du grand ORAL pour l’Amérique, et l’Amérique est en train de le RATER, son GRAND ORAL ! Ce qu’il faut à ce pays, c’est une BOMBE, pas une bombe nu-ké-laire, mais une BOMBE DIVINE, vous voulez bien dire alléluia ?

— Jake ! s’écria le Père Callahan. Jake, où es-tu ? Jake !

— Ote !

C’était la voix de Jake, un hurlement. Ote, FAIS ATTENTION !

Il y eut un jappement, un aboiement excité que Callahan aurait reconnu entre mille. Puis le hurlement de pneus qui se braquent.

Un klaxon.

Et le choc, mat.

TROIS

Callahan oublia complètement sa cheville cabossée et ses paumes brûlantes. Il se précipita, contournant la petite bande du prêcheur (qui s’était tournée vers la rue comme un seul homme, et l’orateur s’était interrompu au beau milieu de sa diatribe), et il vit Jake debout au coin de l’avenue, face à un taxi jaune qui s’était immobilisé en crabe à trois centimètres à peine de ses jambes. De la fumée bleue s’élevait toujours des pneus arrière. Le visage du conducteur était livide, un O tétanisé, tendu en avant. Ote était recroquevillé entre les pieds de Jake. Callahan crut voir que le bafouilleux était affolé, mais sain et sauf.

Le bruit mat se répéta, encore et encore. C’était Jake, qui frappait de son poing fermé le capot du taxi.

— Connard ! hurla le garçon au O blême de l’autre côté du pare-brise.

Bong !

— Vous ne pouvez pas…

Bong !

— … regarder…

BONG !

— … où vous ALLEZ, bordel ?!

BONG-BONG !

— Vas-y, te laisse pas faire, gamin ! s’écria quelqu’un de l’autre côté de la rue, où une trentaine de personnes s’étaient regroupées pour assister au spectacle.

La portière du taxi s’ouvrit. Le gigantesque engin qui s’extirpa du véhicule portait une tunique africaine sur un jean, et aux pieds une paire de baskets mutantes géantes avec des boomerangs sur le côté. Il était coiffé d’un fez, ce qui contribuait sans doute quelque peu à l’impression de taille immense, mais il n’y avait pas que ça. Callahan évalua que ce type devait bien mesurer deux mètres, avec une barbe de sauvage. Il lançait à Jake un regard noir. Callahan se rapprocha de la scène la mort dans l’âme, à peine conscient qu’il lui manquait une chaussure et que son pied nu claquait sur le bitume un pas sur deux. Le prêcheur de rue s’approchait lui aussi des acteurs, sentant la confrontation. Derrière le taxi immobilisé en plein carrefour, un autre automobiliste, que rien d’autre n’intéressait que ses projets pour la soirée, se mit à appuyer sur le klaxon des deux mains et se pencha par sa vitre ouverte.