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Le matin même, quand il s’était agi de l’accompagner ou non, Perrin s’était comporté avec une calme autorité, mais en restant résolument inflexible. Le genre d’homme qui incite une femme à se montrer forte pour être son égale. Que demander de plus ? Bien sûr, il faudrait qu’elle l’enquiquine copieusement au sujet de cette affaire. Un homme autoritaire, c’était bien beau, à condition qu’il ne s’imagine pas pouvoir commander tout le temps.

Envie de rire ? Faile aurait volontiers chanté, oui !

— Maighdin, après tout je crois bien que…

La servante blonde fut là en un éclair, mais Faile se tut en apercevant trois cavaliers qui avançaient vers eux, poussant leurs montures autant que c’était possible dans la neige.

— Au moins, il y a beaucoup de lièvres, dit Alliandre en faisant approcher son hongre blanc d’Hirondelle. Mais j’avais espéré… Bon sang ! qui sont ces cavaliers ? (Le faucon s’ébroua sur le gant de la reine, faisant tintinnabuler ses clochettes.) Dame Faile, on dirait des gens à toi.

Faile acquiesça sombrement. Elle les avait reconnus aussi. Parelean, Arrela et Lacile. Mais que venaient-ils faire ici ?

Tous trois s’arrêtèrent devant elle. Alors que Parelean semblait aussi essoufflé que son cheval, Lacile, le visage presque noyé dans les ombres de sa capuche, semblait avoir du mal à déglutir. Quant à Arrela, sa peau noire paraissait grisâtre.

— Ma dame, dit Parelean, le Prophète Masema a rencontré les Seanchaniens.

— Les Seanchaniens ! s’exclama Alliandre. Il ne croit quand même pas qu’ils vont se rallier au seigneur Dragon ?

— C’est peut-être plus simple que ça, dit Berelain, faisant avancer sa jument immaculée jusqu’à ce qu’elle soit au niveau de celle de la reine.

Perrin n’étant pas dans le coin, elle portait une robe d’équitation bleu foncé à col montant des plus pudiques. Pourtant, elle frissonnait.

— Masema déteste les Aes Sedai, et les Seanchaniens capturent les femmes capables de canaliser.

Faile en grogna de mécontentement. De mauvaises nouvelles, en effet, si elles se vérifiaient. Au moins, elle pouvait espérer que Parelean et les deux autres conserveraient assez de bon sens pour prétendre qu’ils les avaient entendues par hasard. Quoi qu’il en soit, il lui fallait des certitudes, et plus vite que ça ! Perrin devait déjà être avec Masema.

— Quelles preuves as-tu, Parelean ?

— Nous avons parlé avec trois fermiers qui ont vu une grande créature volante atterrir il y a quatre nuits… Elle a déposé une femme qui a été conduite devant Masema et qui est restée trois heures avec lui.

— Nous avons pu remonter sa piste jusqu’à la maison d’Abila où Masema a élu domicile, précisa Lacile.

— Les trois fermiers pensent que le monstre volant était une créature des Ténèbres, ajouta Arrela. Ils m’ont semblé assez fiables…

Pour elle, un tel jugement sur une personne étrangère aux Cha Faile revenait à dire qu’on pouvait lui faire aveuglément confiance.

— Je crois que je vais devoir aller à Abila, dit Faile en affermissant sa prise sur les rênes d’Hirondelle. Alliandre, garde Maighdin et Berelain avec toi. (En d’autres circonstances, la moue de la Première Dame aurait été une source de joie.) Parelean, Arrela et Lacile vont…

Un cri d’homme interrompit l’épouse de Perrin.

À cinquante pas de là, un soldat d’Alliandre en veste d’uniforme verte venait de basculer de sa selle. Un instant plus tard, ce fut le tour d’un Garde Ailé, une flèche fichée dans la gorge.

Voilés et brandissant un arc en courant, des Aiels apparurent entre les arbres. Parmi les cavaliers, d’autres hommes tombèrent.

Bain et Chiad se levèrent, se voilèrent, glissèrent leurs lances dans le harnais de leur arc et s’emparèrent de celui-ci – non sans garder un œil sur Faile, leur protégée.

Il y avait des guerriers du désert partout, nœud coulant géant qui se refermait inexorablement sur ses proies. Baissant leur lance, des cavaliers vinrent former un cercle défensif autour de Faile et des autres femmes, mais les flèches aielles éclaircirent aussitôt leurs rangs.

— Quelqu’un doit aller répéter au seigneur Perrin les nouvelles au sujet de Masema ! dit Faile à Parelean et à ses deux compagnes. Un de vous trois doit le faire. Chevauchez ventre à terre !

Du regard, Faile balaya Alliandre, Maighdin et même… Berelain.

— Vous, galopez aussi ventre à terre, ou vous mourrez ici !

Sans attendre de réponse, l’épouse de Perrin talonna sa monture et traversa le cercle de soldats devenu quasiment inutile.

— Galopez ! cria-t-elle. Galopez !

Il fallait que quelqu’un aille porter les nouvelles à Perrin !

Se penchant sur l’encolure d’Hirondelle, Faile la talonna pour la lancer au triple galop. Avec une légèreté digne de son nom, la jument parvint à se jouer de la neige. Un long moment, Faile crut qu’elle allait réussir à s’enfuir.

Puis il y eut un bruit sec d’os qui se brisent et la jument s’arrêta net, projetant sa cavalière dans les airs. Après un vol plané, Faile s’écrasa dans la neige, le souffle instantanément coupé par l’impact. Malgré tout, elle se releva et dégaina un couteau. Hirondelle avait henni avant cet horrible craquement, et avant de trébucher…

Un Aiel voilé jaillit de nulle part, dominant Faile de toute sa hauteur. Quand il lui frappa le poignet du tranchant de la main, ses doigts soudain engourdis lâchèrent le couteau. Avant qu’elle ait pu en dégainer un autre de la main gauche, le guerrier lui sauta dessus.

Elle lutta, frappant des pieds et des poings et même mordant, mais son adversaire était au moins aussi large d’épaules que Perrin et une bonne tête plus grand. Et il semblait au moins aussi fort que son mari… Avec une aisance qui donna à Faile envie de pleurer de rage, il l’immobilisa, la délesta de tous ses couteaux qu’il glissa dans sa ceinture, à part celui qu’il utilisa pour découper ses vêtements. Avant d’avoir compris ce qui lui arrivait, la jeune femme se retrouva nue dans la neige, les bras attachés dans le dos avec un de ses bas, l’autre étant noué autour de son cou afin de servir de laisse.

Dans ces conditions, que faire, sinon suivre l’Aiel en frissonnant de froid et en titubant dans la neige ? Sentant sa peau geler, Faile se demanda comment elle avait jamais pu penser à une température de fin d’automne…

Quelqu’un avait-il pu s’échapper pour communiquer à Perrin les nouvelles concernant Masema ? Et pour le prévenir qu’on avait capturé sa femme, aussi. Mais ça, c’était secondaire, parce qu’elle réussirait bien à s’échapper à un moment ou à un autre.

Faile vit d’abord le cadavre de Parelean. Gisant sur le dos, son épée encore à la main, il était couvert de sang – y compris la veste verte aux manches de satin rayé dont il était si fier. À côté de lui, la jeune femme compta plusieurs Gardes Ailés en plastron rouge, au moins autant de soldats d’Alliandre, plus un des fauconniers, son oiseau encapuchonné toujours accroché au poing et battant vainement des ailes.

Malgré ce désastre, l’épouse de Perrin ne perdit pas espoir.

Sa belle détermination chancela cependant lorsqu’elle vit Bain et Chiad, toutes les deux nues, les mains détachées et posées sur les genoux, accroupies au milieu d’un groupe d’Aiels des deux sexes ayant déjà baissé leur voile. Ses cheveux roux empoissés de sang, Bain avait le front et les joues entaillés. Tout le côté gauche du visage tuméfié, Chiad, le regard voilé, semblait sonnée. Mais quand le grand Aiel jeta sans ménagement Faile à terre à côté de ses deux amies, celles-ci se levèrent, oubliant avec un bel ensemble leur stoïcisme atavique.