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— Une belle matinée pour ce que nous avons à faire, mère…

Egwene acquiesça. Sans un mot de plus, le seigneur se plaça derrière elle, à côté de Siuan, qui ne se mit pas aussitôt à le houspiller. Ces deux-là étaient-ils enfin arrivés à un compromis acceptable ? Egwene l’ignorait, mais quoi qu’il en soit, l’ancienne Chaire d’Amyrlin ne se défoulait plus aussi souvent verbalement sur Bryne – en tout cas quand il était là, ou à portée d’oreille de la nouvelle Chaire d’Amyrlin.

Egwene se réjouit de la présence du militaire. La dirigeante suprême ne pouvait pas faire savoir à son général qu’elle avait besoin de réconfort, mais quand l’occasion se présentait, pourquoi faire la fine bouche ?

Les représentantes s’étaient alignées à la lisière des arbres, et treize autres sœurs se tenaient un peu plus loin, les observant attentivement. Talonnant leur monture en même temps, Lelaine et Romanda se détachèrent des rangs. À les voir approcher, la cape flottant au vent et leurs chevaux galopant comme si elles menaient une charge, Egwene ne put s’empêcher de soupirer.

Le Hall lui obéissait parce qu’il n’avait pas le choix. Lorsqu’il s’agissait de la guerre contre Elaida, c’était une évidence. Mais quelle énergie mettaient ces femmes à pinailler sur ce qui, justement, était ou non en rapport avec ce conflit ! Et quand le lien n’était pas établi, obtenir quelque chose d’elles était à peu près aussi facile qu’arracher des dents à une poule. Par exemple, elles avaient peut-être fini par trouver un moyen d’imposer une limite d’âge au recrutement. Pas en ce qui concernait Sharina, cependant. Romanda elle-même était impressionnée par la fantastique grand-mère.

Egwene prit la parole dès que les deux représentantes se furent immobilisées devant elle. Leur couper la chique ne faisait jamais de mal…

— Mes filles, l’heure est venue d’agir. Nous n’avons plus de temps à perdre en discussions futiles. Allez-y !

Romanda eut un soupir agacé et Lelaine se retint à grand-peine de l’imiter. Puis elles firent volter leurs chevaux et se défièrent du regard un long moment. Les événements du dernier mois avaient encore intensifié leur antagonisme, ce qui n’était pas peu dire. Lelaine rejeta rageusement la tête en arrière et Romanda s’autorisa l’ombre d’un sourire.

Egwene faillit sourire aussi. Le conflit entre ces deux femmes était… sa principale force au sein du Hall.

— La Chaire d’Amyrlin vous a ordonné de commencer, dit Romanda en levant théâtralement une main.

L’aura du saidar enveloppa les treize sœurs qui se tenaient un peu à l’écart des représentantes. Une seule aura, qui les englobait toutes. Peu après, un épais trait d’argent apparut au milieu de la clairière, tourna sur lui-même et se transforma en un portail de trente pieds de haut pour trois cents de large. De l’autre côté, il neigeait aussi, constata Egwene.

Sur un ordre de son commandant, la première unité de cavalerie lourde entreprit de traverser. Même si le rideau de neige était bien trop épais pour ça, Egwene imagina qu’elle distinguait les Murs Scintillants de Tar Valon, et, au-delà, la Tour Blanche elle-même.

— C’est commencé, mère, dit Sheriam, semblant presque surprise.

— Oui, c’est commencé, répéta Egwene.

Avec l’aide de la Lumière, Elaida tomberait bientôt…

Alors qu’elle était censée attendre le signal de Bryne, quand assez de ses soldats seraient passés, Egwene ne put se contenir plus longtemps. Talonnant Daishar, elle traversa le portail et déboula dans la plaine où le pic du Dragon, loin derrière la ville, se découpait telle une masse noire et fumante sur l’écrin d’un ciel tout blanc.

31

Après…

La neige et les vents, en hiver, ralentissaient considérablement le commerce, quand ils ne le suspendaient pas jusqu’au printemps. Et pour trois pigeons voyageurs envoyés par les marchands, deux disparaissaient, victimes des faucons ou des intempéries. Mais sur les cours d’eau qui n’avaient pas gelé, la navigation continuait, et les rumeurs se répandaient plus vite que la foudre. Un millier de rumeurs, chacune en enfantant un millier d’autres qui poussaient dans la glace et la neige comme du blé dans une terre riche.

À Tar Valon, selon certains récits, de grandes armées s’étaient affrontées, du sang coulait dans les rues et les Aes Sedai renégates avaient fiché la tête d’Elaida a’Roihan au bout d’une pique.

Non ! Elaida avait simplement serré le poing, et les rebelles qui n’avaient pas été écrasées se traînaient à ses pieds.

Foutaises ! Il n’y avait eu ni renégates ni schisme de la tour. Au contraire, la Tour Noire avait été brisée par le Pouvoir des Aes Sedai – unies et déterminées – et désormais, des Asha’man traquaient des Asha’man à travers toutes les nations.

À Cairhien, la Tour Blanche avait réduit en ruine le Palais du Soleil et le Dragon Réincarné, vaincu par la Chaire d’Amyrlin, était désormais sa marionnette et l’instrument de sa puissance.

D’autres récits prétendaient au contraire que des Aes Sedai étaient désormais liées à lui et aux Asha’man. Des balivernes que peu de gens gobaient, avec pour immanquable résultat de se ridiculiser.

Revenues pour réclamer un empire depuis longtemps disparu, les armées d’Artur Aile-de-Faucon balayaient tout sur leur passage, y compris le Dragon Réincarné, défait et chassé de l’Altara.

Absurde ! Les Seanchaniens, au contraire, étaient venus pour le servir !

Grotesque ! En réalité, il les avait écrasés, puis rejetés à la mer.

Mais non ! Après l’avoir capturé, ils avaient décidé de conduire le Dragon Réincarné chez eux, afin qu’il se prosterne devant leur Impératrice.

On aurait bien aimé voir ça ! Mais le Dragon Réincarné était mort, voyons ! Et cette nouvelle était accueillie par autant de larmes que de cris de joie, autant de célébrations que de cérémonies funéraires…

Dans toutes les nations, ces histoires se déployèrent comme un immense réseau de toiles d’araignées se superposant les unes sur les autres. Partout, des hommes et des femmes entreprirent de préparer l’avenir en croyant dur comme fer détenir la vérité sur le présent.

Ils tirèrent des plans sur la comète et la Trame les absorba, tissant pour sa part le futur tel qu’il avait été prédit.

Glossaire

Note sur les dates

Le calendrier tomien (conçu par Toma dur Ahmid) fut adopté environ deux siècles après la mort du dernier Aes Sedai, et il compte les années à partir de la Dislocation du Monde (AD : Après Dislocation). Durant les guerres des Trollocs, beaucoup d’archives furent détruites, et l’ancien système calendaire fut remis en question. Tiam de Gazar en proposa un nouveau, censé célébrer la fin de la menace représentée par les Trollocs. À partir de là, on compta en Années Libres (AL). Vingt ans après la fin des conflits, le calendrier gazarien fut universellement adopté. Artur Aile-de-Faucon tenta d’en imposer un nouveau, basé sur la Fondation de son Empire (FE), mais la greffe ne prit pas, et aujourd’hui, seuls les historiens y font encore référence. Après les ravages de la guerre des Cent Années, un quatrième calendrier fut établi par Uren din Jubai Envol-Goéland, un érudit du Peuple de la Mer. La Panarch Farede du Tarabon décida de son adoption. Le calendrier farendien, qui commence à la date (arbitrairement déterminée) de fin de la guerre des Cent Années, compte les années de la Nouvelle Ère (NE) et il est toujours en vigueur.

A’dam : Composé d’un collier et d’un bracelet reliés par une chaîne de métal argenté, cet artefact peut servir à contrôler toute femme en mesure de canaliser le Pouvoir. Chez les Seanchaniens, c’est la damane qui porte le collier et la sul’dam qui porte le bracelet.