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Caracas ne put résister au plaisir de leur expliquer le travail énorme qui avait été effectué dans le coin.

— Plus de cent travailleurs indiens ont aménagé la faille. Il a fallu déplacer des centaines de tonnes de rochers, en taire sauter d’autres, creuser ailleurs les abris nécessaires. Et cela à l’insu des autorités et des patrouilles militaires. D’ailleurs, elles ne s’aventurent plus tellement dans le coin. Les guérilleros les arrêtent plus à l’ouest. Mais reste le problème des avions. Nous pouvons rouler encore deux heures avant de faire halte.

— Veux-tu que je te remplace ? demanda Marcus.

— Ça ira.

Avec le soleil, la chaleur, au fond de la gorge, atteignait des températures record, et ils durent refaire le plein du radiateur en cours de route, à l’abri d’un surplomb rocheux.

Plus loin, la faille se resserra encore et apparut alors une extraordinaire route en lacets creusée dans la roche, à travers la roche plutôt, de façon à rester invisible des observateurs aériens.

— Prodigieux ! dit Kovask à Caracas qui se rengorgea.

— Vous voyez de quoi sont capables ces populations soi-disant abruties par la coca et le climat. Cette route a été creusée par des ouvriers ne disposant que d’un matériel ridicule. Des explosifs, certes, mais aussi des pioches et des barres à mine.

Il y avait juste la place pour un camion, et les virages étaient tellement serrés qu’il fallait les prendre en plusieurs fois après des manœuvres vertigineuses.

— Nous allons déboucher sur le plateau, dans un dédale de rochers, où nous serons invisibles jusqu’à la prochaine faille, bien moins longue que celle que nous venons de parcourir et qui est le lit d’un ancien torrent complètement à sec. Je ne vous cache pas qu’en cas de forte pluie il se reconstitue, mais que la circulation peut quand même s’y poursuivre, tout ayant été prévu pour cela.

— Mais, dites donc, l’interpella Marcus, il vous a fallu des ingénieurs des ponts et chaussées, des géomètres et des techniciens ? Les ouvriers, c’est encore facile à trouver, mais les cerveaux ?

— Nous les avons trouvés. Ils venaient de tous les pays latins.

Kovask en doutait un peu. Peut-être de La Havane, plutôt, ou même de Pékin. Mais il garda ses réflexions pour lui, accéléra pour traverser le dédale. La piste descendit ensuite en pente assez douce vers le fond de la faille annoncée. Caracas fit signe de ralentir, sauta à terre et dirigea le camion vers un grand trou creusé dans la roche. On y avait construit une cabane en planches dont le chef guérillero avait la clé.

— Nous allons trouver là de quoi manger, boire, réparer même, et je vais lancer un message radio pour donner approximativement l’heure de notre arrivée demain au terminus. Kovask et Marcus se regardèrent.

— Faut y aller, dit Kovask. S’il lance son message, nous n’aurons que vingt-quatre heures de répit.

— Je m’en occupe, dit Marcus. D’abord les armes.

Ils descendirent, et le lieutenant de vaisseau fit semblant de vérifier le pont arrière.

— Quelque chose ne va pas, señor ?

— Il y a un drôle de bruit, dit Marcus en retirant rapidement le chiffon dont il avait bourré la cache.

Il y plongea sa main et prit l’un des pistolets automatiques. Cela suffirait pour l’instant.

— Un coup de main, señor ?

— Ça ira.

Les jambes du guérillero étaient toutes proches. Il devait reculer pour sortir de sous le camion et il fourra le pistolet dans l’ouverture de sa chemise.

Il se trouvait à quatre pattes lorsqu’il vit un spectacle éprouvant. Kovask gisait sur le ventre, les bras en croix, et Caracas le menaçait d’un automatique.

— Debout, et les mains en l’air !

Le guérillero qui venait de lui parler s’écarta, également armé d’un pistolet.

— Au moindre geste, je tire.

Il suivit le regard de Marcus en direction du Commander.

— N’aie crainte. Simplement assommé. Un coup de matraque. Dans quelques instants, il reviendra à lui.

Le guérillero le fouillait, lui ôtait l’arme cachée dans sa chemise.

— Il était temps, dit-il à son chef.

— Je savais qu’ils interviendraient avant mon appel radio. Appel qui, d’ailleurs, ne se fera pas, pour la bonne raison qu’il n’y a pas de radio, mais j’ai voulu vous provoquer.

Il fit signe au guérillero qui, depuis la benne du camion, surveillait la scène.

— Passe-moi le truc.

L’assiette en plastique vola à ses pieds et Marcus devint très pâle.

— Heureusement que lui vous a vu opérer. Alors que nous tirions sur les cordes. Il a vu voler ce truc-là en direction des arbres et a voulu en avoir le cœur net.

Voilà pourquoi, une fois le rio Meta traversé, ils avaient attendu si longtemps avant de repartir.

— L’assiette se trouvait en haut d’un arbre, exactement où tu avais voulu l’envoyer. C’est une balise radio, n’est-ce pas ? Destinée au repérage aérien ?

— Vous le savez mieux que moi.

Le visage de Caracas restait impassible :

— Il faudra parler, si vous voulez mourir dans de bonnes conditions. Jusqu’à présent, nous n’avons rien soupçonné et vous devez être très forts pour avoir trompé Roy, Huchi et moi-même qui, d’habitude, suis extrêmement méfiant envers les camionneurs. Pour qui travaillez-vous ?

— Pour nous, en amateurs. Ensuite, nous aurions vendu aux Américains la longueur d’onde de ces balises.

— Ces balises, articula Caracas, vous en avez disposé tout au long de la piste ? Combien ?

Marcus haussa les épaules.

— Je ne sais pas. Une demi-douzaine, bluffa-t-il.

— Fouille-lui les poches.

Le guérillero les retourna et les petites balises en tombèrent.

— D’où les sors-tu ?

— J’ai un copain bricoleur qui s’y connaît en électronique. Il s’est chargé de les fabriquer.

— Quelle fréquence ? Marcus se tut.

— De toute façon, aucune importance pour nous. Ce qui nous intéresse, c’est de savoir où vous les avez disposées, ton copain et toi, tout au long de la piste.

Kovask, qui venait de reprendre connaissance depuis quelques minutes, avait pu écouter une bonne partie de la conversation. Marcus se défendait bien en prétendant qu’ils travaillaient pour leur propre compte, et qu’une demi-douzaine de balises avaient été dissimulées tout au long de la route. Cela leur prolongerait d’autant la vie, car on ne les liquiderait qu’une fois toutes les balises récupérées.

— Je ne te crois pas, dit soudain Caracas. Un copain électronicien, un travail opéré pour votre propre compte… Tout était prévu à l’avance.

Il s’adressa aux autres.

— C’est sous le camion qu’il a pris son pistolet. Regardez s’il n’y a pas une cachette.

Le guérillero qui se trouvait sur le camion sauta à terre, se glissa dessous. Il en ressortit les mains pleines : pistolet, micro-grenades et explosifs.

— Rien que ça ! Et ces bidules, hein ? Spécialement fabriqués pour les services secrets américains. J’en ai déjà vus sur un agent de la C.I.A. que nous avions abattu plus au nord.

Kovask jugea bon de bouger et de se dresser lentement en massant le haut de son crâne.

— Debout, et attention à vos réactions !

— Si vous croyez que j’ai envie de faire l’imbécile après le coup que vous m’avez flanqué !

Il se mit sur ses jambes, fit semblant de tituber et s’appuya contre la paroi rocheuse. Caracas le surveillait de très près, et il n’y avait rien à tenter pour l’instant.