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Ils le coincèrent entre deux grosses caisses. Il ne pouvait que replier ou détendre ses longues jambes.

— Je ne tiendrai pas une heure, protesta-t-il. Et pour me faire reprendre le volant, vous pourrez toujours courir. Permettez-moi au moins d’appuyer mon dos et détachez-moi les mains.

— Mon copain a raison, dit Kovask. Si vous me réservez le même sort, je refuse de prendre le volant.

Caracas releva son arme et la pointa vers son ventre.

— Taisez-vous, ou je tire.

— Vous serez bien avancé. Tels que je vous connais tous les trois, vous bousillerez le moteur en moins d’une heure et vous serez perdus en pleine solitude. Les secours ne viendront que dans trois ou quatre jours, quand il sera trop tard.

Cela les fit réfléchir, et Marcus obtint ce qu’il désirait. Il se cala plus confortablement, cria :

— Tu peux y aller, Serge !

Caracas s’installa à côté de Kovask, l’arme au poing.

— Vous allez faire le voyage ainsi ? La moindre secousse, et ça part tout seul.

— Raison de plus de conduire en douceur. Le Commander se résigna, mit le moteur en route et passa la marche arrière. Il recula doucement, puis repartit en marche avant, trempé de sueur, mais Caracas ne s’était douté de rien. Impossible de savoir non plus si la pointe s’était enfoncée jusqu’à la chambre. Le G.M.C. sortit de la grotte et reprit la piste. Le soleil ne plongeait plus dans la gorge, mais la chaleur n’en était pas moins suffocante.

— Vous aurez à boire pour le voyage ?

— Il y a un bidon derrière vous.

Il roula un mile avant de se rendre compte que la direction commençait de tirer sérieusement, mais il préféra attendre. Le pneu allait en prendre un sérieux coup, la réparation serait d’autant plus longue.

Mais il dut faire de tels efforts que Caracas s’en rendit compte.

— Quelque chose ne va pas ?

— On dirait. Un ressort cassé ou bien une roue crevée.

— Arrêtez ! Ne bougez pas d’un pouce pendant que je vais voir !

Caracas descendit, bientôt rejoint par un de ses hommes. Marcus restait seul avec l’autre. Tout pouvait marcher comme échouer.

— Ici, à gauche, dit le guérillero à son chef. Drôlement crevé.

Si jamais ils découvraient le clou… Kovask reçut l’autorisation de descendre et, en voyant le pneu à plat et déjà en partie déchiqueté, il se gratta le crâne.

— Ça promet ! Il faut bien caler le cric, car, avec notre cargaison ! … La roue de secours est à l’arrière. Mais il faudra récupérer celle-ci en cas de nouveau pépin.

Le guérillero alla d’abord chercher le cric que Kovask mit en place. Il s’agissait d’un modèle hydraulique, avec une longue barre de manœuvre. Caracas se tint prudemment à distance, l’arme pointée sur lui. Il joua le tout pour le tout, plaça le cric en rupture d’équilibre. Au fur et à mesure que la partie mobile monterait, le support glisserait. Le second guérillero arrivait avec la roue de secours, très encombré, les deux mains occupées, son arme à la ceinture.

— Ça ne va pas être facile, dit Kovask en espagnol.

Puis, il passa à l’allemand pour ajouter :

— Tiens-toi prêt, car il va y avoir une grande secousse.

Il revint à l’espagnol juste comme Caracas fronçait les sourcils.

Il actionna le levier de plus en plus lentement, surveillant le support qui glissait peu à peu. Millimètre après millimètre. Kovask essuya la transpiration, se déplaça pour cacher le maximum à son voisin qui tenait maintenant la roue d’une seule main et avait porté l’autre à sa ceinture.

— Ça va venir, dit-il d’une voix soulagée. Juste à ce moment-là, le cric dérapa et le camion bascula terriblement. Le guérillero avait fait un bond en arrière, lâché la roue de secours qui le fit trébucher. La barre de manœuvre faucha Caracas en pleine gorge, mais le chef guérillero tira une balle qui siffla au-dessus de la tête de Kovask.

Marcus avait tendu ses muscles, comprenant ce qui allait se passer. Il n’eut même pas besoin de lancer ses jambes en avant. Le guérillero, déséquilibré, l’oublia quelques secondes de trop et sentit les mains de son prisonnier se serrer au tour de son cou. Il tomba foudroyé. Marcus arracha son arme de sa main crispée, se traîna jusqu’au bord de la ridelle pour voir Kovask projeter le guérillero par-dessus son épaule en un vol plané terrible. Un rocher reçut le corps qui ne bougea plus.

Le larynx écrasé, Caracas suffoquait au sol, tournoyant comme une toupie, les mains à sa gorge. Il n’y avait plus rien à faire pour lui et, en sautillant à cause de ses pieds attachés, Marcus vint lui faire sauter le crâne d’une seule balle. Kovask ouvrit la porte de la cabine pour prendre la gourde d’eau, but à la régalade, la jeta ensuite à son compagnon.

— Voilà. C’étaient des durs, mais pas encore assez entraînés. Ils sont tombés dans le piège.

Il essuya son front, s’approcha de Caracas.

— Un brave type, malgré tout. Engagé dans une lutte terrible. On ne peut lui en vouloir.

— Qu’en fait-on ?

— Rien. On n’a pas le temps. Nous allons retourner en arrière. Plus loin, nous nous débarrasserons des caisses, dans la fameuse route en lacets. Dommage pour ce merveilleux travail de titans, mais nous ne pouvons le laisser intact.

Tranquillement, Marcus alla récupérer la carte routière dans les affaires de Caracas, tandis que Kovask défaisait la curieuse montre-bracelet du chef terroriste. Elle était exactement constituée comme il l’avait pensé.

— Nous trouverons facilement la route du retour, dit Marcus.

— Une partie seulement. Nous allons filer sur Bogota et alerter le plus rapidement possible le commodore Gary Rice.

— A Bogota avec le camion ? Mais les flics et les militaires nous demanderont d’où nous sortons.

— On tâchera de passer au travers. Kovask désigna la roue.

— Maintenant, il faut quand même la changer, cette roue.

Pendant qu’il opérait, Marcus traîna les trois corps sous l’entrée de la gorge et les recouvrit d’une des couvertures qu’il fixa au sol avec des pierres.

— Ça n’arrêtera pas les charognards, mais nous n’avons pas le temps de les enterrer. Il faudrait creuser leur tombe à la dynamite dans cette roche.

A la nuit, ils atteignirent la route en lacets, creusée dans la roche comme un tunnel dont un des côtés n’existait pas. Ils déposèrent la première charge au premier lacet, réglèrent le détonateur sur une heure, puis effectuèrent quatre arrêts successifs, ce qui leur demanda quarante minutes.

— Je règle celui-ci à un quart d’heure, dit Kovask. Nous roulerons dans la faille au ralenti pour compter le nombre d’explosions. Avant longtemps, ils ne pourront utiliser cette partie de la piste, seront obligés de rouler à découvert.

Lorsque la première explosion se produisit, le camion vibra de toutes ses tôles. Kovask s’arrêta et la seconde fut encore plus terrible et détacha même des rochers instables devant eux. Pourtant, ils se trouvaient à un bon kilomètre.

— Filons avant que la piste ne soit impraticable.

Kovask fonça dans la faille à toute allure. Beaucoup plus loin, ils se débarrassèrent des autres caisses, y fixèrent des pains de plastic avant de repartir.

Sur le plateau, Kovask put vérifier le fonctionnement de la montre gonio. La première balise fut bientôt détectée par la grande aiguille qui se fixa au nord-ouest. Ils la découvrirent facilement, cachée en haut d’un rocher, sous un petit dôme en plexiglas noir pour éviter les reflets du soleil.

— Pas au point, leur miniaturisation, remarqua Marcus.

L’émetteur avait la taille de deux paquets de cigarettes.