Выбрать главу

Une nouvelle fois, il raccrocha et Carmina soupira de soulagement. Tout allait parfaitement bien et il n’avait pas de raison de se faire du souci, regrettait sa nuit blanche. Cet inconnu, ce superbe imbécile, venait de se condamner lui-même. En le faisant disparaître, Carmina obtenait un triomphe, puisque les documents partiraient à l’adresse des Nations unies, et plus spécialement vers la boîte aux lettres de la légation cubaine. Plus personne n’en entendrait parler. Le lendemain, il lui suffirait de se trouver très à l’avance sur les rives du Potomac pour surprendre le bonhomme.

Ce n’est que dans la soirée qu’il réalisa qu’il allait se trouver à la tête de trente mille dollars. Il en resta rêveur jusqu’à ce que le sommeil le gagne.

A l’ambassade de Colombie, on avait reçu des instructions analogues, mais le lieu et la date restaient à fixer. L’homme prenait toutes ses précautions.

Le lendemain, l’ambassadeur du Venezuela réunit tout le personnel diplomatique pour une courte conférence.

— Je crois que nous devons choisir notre envoyé spécial, dit-il. Voici le container et l’argent.

Il exhiba une boîte rectangulaire de quarante sur vingt-cinq environ. La fermeture parfaitement étanche ne laisserait pas entrer une seule goutte d’eau.

— J’ai expérimenté le système dans ma baignoire, ajouta Son Excellence avec humour. Il y a trente mille dollars, ce qui n’est pas payer trop cher un tel renseignement. Si nous connaissons l’emplacement de la route, nous économiserons des sommes bien plus considérables et des vies humaines. De plus, le projet de la Carretera marginal de la Selva ne sera plus menacé comme il l’est actuellement. Il me reste à désigner l’envoyé. J’ai choisi notre ami Carmina.

L’adjoint au délégué culturel sursauta. Jamais il n’avait envisagé cette éventualité.

— Moi ! s’exclama-t-il.

Le ton et l’expression du visage durent déplaire à l’attaché militaire, habitué à plus de mâle conviction :

— Auriez-vous peur ?

Carmina récupérait très vite, et il se hâta de montrer un visage réjoui.

— Pas du tout. Je suis très surpris d’être ainsi distingué, car mes fonctions sédentaires m’éloignaient d’un tel choix. J’en suis ravi, car je pensais que ce genre d’aventure était beaucoup plus monnaie courante dans la carrière.

Tout le monde se dérida.

— Attention, mon garçon, de la prudence. Vous fixez cette boîte à la chambre à air, et puis vous revenez tout de suite nous rendre compte.

— Bien sûr, dit Carmina, les dents serrées, et se demandant comment il pourrait liquider l’inconnu en un temps aussi limité.

Tout se compliquait d’un seul coup parce qu’on l’avait choisi pour remettre l’argent.

— Ne perdez pas de temps en route. Vous m’entendez ? Nous vous attendrons à la sortie de la ville. Aller et retour, il vous faut à peine une heure. Toute tentative imprudente compromettrait tout. Nous nous moquons de cet homme. Qu’il aille au diable avec son argent. Ce qu’il nous faut, ce sont les photographies.

Cette insistance déplaisait a Carmina, mais il n’en laissa rien paraître.

— J’exécuterai point par point vos instructions, déclara-t-il en fixant l’attaché militaire dans les yeux.

CHAPITRE III

Au volant de sa Ford de location, Carmina arriva à Quantico dix minutes avant quinze heures. Il était dans les temps et traversa la bourgade sans se presser. Plus loin, il découvrit le chemin mal entretenu qui menait aux anciens pontons du Yacht Club. La journée était chaude. On était en septembre, mais l’été se prolongeait bien agréablement. Il roulait les vitres baissées. Aussi, l’odeur de l’endroit le frappa-t-elle tout de suite, et il comprit pourquoi ce bel emplacement avait été abandonné et ne recevait que de rares personnes. Les égouts de la ville devaient se déverser non loin de là et s’épandaient dans les joncs et les petites plages de sable. Lorsqu’il aperçut les pontons effondrés, il fit faire demi-tour à sa voiture, la mit dans le sens du départ puis descendit, le container sous le bras.

Le troisième ponton choisi par le mystérieux correspondant était en meilleur état que les deux autres dont les piliers, rongés par l’eau, s’étaient brisés. Tout autour, l’eau stagnait sous une sorte de peau mousseuse de couleur brune. Carmina fit la grimace, sauta sur le ponton indiqué et alla jusqu’au bout. Il s’agenouilla, découvrit la chambre à air d’auto qui dépassait de l’eau et semblait retenue par le fond. En la tâtant, il découvrit qu’elle était en partie gonflée. Avec la ficelle prise dans sa poche, il lia le container le plus soigneusement possible, éprouva la solidité de l’ensemble.

Il se leva et, sans un regard pour le fleuve, il se dirigea vers sa voiture. Une minute plus tard, il débouchait sur la route, tournait à droite.

L’attaché militaire, le deuxième secrétaire et l’un des portiers de l’ambassade l’attendaient à l’entrée de Washington. Le colonel avait l’œil fixé sur son chronomètre, et lorsqu’on lui signala la Ford, il inclina la tête avec satisfaction.

— Cinquante minutes. C’est parfait. Ce garçon a accompli parfaitement son travail. Ils arrivèrent à l’ambassade en même temps que l’adjoint au délégué culturel. L’ambassadeur les attendait dans son bureau.

— Alors ?

— C’est fait, dit Carmina. L’endroit était parfaitement choisi. Très déplaisant. Rares doivent être les visiteurs.

— Avez-vous vu quelque chose ?

— Absolument rien.

— Il n’y a plus qu’à attendre.

— Je peux disposer ? demanda Carmina. Il faut que je représente notre pays à un vernissage.

— Allez-y, mon cher. Votre rôle est terminé, Carmina soupira de soulagement. Un temps, il avait craint d’être soupçonné. Cette mission aurait été une mise à l’épreuve.

— N’oubliez pas de rendre la voiture en location.

— Tout de suite, Excellence.

D’ailleurs, il s’y rendit directement, récupéra son coupé Honda et reprit la route de Quantico. Il était certain de retrouver son homme assez rapidement.

Installé dans la végétation aquatique importante de l’autre rive du Potomac, Carl Harvard avait vu arriver l’envoyé de l’ambassade vénézuélienne, à l’aide de ses jumelles. L’homme avait exécuté docilement toutes les indications qu’il avait données. Puis il était remonté dans sa voiture et était reparti. Harvard attendit cinq bonnes minutes avant de bouger.

D’ailleurs, il n’avait pas grand-chose à faire. La chambre à air pouvait supporter le poids du container, même partiellement gonflée. Elle était attachée à un fil nylon spécial pour la pêche à l’espadon, qu’il avait lesté de petits plombs de telle sorte qu’il était immergé au fond de la rivière, et ne risquait pas d’être cassé par un bateau ou de s’enrouler dans une hélice. Maintenant, il ne lui restait plus qu’à haler l’ensemble.

Le géographe s’estimait très satisfait de son système. Même si la rive droite était surveillée, les autres n’auraient pas le temps d’intervenir pour l’intercepter. Il fallait traverser la rivière et cela leur prendrait au moins une bonne demi-heure. Un délai suffisant pour prendre le large. D’ailleurs, il avait confiance et pensait que les gens de l’ambassade se fichaient pas mal de lui, mais désiraient surtout entrer en possession de la carte photographique indiquant le tracé de la route secrète « Fidel Castro ».

Tout en halant le container, il surveillait les environs avec attention. L’endroit était particulièrement calme, engourdi par la chaleur encore estivale. Il sourit en découvrant dans ses jumelles l’ustensile ménager qui contenait une petite fortune. Le même jour, il allait fixer un rendez-vous aux Colombiens pour le lendemain. La même somme. On pouvait faire quelque chose avec soixante mille dollars.