Выбрать главу

Kovask reposa les deux photographies.

— Puis-je voir José Carmina ?

— Je lui ai demandé de ne pas quitter l’ambassade tant que vous n’étiez pas venu.

Un garçon d’une trentaine d’années, mince et élégant, entra dans le bureau. Kovask le trouva sympathique et eut l’impression de serrer une main franche.

— Commander Serge Kovask. Un ami qui veut bien s’occuper de cette malheureuse affaire, dit l’ambassadeur.

— Excusez-moi à l’avance si je vous fais recommencer une fois encore votre récit.

Carmina s’y prêta de bonne grâce et raconta ce qu’il avait fait lors de la remise de la rançon. Il parla de la chambre à air qui flottait à proximité du ponton.

— Elle était fixée ?

— Lestée, certainement. Depuis que nous avons lu ces articles sur la mort de ce Carl Harvard, je comprends mieux comment il avait opéré. Le fil nylon devait reposer, lesté, au fond du Potomac. Il n’a eu qu’à tirer pour ramener le container et la chambre.

— Vous n’avez rien vu ?

— Je suis rentré directement ici. Ensuite, je suis allé rendre la voiture louée, et de là à une exposition, un vernissage de peinture où je représentais mon pays.

Kovask nota le lieu, l’heure et le nom du peintre. Carmina resta impassible. C’était le point faible de son histoire, mais il espérait que l’officier de marine n’irait pas vérifier. Du moins, pas tout de suite. Plus tard, le souvenir s’estomperait dans l’esprit des gens et personne ne se souviendrait qu’il était arrivé en retard.

En sortant de l’ambassade, Kovask se dirigea vers la National Géographie Society. Il obtint de rencontrer un certain Richardson, directeur du département de géodésie aérienne et spatiale, un homme aux cheveux blancs et au teint rosé.

— Ce pauvre Harvard… Aller se faire assassiner si bêtement. Un crime crapuleux ? Je ne sais pas. Peut-être une histoire de mœurs. Un type si bizarre…

Kovask commença par trouver Richardson assez répugnant. On n’avançait pas de telles méchancetés à la légère.

— Pour moi, il aura embarqué un jeune et… Enfin, vous me comprenez. Une fille ne l’aurait pas tué.

Puis-je rencontrer ses collègues ?

— Je vais les faire appeler.

— Inutile de vous déranger, je vais aller les trouver. Je vous remercie infiniment…

L’autre se dressait, marchait vers la porte.

— Mais laissez-moi…

— Je veux les voir seuls. Désolé, mais ceci est très important, me comprenez-vous ?

— Parfaitement, articula péniblement Richardson.

Heureux de ce contretemps, les subordonnés de Harvard entourèrent Kovask dès qu’il leur eût expliqué le motif de sa visite.

— La police nous a déjà interrogés, dit miss Jane, mais nous n’avons pu dire grand-chose. Campus, je veux dire M. Harvard, ne parlait pas beaucoup et on ne connaissait pas sa vie privée.

— Oui, dit un petit type rigolard. Il n’y avait aucun contact entre nous et lui. Pas un mauvais type, mais à part son travail… D’ailleurs, il était très fort.

— Ça, c’est vrai, dit un troisième plus âgé, et sans lui le département aurait été confié à quelqu’un d’autre… S’il avait été plus intransigeant, moins timide.

Kovask s’installa au bureau d’Harvard, fouilla dans les tiroirs.

— De quoi s’occupait-il en ce moment ?

Les autres se regardèrent avec indécision.

— Exactement… Nous venions de terminer l’exécution d’un plan de travail et il devait en préparer un autre.

— N’était-il pas intéressé par l’Amérique du Sud ? dit-il négligemment.

Miss Jane réagit sur-le-champ :

— Mais si, justement. Il travaillait sur des photographies du S.A.C. et il avait demandé des réductions de documents au chef des travaux… Mais je me souviens des documents en question.

Elle fonça vers le fichier, clama joyeusement :

— Ils sont encore en place.

Puis elle se dirigea vers le classeur mentionné, prit un dossier, l’ouvrit et resta coite.

— Mais il est vide.

— Vous êtes sûre ?

— Regardez.

— Mais pourtant, le fichier…

Seul, Kovask se taisait. Harvard avait dû faire disparaître les preuves de sa culpabilité Pour poursuivre, il faudrait contacter le Stratégie Air Command, c’est-à-dire alerter en même temps la C.I.A.

— Je ne comprends pas, murmurait miss Jane…

— Une erreur de classement ?

— Dans ce cas, fit-elle avec découragement, il faudra bouleverser tout ça. Des milliers de dossiers.

D’un geste ample, elle désignait les classeurs. Il lui tapota gentiment sur l’épaule :

— Aucune importance. Si, à l’occasion, vous remettez la main dessus… Je téléphonerai de temps en temps.

Le chef des travaux, seul, paraissait regretter sincèrement Harvard.

— Nous sommes entrés ensemble ici et c’était un bon copain. Oh ! pas du genre à payer un verre à la sortie, mais pour vous rendre service il était toujours prêt !

— Vous souvenez-vous de ces réductions de photographies qu’il vous avait demandées ?

— Bien sûr. C’était un bûcheur et un intuitif. Il aurait dû être à la tête de ce département.

— Il ne vous reste rien de ces réductions ?

L’autre sourit, découvrant une multitude de dents en or.

— Rien. C’est interdit. Les documents rejoignent vite leurs dossiers. C’est normal, non ?

Kovask se mordait la lèvre, se demandant comment il pourrait y arriver quand même.

— En dehors du boulot, vous le fréquentiez ?

— J’aurais bien aimé, mais sa femme… Oh ! pas méchante, mais molle… Décourageante… Capable de passer la soirée avec vous sans dire deux mots. La mienne, ça ne lui plaît pas… Alors…

— Merci.

Dans la grande salle, il s’approcha du fichier, sourit à miss Jane pour qu’elle le rejoigne.

— Il y a les références au sujet de ces photographies ?

— Les nôtres, oui. Voyez : N.A.S.A., ou bien S.A.C., ou bien encore Navy… Mais pour savoir d’où elles viennent exactement… Peut-être, M. Richardson…

Le directeur paraissait de mauvaise humeur. Il ne consentit à parler qu’à regret.

— La N.A.S.A., le S.A.C. ne nous donnent pas tellement d’indications. Sur les photos, il y avait l’heure, les relevés géographiques, évidemment.

— Avez-vous des fois eu besoin de doubles ? Il leva les bras au ciel.

— On y a renoncé. Cela paraissait suspect, ou bien on nous demandait des mois.

— Alors, à l’arrivée, vous les établissiez vous-même ? Richardson soupirai :

— Oui, dans le mois qui suivait, mais je crois que Harvard n’y a nullement songé. Je vous le dis, il était bizarre et…

Pas songé ? Un oubli volontaire, certainement, pour rester le seul possesseur du secret. La route secrète Fidel Castro. L’équivalent de la piste Ho Chi-minh multipliée par trois ou quatre. Une importance énorme. En quelques mois, l’Amérique du Sud pouvait se trouver à feu et à sang, avec des armes chinoises ou russes débarquées en un point secret et acheminées à toute allure vers le centre du continent. De quoi bouleverser des dizaines de millions d’habitants.

Il prit congé de Richardson, et se préoccupa de trouver une cabine téléphonique pour avertir le commodore Gary Rice du peu de résultat de ses démarches.

— Le plus grave, c’est cette histoire de photographies… Si nous sommes obligés de nous adresser au SAC, la C.I.A. sera alertée immédiatement.

— Mais ne rien faire, c’est courir le risque de reculer pour mieux sauter, et s’assurer ensuite le triomphe de la C.I.A. qui ne manquera pas de flétrir nos atermoiements.