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Elle eut un sourire insolent, un sourire de sale gamine.

— Si tout ça c’est dans ma tête, tu n’as rien à craindre.

— Petite conne ! Tu joues peut-être avec le feu et tu ne t’en rends même pas compte !

Il avait hurlé. Sur sa gauche, Diane sentit le regard des serveurs immobiles : c’était sans doute la première fois qu’ils voyaient Charles Helikian dans cet état.

— Tu es inconsciente, reprit-il un ton plus bas. En admettant… je dis bien : en admettant que tu aies raison, tu ne peux pas t’impliquer là-dedans. C’est l’affaire de la police.

Il demanda, sans lui laisser le temps de répliquer :

— Et cette ceinture ? En quoi pourrait-elle être un indice d’autre chose ? Elle n’était pas fermée : le rapport de l’expert est catégorique là-dessus. Alors qu’est-ce que…

— Je suis sûre de l’avoir fermée.

Une vague sombre rembrunit le visage de Charles.

— Alors quoi ? C’est Lucien qui… ?

— Lucien dormait à poings fermés. Je l’observais dans le rétroviseur.

— Qu’imagines-tu ? Elle se serait ouverte toute seule ?

Diane s’approcha. Charles ne lui arrivait qu’aux épaules. Elle chuchota, sur le ton d’une confidence :

— Tu connais la formule : quand on a épuisé tous les possibles, que reste-t-il ? L’impossible.

Charles la fixait, front brillant, regard noir.

— Quel impossible ?

Diane se pencha encore. Elle revit l’intérieur de la voiture : le sang, le verre, les zones d’ombre, le duvet froissé. Sa voix était suave, langoureuse, et en même temps voilée de frayeur :

— L’impossible, c’est que je n’étais pas seule avec l’enfant dans la voiture.

23

DEHORS, les jardins des Champs-Elysées tissaient une ronde de pluie et de lumière. L’averse accentuait les éclats du soleil qui perçait çà et là. Les feuillages cliquetaient dans le vent, répondant aux raies de la pluie par de fines arabesques verdoyantes. Diane chaussa ses lunettes noires et hésita sur le perron.

Elle était bouleversée d’avoir révélé son hypothèse à haute voix. Celle d’un homme qui se serait caché dans sa voiture, sans doute sous le duvet ou dans le coffre, et qui aurait détaché la ceinture de Lucien durant le trajet sur le périphérique. Une espèce d’homme-suicide, prêt à mourir dans l’étau de métal pour simplement s’assurer que le petit garçon ne bénéficierait d’aucune protection.

Bien sûr, cela ne tenait pas debout. Qui se serait exposé à un tel risque ? Pourquoi se sacrifier en s’enfermant au cœur d’un piège ? D’ailleurs, après l’accident, on n’avait pas retrouvé la moindre trace d’un autre passager. Pourtant, Diane ne parvenait pas à se départir de cette conviction. Le voiturier apparut. Il dit avec précipitation :

— Votre véhicule va arriver tout de suite, madame.

Le ton de la voix, les traits du visage exprimaient précisément le contraire. Diane demanda :

— Que se passe-t-il ?

L’homme en uniforme lança un regard désespéré vers le parking.

— C’est votre ami. Il a dit qu’il se chargeait de tout…

— Quel ami?

— Le grand monsieur qui vous attendait. Il a dit qu’il allait manœuvrer jusqu’ici mais… (il jetait des coups d’œil effarés de tous côtés) je… je ne vois pas le…

Diane repéra sa voiture, à trente mètres, sous la frondaison d’un tilleul. Elle traversa la terrasse de gravier à grandes enjambées. Dans les reflets ondulés du pare-brise, elle distingua la silhouette de Patrick Langlois qui s’acharnait sur la clé de contact. Elle frappa à la vitre. Le flic sursauta puis sourit avec confusion. Il ouvrit la portière.

— J’avais oublié que ces bagnoles de location ont un code. Désolé. Je voulais vous faire une surprise…

Diane n’était pas sûre d’être en colère.

— Poussez-vous, dit-elle.

Le géant passa avec difficulté sur le siège passager. Elle se glissa à l’intérieur et demanda :

— Qu’est-ce que vous foutez là ? Vous me faites suivre ?

Le policier prit une expression offusquée.

— J’avais envoyé un de mes gars vous chercher pour le déjeuner. Quand il est arrivé chez vous, vous étiez en train de partir. Il n’a pas résisté. Il vous a filée jusqu’ici et m’a appelé.

— Pourquoi n’êtes-vous pas entré dans le restaurant ?

Il désigna son col ras du cou.

— La cravate. Je n’avais pas prévu.

Diane sourit; elle n’était décidément pas en colère. Le policier ajouta aussitôt :

— Je sais :j’aurais dû sortir ma carte. Tenter le passage en force.

Elle éclata de rire. Au contact de cet homme et de son apparente insouciance, elle se sentait plus légère, plus claire, comme lavée de ses angoisses. Pourtant Langlois demanda, en désignant le restaurant :

— Vous vous entendez bien avec votre beau-père ?

Le ton de la question déplut à Diane.

— Qu’est-ce que vous imaginez?

L’homme tapota sa vitre du bout des ongles, en jetant un coup d’œil distrait vers les jardins.

— Je n’imagine rien. Je vois beaucoup de trucs, c’est tout. (Ses yeux rirent.) Dans mon boulot, je veux dire.

Diane à son tour orienta son regard vers les jardins. L’averse avait chassé les passants, les mères avec leurs enfants, les marchands de timbres. Il ne restait plus qu’un paysage scintillant, animé de reflets. Des flaques immobiles. Des houles de vert. Des façades de pierre, vernies de pluie. Elle songea à une plage à marée basse. Elle éprouva soudain des envies de douceur, de convalescence, de sucreries et de bonbons à la menthe. Elle interrogea :

— Pourquoi vouliez-vous me voir?

Le dossier du flic se matérialisa entre ses mains.

— Je voulais vous donner des nouvelles. Vous faire part de mes hypothèses.

Il farfouilla parmi ses fiches. Langlois semblait appartenir à cette nouvelle école, snob et décalée, qui refusait l’emprise de la technologie sur la vie quotidienne. Le genre de type qui pouvait se lancer dans l’apologie du cahier à spirale ou refuser de posséder un téléphone portable. Il commença :

— Dans cette affaire, on collectionne les aberrations. Il y a la sauvagerie du meurtre. La force apparente du tueur. En même temps, sa taille supposée : pas plus d’un mètre soixante. Mais il reste encore un autre mystère. Purement anatomique.

Langlois s’arrêta. La pluie martelait sur le toit une sarabande légère. D’un signe de tête, Diane l’encouragea à poursuivre.

— On ignore comment le tueur a pu trouver l’aorte, à tâtons, au sein des viscères. Selon nos légistes, même un chirurgien expérimenté ne s’y retrouverait pas… (Il prit une nouvelle inspiration, puis :) Cela fait beaucoup d’impossibilités. J’ai donc changé mon fusil d’épaule. Je me suis demandé s’il ne s’agissait pas d’un rite, d’une technique de sacrifice pratiquée, par exemple, au Viêt-Nam.

— Qu’avez-vous découvert ?

— D’abord, rien de tangible. En tout cas en Asie du Sud-Est. Mais un ethnologue du musée de l’Homme m’a orienté sur l’Asie centrale — Sibérie, Mongolie, Tibet, nord-ouest de la Chine… J’ai rencontré d’autres spécialistes. Selon l’un d’eux, une technique de ces pays pourrait coïncider avec la méthode du meurtre.

Qu’est-ce que vous voulez dire ? Un mode de sacrifice ?

— Non. Une pratique beaucoup plus prosaïque. C’est comme ça qu’on tue le bétail. On effectue une incision sous la cage thoracique, on glisse son bras à l’intérieur de la bête et on lui tord l’aorte, à mains nues.