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Il se retourna pour regarder le marchand. L’homme resta courbé comme il l’était jusqu’à ce qu’Egeanine ait avancé de dix pas, puis il se redressa et se hâta dans l’autre sens, à grandes enjambées bondissantes le long de la pente.

Egeanine et les gardes de Domon ne s’intéressèrent pas non plus à la troupe de cavaliers seanchans qui grimpaient aussi la colline et les dépassèrent. Les soldats étaient à califourchon sur des créatures qui ressemblaient presque à des chats de la taille d’un cheval mais avec des écailles de lézard couleur de bronze ondulant sous leur selle. Des pattes griffues agrippaient le cailloutis. Une tête à trois yeux pivota pour examiner Domon quand la troupe arriva à leur hauteur ; toute autre considération mise à part, elle avait l’air trop… perspicace pour la paix d’esprit de Domon. Il trébucha et faillit tomber. Tout le long de la rue, les habitants de Falme reculaient et s’aplatissaient contre la façade des maisons, certains fermant les yeux. Les Seanchans ne leur adressaient pas un regard.

Domon comprit pourquoi les Seanchans pouvaient accorder aux gens autant de liberté. Il se demanda s’il aurait eu assez de sang-froid pour résister. Des damanes. Des monstres. Il se demanda ce qui pourrait empêcher les Seanchans d’avancer jusqu’à l’Échine du Monde. Pas mon affaire, se rappela-t-il avec rudesse, et il chercha s’il n’y aurait pas moyen d’éviter les Seanchans dans ses futures expéditions commerciales.

Ils atteignirent le sommet de la pente, où la ville cédait la place à des collines. Il n’y avait pas de mur d’enceinte. Devant eux se trouvaient les auberges accueillant les marchands qui commerçaient dans l’intérieur du pays, et des écuries et des cours où ranger les chariots. Ici, les maisons auraient fait de respectables manoirs pour les seigneurs de rang modeste à Illian. La plus vaste avait devant sa façade une garde d’honneur de soldats seanchans, et une bannière bordée de bleu arborant un faucon d’or aux ailes déployées flottait au-dessus.

Egeanine abandonna son épée et son poignard avant d’emmener Domon à l’intérieur. Ses deux gardes restèrent dans la rue. Domon commença à transpirer. Il pressentait dans cette histoire la présence d’un seigneur ; faire affaire avec un seigneur sur le propre terrain de celui-ci n’était jamais bon.

Dans le vestibule, Egeanine laissa Domon près de la porte et s’adressa à un serviteur. Un homme de la région, à en juger par les amples manches de sa chemise et les spirales brodées sur sa poitrine. Domon crut entendre les mots « Puissant Seigneur ». Le serviteur s’éloigna vivement et, quand il revint, les conduisit finalement à ce qui devait être à coup sûr la plus vaste pièce de la demeure. Tout le mobilier en avait été enlevé, même les tapis, et le dallage de pierre était poli jusqu’à en briller. Des paravents peints d’oiseaux bizarres masquaient murs et fenêtres.

Egeanine s’arrêta aussitôt qu’elle eut pénétré à l’intérieur de la salle. Quand Domon voulut demander où ils se trouvaient et pourquoi, elle lui intima silence d’un regard féroce et d’un grondement inarticulé. Elle était immobile mais paraissait prête à bondir sur la pointe des pieds. Elle tenait ce qu’elle avait emporté de son bateau comme si c’était précieux. Il tenta d’imaginer ce que cela pouvait être.

Soudain un gong résonna doucement et la Seanchane tomba à genoux, déposant soigneusement à côté d’elle le quelque chose enveloppé de soie. Sur un coup d’œil d’elle, Domon s’agenouilla aussi. Les seigneurs ont des manières curieuses et il soupçonna les seigneurs seanchans d’en avoir de plus étranges que celles qu’il connaissait.

Deux hommes apparurent dans l’encadrement de la porte à l’autre extrémité de la salle. L’un avait le côté gauche du crâne rasé, le reste de ses cheveux blond pâle était natté et pendait sur son oreille jusqu’à l’épaule. Sa robe jaune foncé tombait jusqu’à terre juste assez pour laisser apparaître furtivement le bout de pantoufles jaunes quand il marchait. L’autre portait une robe de soie bleue brochée d’un motif d’oiseaux et assez longue pour traîner de près d’une fois sa hauteur derrière lui. Il avait la tête complètement rasée et ses ongles égalaient au moins la dimension de deux jointures de doigts, les ongles de l’index et du majeur de chaque main étaient laqués de bleu. Domon en resta bouche bée.

« Vous êtes en présence du Haut et Puissant Seigneur Turak qui conduit Ceux-qui-Viennent-en-avant et prête son aide au Retour », psalmodia l’homme blond.

Egeanine se prosterna, les mains le long des flancs. Domon l’imita vivement. Même les Puissants Seigneurs de Tear n’en demandent pas tant, songea-t-il. Du coin de l’œil, il aperçut Egeanine qui baisait le sol. Avec une grimace, il décida qu’il y avait des limites à l’imitation. Ils ne peuvent pas voir si je m’exécute ou non, de toute façon. Soudain Egeanine se releva. Il commença aussi à se redresser et avait plié un genou quand un grognement de gorge d’Egeanine et un air scandalisé sur la face de l’homme à la tresse le ramenèrent à sa position première, face au sol et rageant entre ses dents. Je ne ferais pas cela pour le Roi d’Illian et le Conseil des Neuf réunis.

« Votre nom est Egeanine ? » Ce devait être la voix de l’homme en robe bleue. Sa diction, avaleuse de syllabes, suivait un rythme qui ressemblait presque à du chant.

« J’ai été ainsi nommée le Jour-de-mon-épée, Puissant Seigneur, répliqua-t-elle d’un ton plein d’humilité.

— C’est un beau spécimen, Egeanine. Tout à fait rare. Désirez-vous une récompense ?

— Que le Puissant Seigneur soit satisfait est une récompense suffisante. Je vis pour servir, Puissant Seigneur.

— Je mentionnerai votre nom à l’Impératrice, Egeanine. Après le Retour, de nouveaux noms seront intégrés dans la liste du Sang. Montrez-vous apte et vous pourrez rejeter le nom d’Egeanine pour un autre plus noble.

— Le Puissant Seigneur m’honore.

— Oui. Vous pouvez vous retirer. »

Domon ne voyait que ses bottes sortant à reculons de la salle, s’arrêtant par intervalles pour des révérences. La porte se referma derrière elle. Le silence perdura. Domon regardait la sueur dégoutter de son front par terre quand Turak prit de nouveau la parole.

« Vous pouvez vous relever, négociant. »

Domon se mit sur pied et vit ce que Turak tenait dans ses doigts aux ongles démesurés. Le disque de cuendillar en forme de l’antique sceau des Aes Sedai. Se rappelant la réaction d’Egeanine quand il avait mentionné les Aes Sedai, Domon commença à transpirer à grande eau. Il n’y avait pas d’animosité dans les yeux noirs du Puissant Seigneur, seulement une légère curiosité, mais Domon ne se fiait pas aux seigneurs.

« Savez-vous ce qu’est ceci, négociant ?

— Non, Puissant Seigneur. » Domon avait répondu d’un ton ferme comme le roc ; aucun marchand ne survivrait longtemps s’il était incapable de mentir avec un visage impassible et une voix normale.

« Et cependant vous le conservez dans un emplacement secret.

— Je collectionne de vieux objets des temps passés, Puissant Seigneur. Il y en a qui volent ces choses-là, s’ils peuvent mettre facilement la main dessus. »

Turak contempla pendant un instant le disque noir et blanc. « Ceci est en cuendillar, négociant – connaissez-vous ce nom ? – et plus ancien que vous ne l’imaginez peut-être. Venez avec moi. »

Domon le suivit avec circonspection, se sentant un peu plus rasséréné. Avec n’importe quel seigneur des pays où il avait voyagé, si des gardes devaient être convoqués, ils l’auraient déjà été. Mais le peu qu’il avait vu des Seanchans lui avait appris qu’ils ne se conduisaient pas comme les autres hommes. Il contraignit son expression à rester calme.