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Il arpentait la rue si vite que Loial n’eut pas à modérer son allure pour rester à côté de lui. « Nous devons trouver un moyen de sortir de la cité, Loial. Ce tour de passe-passe avec les invitations ne tiendra pas plus de deux ou trois jours. Si Ingtar n’est pas arrivé d’ici là, nous devons partir de toute façon.

— D’accord, dit Loial.

— Mais comment ? »

Loial commença à dénombrer les faits sur le bout de ses gros doigts. « Fain est dans le Faubourg, sinon il n’y aurait pas de Trollocs là-bas. Si nous sortons à cheval, ils nous sauteront dessus dès que nous serons hors de vue de la ville. Si nous voyageons avec un convoi de marchands, ils nous attaqueront certainement. » Aucun marchand n’avait plus de cinq ou six gardes du corps et ils prendraient sûrement leurs jambes à leur cou dès qu’ils apercevraient un Trolloc. « Dommage que nous ne sachions pas de combien de Trollocs Fain dispose, ni de combien d’Amis du Ténébreux. Vous avez diminué leur nombre. » Il ne mentionna pas le Trolloc qu’il avait tué mais, d’après sa mine rembrunie, ses longs sourcils qui pendaient sur ses joues, il y songeait.

« Peu importe combien il y en a, répliqua Rand. Dix ne vaut pas mieux que cent. Que dix Trollocs nous attaquent, à mon avis nous ne nous en tirerions pas cette fois-ci. » Il évita de penser à la façon dont il pourrait, pourrait peut-être seulement, terrasser dix Trollocs. Somme toute, cela n’avait pas marché quand il avait voulu se porter au secours de Loial.

« Je ne le crois pas non plus. Je n’ai pas l’impression que nous avons assez d’argent pour voyager loin en bateau. D’ailleurs, en admettant même que nous en ayons suffisamment et que nous tentions de nous rendre aux quais du Faubourg… eh bien, Fain doit les faire surveiller par des Amis des Ténèbres. S’il présume que nous prendrons un bateau, je suis convaincu qu’il se moquerait pas mal que quelqu’un voie les Trollocs. Même au cas où nous aurions le dessus dans une bagarre avec les Trollocs, nous devrions nous expliquer devant les gardes de la cité et ils ne voudraient certainement pas admettre que nous sommes dans l’incapacité d’ouvrir le coffre, donc…

— Pas question que des Cairhienins aient connaissance de ce coffre, Loial. »

L’Ogier hocha la tête. « Et les quais de la cité sont également inaccessibles. » Les quais de la cité étaient réservés aux péniches de céréales et aux bateaux de plaisance des seigneurs et des dames. Personne n’y pénétrait sans autorisation. On pouvait les regarder depuis les remparts, mais c’était une hauteur de chute qui romprait même le cou de Loial. Loial agita le pouce comme s’il cherchait aussi pour cela un argument valable. « C’est dommage, vraiment, que nous ne puissions atteindre le Stedding Tsofu. Les Trollocs ne pénètrent jamais dans un stedding, mais ils ne nous donneraient jamais le temps de parcourir un aussi long trajet sans passer à l’attaque. »

Rand ne répondit pas. Ils étaient parvenus au grand poste de garde juste à l’intérieur de la porte par laquelle ils étaient entrés à Cairhien le premier jour. De l’autre côté, le Faubourg fourmillait d’une foule tourbillonnante et deux gardes les surveillaient. Rand eut vaguement conscience qu’un homme, portant ce qui avait été naguère de solides vêtements à la mode du Shienar, replongeait dans la foule en le voyant, mais il n’en était pas certain. Il y avait trop de gens en costumes de trop de régions, qui tous se hâtaient. Il gravit le perron du poste où il pénétra, passant devant des sentinelles revêtues de cuirasses qui encadraient l’entrée.

Le vaste vestibule comprenait des bancs durs en bois pour ceux qui avaient à faire là, principalement des gens attendant avec une humble patience, aux simples habits sombres qui étaient la marque distinctive du petit peuple le plus modeste. Il y avait parmi eux quelques Faubouriens, signalés par la vétusté et les vives couleurs de leur tenue, qui espéraient sans doute l’autorisation de chercher du travail à l’intérieur des remparts.

Rand se dirigea tout droit vers la longue table au fond de la salle. Un seul homme y était assis, pas un soldat, avec une unique barre verte en travers de sa cotte. Personnage corpulent dont la peau semblait prête à éclater, il aligna des documents sur la table et modifia par deux fois la position de son encrier avant de lever les yeux en adressant à Rand et à Loial un sourire artificiel.

« En quoi puis-je vous être utile, mon Seigneur ?

— De la même façon que j’espérais votre aide hier, ainsi qu’avant-hier et le jour précédent, répliqua Rand avec plus de patience qu’il n’en ressentait. Le Seigneur Ingtar est-il arrivé ?

— Le Seigneur Ingtar, mon Seigneur ? »

Rand aspira une grande bouffée d’air et la relâcha lentement. « Le Seigneur Ingtar de la Maison de Shinowa, dans le Shienar. Le même dont j’ai demandé des nouvelles chaque fois que je me suis présenté ici.

— Personne de ce nom n’est entré dans la cité, mon Seigneur.

— En êtes-vous certain ? N’avez-vous pas besoin de consulter au moins vos listes ?

— Mon Seigneur, les listes d’étrangers qui sont venus à Cairhien circulent entre les postes de garde au lever et au coucher du soleil, et je les examine dès qu’elles me sont apportées. Aucun seigneur du Shienar n’est entré dans Cairhien depuis quelque temps.

— Et la Dame Séléné ? Avant que vous me posiez de nouveau la question, j’ignore à quelle Maison elle appartient, mais je vous ai donné son nom et je vous l’ai décrite trois fois. N’est-ce pas suffisant ? »

L’employé ouvrit les mains dans un geste d’impuissance. « Je suis navré, mon Seigneur. Ne pas connaître sa Maison rend les choses très difficiles. » Son expression était neutre. Le dirait-il même s’il était au courant, Rand se le demanda.

Un mouvement sur le seuil d’une des portes derrière le bureau attira l’attention de Rand – un homme qui s’apprêtait à entrer dans le vestibule tournait précipitamment les talons.

« Peut-être le Capitaine Caldevwin saura-t-il me renseigner, dit Rand au commis.

— Le Capitaine Caldevwin, mon Seigneur ?

— Je viens de le voir derrière vous.

— Je suis désolé, mon Seigneur. S’il existait un Capitaine Caldevwin au poste de garde, je le saurais. »

Rand le dévisagea jusqu’à ce que Loial lui touche l’épaule. « Rand, mieux vaudrait partir, je crois.

— Merci de votre obligeance, dit Rand d’une voix crispée. Je reviendrai demain.

— Je suis heureux de rendre service autant que c’est en mon pouvoir », répliqua le commis avec son sourire factice.

Rand sortit à grands pas du poste, si vite que Loial dut se presser pour le rattraper dans la rue. « Il mentait, soyez-en sûr, Loial. » Il ne ralentit pas, au contraire il précipita plutôt l’allure comme s’il pouvait se soulager un peu de sa frustration par l’exercice physique. « Caldevwin était bien là-bas. Il a menti peut-être sur toute la ligne. Aussi bien Ingtar est déjà là, en train de nous chercher. Je parie que ce bonhomme connaît aussi Séléné.

— Possible, Rand. Le Daes Dae’mar…

— Par la Lumière, je suis fatigué d’entendre parler du Grand Jeu. Je ne veux pas y jouer. Je ne veux pas y participer. » Loial continua à marcher à côté de lui, sans rien dire. « D’accord, reprit finalement Rand. On croit que je suis un seigneur et, dans Cairhien, même les seigneurs étrangers participent au Jeu. J’aurais bien aimé n’avoir jamais endossé cette tunique. » Moiraine, songea-t-il avec amertume. Elle me cause encore des ennuis. Presque aussitôt, cependant, bien qu’à regret, il admit qu’en toute honnêteté elle ne pouvait être tenue pour responsable de ce qui se passait ici. Il y avait toujours eu une bonne raison de feindre d’être ce qu’il n’était pas. D’abord pour soutenir le moral de Hurin, puis pour essayer de faire impression sur Séléné. Après Séléné, il n’avait pas trouvé moyen de cesser. Il ralentit le pas jusqu’à s’arrêter complètement. « Quand Moiraine m’a laissé partir, j’ai cru que les choses étaient de nouveau simples. Même aller en quête du Cor, même avec… avec tout ça, j’ai pensé que ce serait simple. » Même avec le saidin dans ta tête ? « Par la Lumière, que ne donnerais-je pas pour que tout recommence à être simple.