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Vérine était en train d’aider à se relever un Hurin encore ébranlé. « Je me sens tout à fait d’aplomb, s’exclama-t-il. Toujours un peu fatigué, mais… » Il laissa sa phrase inachevée, manifestement voyant Vérine pour la première fois et pour la première fois comprenant ce qui s’était passé.

« La lassitude persistera quelques heures, répondit-elle. Le corps doit faire un effort pour se guérir rapidement. »

La Déchiffreuse cairhienine se redressa. « Aes Sedai ? » murmura-t-elle. Vérine inclina la tête et la Déchiffreuse plongea dans une révérence cérémonieuse.

Bien que prononcés très bas, les mots « Aes Sedai » furent repris par la foule sur un ton allant du profond respect à la crainte et à l’indignation. Tous les yeux étaient fixés sur eux à présent – même Cuale ne prêtait plus attention à sa propre auberge en feu – et Rand songea qu’en somme un peu de prudence serait de mise.

« Avez-vous déjà un logement ? demanda-t-il. Il faut que nous parlions et nous ne le pouvons pas ici.

— Bonne idée, approuva Vérine. Je m’étais installée au Grand Arbre lors d’un séjour précédent. Allons-y. »

Loial partit chercher les chevaux – le toit de l’auberge s’était complètement effondré maintenant, mais les écuries étaient intactes – et ils se frayèrent bientôt un chemin par les rues, tous en selle sauf Loial qui affirma s’être réhabitué à marcher. Perrin tenait la longe d’un des chevaux de bât qu’ils avaient amenés dans le sud.

« Hurin, questionna Rand, quand serez-vous en forme pour relever de nouveau leur piste ? Pouvez-vous la suivre ? Les hommes qui vous ont frappé et ont allumé l’incendie ont laissé une piste, n’est-ce pas ?

— Je peux la suivre tout de suite, mon Seigneur. Je les ai sentis dans la rue. L’odeur ne durera pas, cependant. Il n’y avait pas de Trollocs et ils n’ont tué personne. Rien que des hommes, mon Seigneur. Des Amis du Ténébreux, je suppose, mais on ne peut jamais en être sûr par l’odeur. Nous disposons d’un jour, disons, avant qu’elle se dissipe.

— Je ne crois pas non plus qu’ils sachent ouvrir le coffre, Rand, remarqua Loial, sinon ils se seraient contentés d’emporter le Cor. S’ils en avaient été capables, ç’aurait été beaucoup plus facile que de se charger du coffre. »

Rand acquiesça d’un signe de tête. « Ils ont dû le déposer dans une charrette ou sur le dos d’un cheval. Une fois qu’ils auront dépassé le Faubourg, ils rejoindront les Trollocs, c’est certain. Vous serez en mesure de repérer cette piste-là, Hurin.

— Effectivement, mon Seigneur.

— Alors, reposez-vous jusqu’à ce que vous soyez rétabli », conclut Rand. Le Flaireur avait retrouvé de l’assurance, mais il était affaissé sur sa selle et ses traits étaient las. « Au mieux, ils n’ont que quelques heures d’avance sur nous. Si nous marchons à vive allure… » Il s’aperçut subitement que les autres – Vérine et Ingtar, Mat et Perrin – le regardaient. Il prit conscience de ce qu’il était en train de faire et il rougit. « Pardonnez-moi, Ingtar. C’est simplement que je me suis habitué à assumer des responsabilités, je suppose. Je n’essaie pas de m’emparer de votre place. »

Ingtar hocha lentement la tête. « Moiraine a bien choisi quand elle a conseillé au Seigneur Agelmar de vous nommer mon second. Peut-être aurait-il mieux valu que le Trône d’Amyrlin vous confie cette charge. » Le Shienarien eut un rire sec. « Du moins avez-vous réussi à toucher pour de bon le Cor. »

Après cela, ils chevauchèrent en silence.

Le Grand Arbre aurait pu passer pour le double du Défenseur du Rempart du Dragon, haut cube de pierre avec une salle commune lambrissée de bois sombre et décorée d’argent, et une grande pendule luisante sur le manteau de la cheminée. L’aubergiste aurait pu être la sœur de Cuale. Maîtresse Tiedra avait la même apparence quelque peu rebondie et la même onctuosité dans ses manières – ainsi que les mêmes yeux perçants, le même air d’écouter ce qu’il y a derrière les mots que vous prononcez. Cependant Tiedra connaissait Vérine et son sourire d’accueil pour l’Aes Sedai fut chaleureux ; elle ne mentionna jamais à haute voix le mot Aes Sedai, mais Rand était certain qu’elle était au courant.

Tiedra et un essaim de serviteurs s’occupèrent de leurs chevaux et les installèrent dans leurs chambres. Bien que celle de Rand fût aussi belle que celle qui avait brûlé, il s’intéressa surtout à la grande baignoire de cuivre que deux serviteurs introduisirent tant bien que mal par la porte, et aux seaux fumants que des servantes montèrent de la cuisine. Un coup d’œil au miroir au-dessus de la table de toilette lui avait montré un visage qu’il donnait l’impression d’avoir frotté avec du charbon de bois et des macules noires tachaient le drap de laine rouge de sa tunique.

Il se déshabilla et entra dans la baignoire, mais il se plongea dans ses réflexions autant que dans l’eau et réfléchit autant qu’il se lava. Vérine était là. Une des trois Aes Sedai dont il pouvait être sûr qu’elles n’essaieraient pas de le neutraliser ou de le livrer à celles qui seraient prêtes à le faire. Ou du moins cela en avait-il l’apparence. Une de ces trois qui tenaient à ce qu’il se croie le Dragon Réincarné pour l’utiliser comme faux Dragon. Elle est les yeux de Moiraine qui me surveillent, la main de Moiraine qui tente de tirer mes fils de marionnette. Mais j’ai coupé ces fils.

Ses sacoches de selle avaient été apportées dans sa chambre, ainsi qu’un paquet contenant des vêtements de rechange qui avait été arrimé sur le cheval de bât. Après s’être essuyé, il ouvrit le paquet – et soupira. Il avait oublié que les deux autres tuniques en sa possession étaient aussi ornées que celle qu’il avait jetée sur le dos d’une chaise pour qu’une servante la nettoie. Au bout d’un instant, il choisit la noire, comme étant en accord avec son humeur. Des hérons d’argent se dressaient sur le col droit et des torrents d’argent couraient le long de ses manches, leur flot se pulvérisant en écume contre des rocs aux arêtes vives.

Transférant dans cette tunique ce que contenait la première, il trouva les parchemins. Machinalement, il fourra les invitations dans sa poche tout en étudiant les deux lettres de Séléné. Il se demanda comment il avait pu être aussi stupide. C’était la jeune et belle fille d’une noble Maison. Lui était un berger dont les Aes Sedai cherchaient à se servir, un homme condamné à devenir fou s’il ne mourait pas avant. N’empêche, il sentait encore l’attirance qu’elle exerçait sur lui, rien qu’à regarder son écriture ; il sentait presque son parfum.

« Je suis un berger, dit-il aux lettres, pas un homme illustre et s’il m’était possible de me marier avec quelqu’un ce serait avec Egwene, mais elle veut devenir une Aes Sedai et comment puis-je épouser une femme, quelle qu’elle soit, l’aimer, alors que je vais devenir fou et la tuerai peut-être ? »

Néanmoins des mots ne suffisaient pas à estomper le souvenir qu’il gardait de la beauté de Séléné ni ce don qu’elle avait de lui échauffer le sang simplement en le regardant. Il avait quasiment l’impression qu’elle se trouvait dans la pièce, qu’il percevait son parfum, à tel point qu’il jeta un coup d’œil autour de lui et rit de se découvrir seul.

« Je rêve tout éveillé comme si j’avais déjà le cerveau brouillé », murmura-t-il.

D’un geste brusque, il écarta le manchon de la lampe sur la table de nuit, l’alluma et plaça les lettres dans la flamme. Au-dehors, autour de l’auberge, le bruit du vent devint un rugissement de tempête, s’infiltrant à travers les volets et attisant la flamme qui engloutit les parchemins. Rand jeta précipitamment dans l’âtre froid les lettres qui brûlaient, juste avant que le feu atteigne ses doigts. Il attendit que le dernier fragment recroquevillé et noirci se soit éteint avant de boucler le ceinturon de son épée et de quitter la chambre.