— Nous avions peur l’un et l’autre, répliqua Rand. Peut-être sommes-nous une pauvre paire de héros, mais nous n’avons pas mieux sous la main. Heureusement qu’Ingtar nous accompagne.
— Seigneur Rand, demanda timidement Hurin, pouvons-nous… partir, à présent ? »
Le Flaireur souleva une foule d’objections à ce que Rand franchisse le mur le premier sans savoir ce qui l’attendait de l’autre côté, jusqu’à ce que Rand lui fasse remarquer qu’il était le seul d’entre eux à être armé. Même alors, Hurin n’eut pas l’air enchanté de laisser Loial soulever Rand pour qu’il attrape la crête du mur et passe par-dessus.
Rand atterrit debout, ses semelles heurtant le sol avec un bruit sourd, et il scruta la nuit en tendant l’oreille. Pendant un instant, il crut voir quelque chose bouger, entendre une botte racler l’allée de brique, mais aucun de ces faits ne se répéta et il les mit sur le compte de sa nervosité. Il se dit qu’il avait bien le droit d’être nerveux. Il pivota sur ses talons pour aider Hurin à descendre.
« Seigneur Rand, questionna le Flaireur dès que ses pieds furent solidement posés sur le sol, comment nous débrouillerons-nous pour les suivre, maintenant ? D’après ce que j’ai appris là-dessus, toute la bande pourrait être à cette heure de l’autre côté de la terre, dans n’importe quelle direction.
— Vérine connaîtra un moyen. » Rand eut soudain envie de rire ; pour trouver le Cor et le poignard – s’ils demeuraient trouvables à présent – il était obligé de s’en remettre de nouveau aux Aes Sedai. Elles lui avaient rendu sa liberté d’action et voilà qu’il était contraint d’aller de nouveau à elles. « Je ne laisserai pas mourir Mat en restant les bras croisés. »
Loial les rejoignit et ils retournèrent vers le manoir où ils furent accueillis à la porte basse par Mat qui l’ouvrait à l’instant où Rand tendait la main vers le loquet. « Vérine dit que vous ne devez rien tenter. Si Hurin a découvert l’endroit où est déposé le Cor, alors elle dit que nous ne pouvons pas nous avancer davantage pour le moment. Elle dit que nous partirons dès que vous serez de retour et que nous établirons un plan. Et moi je dis que c’est la dernière fois que je cours comme un dératé pour porter des messages. Si tu veux annoncer quelque chose à quelqu’un, désormais, parle-lui toi-même. » Mat sonda la nuit du regard derrière eux. « Est-ce que le Cor est quelque part par là-bas ? Dans un bâtiment des communs ? As-tu vu le poignard ? »
Rand le fit tourner sur lui-même et rentrer à Tinté-rieur. « Ce n’est pas une dépendance, Mat. J’espère que Vérine aura une bonne idée de la conduite à tenir maintenant ; moi, je n’en ai aucune. »
Mat désirait visiblement poser des questions, mais il ne résista pas quand il fut poussé dans le couloir mal éclairé. Il se souvint même de boiter en montant l’escalier.
Quand Rand et les autres rentrèrent dans les salles bondées de nobles, ils furent le point de mire d’un certain nombre de regards. Rand se demanda si ces gens avaient appris d’une manière ou d’une autre ce qui s’était passé au-dehors, ou s’il aurait dû envoyer Hurin et Mat attendre dans le vestibule, mais alors il se rendit compte que les regards ne différaient pas de ce qu’ils étaient auparavant, curieux et calculateurs, cherchant ce que le seigneur et l’Ogier avaient manigancé. Les serviteurs étaient invisibles pour ces gens-là. Aucun n’essaya d’approcher, puisqu’ils étaient ensemble. Apparemment, la conspiration dans le Grand Jeu était régie par des protocoles ; n’importe qui peut tenter d’écouter une conversation privée, mais on ne s’immisce pas dans cette conversation.
Vérine et Ingtar étaient debout ensemble, et donc seuls aussi. Ingtar avait l’air un peu désorienté. Vérine jeta un coup d’œil à Rand et aux trois autres, fronça les sourcils en voyant leur expression, puis rajusta son châle et se dirigea vers le vestibule.
À l’instant où ils y arrivaient, Barthanes surgit comme si quelqu’un l’avait averti de leur départ. « Vous vous en allez d’aussi bonne heure ? Vérine Sedai, ne puis-je vous prier de demeurer plus longtemps ? »
Vérine secoua la tête. « Il faut que nous partions, Seigneur Barthanes. Je n’avais pas séjourné à Cairhien depuis quelques années. J’ai été heureuse que vous ayez invité le jeune Rand. C’était… captivant.
— Alors, que la Grâce vous raccompagne en sécurité jusqu’à votre auberge. Le Grand Arbre, n’est-ce pas ? Peut-être m’accorderez-vous de nouveau la faveur de votre présence ? Vous m’honorerez, Vérine Sedai, et vous Seigneur Rand, et vous Seigneur Ingtar, sans vous oublier, Loial, fils d’Arent fils de Halan. » Son salut fut un peu plus accentué pour l’Aes Sedai, mais n’en resta pas moins qu’une légère inclination.
Vérine remercia d’un hochement de tête. « Peut-être. Que la Lumière vous illumine, Seigneur Barthanes. » Elle se dirigea vers le portail à deux vantaux.
Comme Rand esquissait un pas pour suivre les autres, Barthanes le retint en saisissant sa manche entre deux doigts. Mat eut l’air de vouloir rester aussi jusqu’à ce que Hurin l’entraîne rejoindre Vérine et ses compagnons.
« Vous prenez part au Jeu plus sérieusement que je ne l’imaginais, dit très bas Barthanes. Quand j’ai entendu votre nom, je ne pouvais pas le croire, pourtant vous êtes venu et vous correspondez à la description, et… on m’a confié un message qui vous est destiné. Je le transmettrai donc, finalement, ma foi. »
Rand avait senti un picotement le long de sa colonne vertébrale pendant que Barthanes parlait mais, à cette dernière phrase, il le regarda avec étonnement. « Un message ? De qui ? De la Dame Séléné ?
— D’un homme. Pas du genre pour qui, d’ordinaire, je me chargerais de message, mais il a… certaines… créances sur moi que je ne puis renier. Il n’a pas donné de nom mais il est originaire du Lugard. Aaah ! Vous le connaissez.
— Je le connais. » Fain a laissé un message ? Rand parcourut du regard le vaste vestibule. Mat et Vérine avec les autres attendaient près du portail. Des serviteurs en livrée se tenaient figés le long des murs, prêts à s’élancer pour obéir à un ordre et pourtant semblant ne rien entendre ni voir. Les bruits de la réunion provenaient d’autres salles à l’intérieur du manoir. Cela ne semblait pas un endroit où des Amis du Ténébreux pourraient passer à l’attaque. « Quel message ?
— Il dit qu’il vous attendra à la Pointe de Toman. Il a ce que vous cherchez et si vous en voulez vous devez aller là-bas. Si vous refusez de le suivre, il dit qu’il traquera votre sang, votre famille et ceux que vous aimez jusqu’à ce que vous l’affrontiez. Cela paraît fou, bien sûr, qu’un homme pareil menace de traquer un seigneur et pourtant il avait en lui je ne sais quoi. Je le crois fou – il a même nié que vous soyez un seigneur, ce que n’importe quel œil peut voir aisément – mais il y a quand même quelque chose. Qu’est-ce qu’il emporte avec lui, qu’il fait garder par des Trollocs ? Qu’est-ce que vous cherchez ? » Barthanes semblait se scandaliser lui-même de la manière directe dont il avait formulé ses questions.
« Que la Lumière vous illumine, Seigneur Barthanes. » Rand réussit à s’incliner, mais il avait les jambes en coton quand il rejoignit Vérine et ses compagnons. Il tient à ce que je le suive ? Et il s’en prendra au Champ d’Emond, à Tam, si je ne le fais pas. Il ne doutait pas que Fain pouvait mettre, mettrait ses menaces à exécution. Du moins Egwene est-elle en sécurité à la Tour Blanche. Il entrevit des images bouleversantes de Trollocs fonçant, horde après horde, sur le Champ d’Emond, d’Évanescents Sans-Yeux pourchassant Egwene. Mais comment puis-je le suivre ? Comment ?