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« Ce ne sont pas des séides de Barthanes, Thom. Du moins pas celui-ci. » Elle eut un mouvement de menton vers l’homme corpulent. « C’est le secret le plus mal gardé de Cairhien qu’il travaille pour la Maison de Riatin. Pour Galldrian.

— Galldrian », répéta Thom d’une voix blanche. Dans quoi ce maudit berger m’a-t-il entraîné ? Dans quoi les Aes Sedai nous ont-elles fourrés tous les deux ? N’empêche que ce sont les hommes de Galldrian qui l’ont assassinée.

Un reflet de ses réflexions avait dû passer sur son visage. Zéra déclara d’un ton sévère : « Dena te veut en vie, espèce d’imbécile ! Cherche à tuer le Roi et tu seras mort avant d’arriver à dix coudées de lui, si même tu parviens jusque-là ! » Une clameur s’éleva des remparts de la cité, comme si la moitié des habitants de Cairhien criaient. Fronçant les sourcils, Thom regarda par sa fenêtre. Au-delà du sommet des murs d’enceinte gris, par-dessus les toits du Faubourg, une épaisse colonne de fumée montait dans le ciel. Bien au-delà des remparts. À côté de ce premier cylindre noir, quelques vrilles grises s’unirent rapidement pour en former un autre et de nouvelles traînées apparurent plus loin. Il estima la distance et prit une profonde aspiration.

« Peut-être ferais-tu bien de songer aussi à t’en aller. On dirait que quelqu’un met le feu aux entrepôts de grain.

— J’ai déjà survécu à des émeutes. File maintenant, Thom. » Après un dernier regard à la forme ensevelie de Dena, il rassembla ses affaires mais, au moment où il s’apprêtait à partir, Zéra reprit la parole. « Tu as une expression menaçante dans les yeux, Thom Merrilin. Imagine Dena assise ici, vivante et se portant comme un charme. Pense à ce qu’elle dirait. Te laisserait-elle aller te faire tuer pour rien ?

— Je ne suis qu’un vieux ménestrel », répliqua-t-il depuis le seuil de la chambre. Et Rand al’Thor n’est qu’un berger, mais nous devons l’un et l’autre faire ce que nous devons. « Envers qui pourrais-je vraiment être une menace ? »

Comme il refermait soigneusement la porte, le battant cachant Zéra, cachant Dena, un sourire sans gaieté, un sourire farouche étira ses traits. Sa jambe était douloureuse, mais il la sentait à peine tandis que d’un pas décidé il se hâtait de descendre l’escalier et de quitter l’auberge.

* * *

Padan Fain retint son cheval au sommet d’une colline dominant Falme, dans un des quelques halliers clairsemés qui subsistaient encore autour de la ville. Le cheval de bât portant son précieux fardeau lui heurta la jambe et il lui décocha un coup de pied dans les côtes sans le regarder ; l’animal renâcla et recula brusquement jusqu’à l’extrémité de la longe qu’il avait attachée à sa selle. La femme n’avait pas voulu renoncer à son cheval, pas plus qu’aucun des Amis du Ténébreux qui l’avaient suivi n’avait voulu rester seul dans les collines avec les Trollocs, sans la présence protectrice de Fain. Il avait résolu aisément l’un et l’autre problème. La viande dans une marmite trolloque n’a pas besoin de cheval. Les compagnons de cette femme avaient été traumatisés par le trajet le long des Voies jusqu’à une Porte jouxtant un stedding abandonné depuis longtemps sur la Pointe de Toman, et regarder les Trollocs préparer leur repas avait rendu dociles à l’extrême les Amis du Ténébreux survivants.

Depuis l’orée du petit bois, Fain examina la ville dépourvue de remparts et ricana. Une petite caravane de marchand entrait dans un fracas de roues au milieu des écuries, des enclos à chevaux et des cours où ranger les chariots qui bordaient la ville, tandis qu’une autre sortait tout aussi bruyamment, arrachant un peu de poussière à la terre battue de la chaussée tassée par de nombreuses années de ces passages. Les hommes conduisant les chariots et les quelques autres en selle à côté d’eux étaient tous des gens du pays à en juger par leur habillement ; pourtant, les cavaliers, au moins, avaient une épée suspendue à un baudrier et même plusieurs avaient aussi arc et lance. Les soldats qu’il aperçut, et ils étaient rares, ne semblaient même pas surveiller les hommes armés qu’ils étaient censés avoir conquis.

Fain avait appris un certain nombre de choses sur ces gens, ces Seanchans, au cours des vingt-quatre heures passées sur la Pointe de Toman. Au moins autant qu’en connaissaient les vaincus. Trouver quelqu’un seul n’était jamais difficile, et il répondait toujours aux questions posées de la bonne manière. Les hommes récoltaient davantage de renseignements sur les envahisseurs, comme s’ils croyaient réellement qu’ils pourraient se servir de ce qu’ils avaient appris, mais ils essayaient parfois de garder pour eux ce qu’ils savaient. Les femmes, en général, s’intéressaient à leur propre vie quotidienne quels que soient leurs gouvernants, cependant elles remarquaient des détails qui échappaient aux hommes et elles parlaient plus vite dès qu’elles avaient cessé de crier. Les enfants étaient ceux qui parlaient le plus rapidement, mais ils disaient rarement grand-chose d’utile.

Il avait rejeté les trois quarts de ce qu’il avait entendu comme autant de calembredaines et de rumeurs devenues légendes, mais il revenait à présent sur certaines de ces conclusions. Absolument n’importe qui pouvait entrer dans Falme, apparemment. Avec un sursaut, il constata la vérité d’une « baliverne » supplémentaire comme vingt cavaliers quittaient la ville. Il ne distinguait pas très bien leurs montures, mais ce n’était certainement pas des chevaux qu’avaient enfourchés ces guerriers. Elles couraient avec une grâce fluide et leur peau sombre scintillait au soleil à la façon d’écaillés. Il tendit le cou pour continuer à les observer comme la colonne s’enfonçait dans l’intérieur des terres, puis il dirigea son cheval d’un coup de talon vers la ville.

Les gens du pays, entre les écuries, les rangées de chariots et les paddocks, ne lui adressèrent qu’un coup d’œil ou deux. Il ne s’intéressait pas non plus à eux ; il continua son chemin pour entrer en ville, sur ses chaussées pavées en cailloutis descendant vers la mer. Il voyait nettement le port et les grands vaisseaux seanchans aux formes inhabituelles ancrés là-bas. Personne ne lui chercha noise pendant qu’il explorait les rues qui n’étaient ni bondées ni désertes. Les soldats seanchans étaient plus nombreux ici. Les gens se pressaient d’aller à leurs affaires les yeux baissés, s’inclinant chaque fois que des soldats passaient, mais les Seanchans ne leur prêtaient pas attention. En surface, tout semblait paisible, en dépit des Seanchans en armure dans les rues et des vaisseaux dans le port, mais Fain sentait la tension sous-jacente. Il réussissait toujours bien ses entreprises quand les hommes étaient tendus et effrayés.

Il parvint à une grande demeure devant laquelle plus d’une douzaine de soldats montaient la garde. Fain s’arrêta et mit pied à terre. À part l’un d’eux qui était à l’évidence un officier, la plupart portaient une armure d’un noir que rien n’égayait, et leur casque le fit penser à des têtes de sauterelles. Deux bêtes à la peau ressemblant à du cuir, avec trois yeux et un bec de corne en guise de bouche, flanquaient la porte d’entrée, accroupies comme des grenouilles au repos ; le soldat qui se tenait à côté de chacune de ces créatures avait trois yeux peints sur le plastron de sa cuirasse. Fain examina l’étendard bordé de bleu flottant au-dessus du toit, le faucon aux ailes déployées agrippant des éclairs dans ses serres, et il gloussa intérieurement de joie.

De l’autre côté de la rue, des femmes entraient dans une maison ou en sortaient, des femmes reliées par des laisses d’argent, mais il ne s’en occupa pas. Il avait entendu parler des damanes par les villageois. Elles pourraient avoir une utilité plus tard, mais pas maintenant.

Les soldats le regardaient, notamment l’officier, dont l’armure était entièrement or, rouge et vert.