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Juin ne s’était pas avancé aussi près qu’elle ; il ne cessait de se frotter les mains sur le devant de sa tunique et se gardait de tourner les yeux vers la Porte.

« Merci, dit Vérine à Alar. Le besoin est grand, sinon je ne l’aurais pas demandé. »

Rand se crispa quand l’Aes Sedai passa par-dessus le muret et approcha de la Porte. Loial prit une profonde aspiration et murmura quelque chose pour lui-même. Uno et le reste des guerriers changèrent de position sur leur selle et firent jouer leur épée dans son fourreau. Il n’existait rien dans les Voies contre quoi une épée ait une utilité, mais c’était un geste pour se convaincre qu’ils étaient prêts. Seuls Ingtar et l’Aes Sedai avaient l’air calmes ; même Alar avait agrippé sa jupe à deux mains.

Vérine dégagea la feuille de l’Avendesora et Rand se pencha en avant avec une attention soutenue. Une impulsion impérieuse l’incitait à établir en lui le vide, à se trouver là où il pourrait entrer en contact avec le saidin s’il le jugeait nécessaire.

La verdure sculptée sur la face de la Porte des Voies remua sous l’effet d’une brise dont le souffle ne se sentait pas, les feuilles voltigeant tandis qu’une fente s’ouvrait au centre de la masse et que les deux vantaux commençaient à s’écarter.

Rand regarda dès que la fissure apparut. Au-delà, nul reflet d’argent mat, seulement du noir plus noir que poix. « Fermez-la ! cria-t-il. Le Vent Noir ! Fermez ! »

Vérine jeta un coup d’œil stupéfait et replaça vivement la feuille trilobée parmi toutes les variétés déjà là ; la feuille resta en place quand elle retira sa main et recula vers le muret d’enceinte. Dès que la feuille de l’Avendesora eut retrouvé sa position première, la Porte des Voies commença aussitôt à se clore. La fente disparut, les feuillages et les plantes grimpantes se fondant les uns dans les autres, masquant les ténèbres du Machin Shin, et la Porte des Voies ne fut plus que pierre, encore qu’une pierre sculptée avec une apparence de vie plus grande que cela ne semblait possible.

Alar relâcha un souffle frémissant. « Le Machin Shin. Si près.

— Il n’a pas tenté de sortir », dit Rand. Juin émit un son étranglé.

« Je vous l’ai dit, répliqua Vérine. Le Vent Noir est une créature des Voies. Il ne peut pas les quitter. » Elle avait la voix calme, mais elle frottait néanmoins ses mains sur sa jupe. Rand ouvrit la bouche, puis renonça à parler. « Et cependant, reprit-elle, je m’étonne qu’il soit ici. D’abord à Cairhien, maintenant ici. Cela m’intrigue. » Elle jeta sur Rand un coup d’œil de côté qui le fit sursauter. Il ne pensait pas que quelqu’un d’autre l’ait remarqué tant ce regard avait été rapide mais pour Rand il donnait l’impression d’établir une relation entre lui et le Vent Noir.

« Voilà une chose dont je n’avais jamais entendu parler, trouver le Machin Shin posté pour guetter l’ouverture d’une Porte, déclara lentement Alar. Il rôdait toujours dans les Voies. Seulement bien du temps a passé et peut-être le Vent Noir est-il affamé et espère s’emparer de quelqu’un qui pénétrerait innocemment par une Porte. Vérine, de toute évidence, vous ne pouvez pas utiliser cette Porte. Et si grande que soit votre nécessité, je ne puis dire que je le regrette. Les Voies appartiennent à l’Ombre, maintenant. »

Rand regarda la Porte en fronçant les sourcils. Serait-ce que ce Vent me suit ? Trop de questions se posaient. Fain avait-il en quelque sorte contraint le Vent Noir à exécuter sa volonté ? Vérine disait que c’était impossible. Et pourquoi Fain exigerait-il que lui, Rand, le rejoigne puis tente de l’en empêcher ? Il savait seulement qu’il tenait le message pour véridique. Il devait se rendre à la Pointe de Toman. S’ils découvraient le Cor de Valère et le poignard de Mat sous un buisson, il devrait encore aller là-bas.

Vérine réfléchissait, le regard perdu dans le vide. Mat était assis sur la murette, la tête dans les mains, et Perrin l’observait d’un air soucieux. Loial paraissait soulagé qu’ils ne puissent emprunter la Porte des Voies et honteux de son soulagement.

« Nous n’avons plus rien à faire ici, déclara Ingtar. Vérine Sedai, je vous ai accompagnée en dépit de mon intime conviction, mais il m’est impossible de continuer avec vous. J’ai l’intention de retourner à Cairhien. Barthanes est en mesure de m’indiquer où sont partis les Amis du Ténébreux et je m’arrangerai pour qu’il le dise.

— Fain est allé à la Pointe de Toman, répliqua Rand d’un ton las. Et où il est allé, c’est là que se trouve le Cor, ainsi que le poignard.

— Je suppose… » Perrin eut un haussement d’épaules dénotant son manque d’enthousiasme. « Je suppose que nous pourrions essayer une autre Porte des Voies. Dans un autre stedding ? »

Loial se frotta le menton et répondit aussitôt, comme pour compenser son soulagement à l’échec d’ici. « Le Stedding Cantoine est situé juste au-dessus de la rivière Iralell, et le Stedding Taijing en est à l’est, dans l’Échine du Monde. Mais la Porte des Voies dans Caemlyn, où était le bosquet, est plus proche et la Porte de Tar Valon est la plus proche de toutes.

— Quelle que soit la Porte des Voies que nous tentions d’utiliser, répliqua Vérine d’une voix distraite, je crains que nous n’y rencontrions le Machin Shin qui nous attende. »

Alar la regarda d’un air interrogateur, mais l’Aes Sedai ne dit plus rien d’audible. Elle parlait entre ses dents en secouant la tête comme si elle discutait avec elle-même.

« Ce dont nous avons besoin, suggéra timidement Hurin, c’est d’une de ces Pierres Portes. » Ses yeux allèrent d’Alar à Vérine et comme aucune ne lui intima de se taire, il poursuivit d’un ton de plus en plus assuré. « La Dame Séléné a raconté que les Aes Sedai des temps anciens avaient étudié ces mondes et que c’est ainsi qu’ils avaient su comment créer ces Voies. Et de cet endroit où nous étions… eh bien, il nous a fallu seulement deux jours – même pas – pour parcourir cent lieues. Si nous pouvions utiliser une Pierre Porte pour nous rendre dans ce monde, ou un qui lui ressemble, alors nous ne mettrions pas plus d’une semaine ou deux pour atteindre l’Océan d’Aryth, et nous pourrions revenir tour droit à la Pointe de Toman. Peut-être n’est-ce pas aussi rapide que les Voies, mais c’est de beaucoup plus court que partir à cheval pour l’ouest. Qu’en pensez-vous, Seigneur Ingtar ? Seigneur Rand ? »

C’est Vérine qui lui répondit. « Ce que vous proposez est peut-être possible, Flaireur, mais autant espérer ouvrir de nouveau cette Porte et constater que le Machin Shin n’est plus là qu’espérer découvrir une Pierre Porte. Je n’en connais pas de plus proche que dans le Désert d’Aiel. Il est vrai que nous pourrions retourner dans la Dague-du-Meurtrier-des-Siens si vous ou Rand, ou Loial pensez réussir à localiser de nouveau cette Pierre. »

Rand se tourna vers Mat. Son ami avait levé la tête avec espoir en entendant cette discussion à propos des Pierres Portes. Quelques semaines, avait dit Vérine. S’ils se contentaient de chevaucher vers l’ouest, Mat ne vivrait jamais assez longtemps pour voir la Pointe de Toman.

« Je peux la trouver », annonça Rand à contrecœur. Il avait honte de lui-même. Mat va mourir, les Amis du Ténébreux sont en possession du Cor de Valère, Fain ravagera le Champ d’Emond si tu ne le rejoins pas et tu as peur de canaliser le Pouvoir. Une fois pour aller et une fois pour revenir. Deux fois de plus ne te rendront pas fou. Au fond, ce qui lui inspirait réellement de la crainte, c’est l’ardeur qui avait flambé en lui à l’idée de canaliser encore, de sentir le Pouvoir l’envahir, de se sentir vraiment vivre.