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— Bien sûr que vous le ferez », répliqua-t-elle d’un ton apaisant. Elle prit son visage dans ses mains et il aspira soudain une bouffée d’air, se dégageant brusquement de ce qui s’était emparé de lui. Sauf que le souvenir en demeurait encore dans ses yeux. « Allons, dit-elle. Voilà qui suffira pour vous. Je vais voir comment soulager les autres. Nous pouvons encore récupérer le Cor, mais notre chemin n’est pas devenu plus facile. »

Tandis que Vérine allait de l’un à l’autre, s’arrêtant brièvement auprès de chacun, Rand s’approcha de ses amis. Quand il essaya de relever Mat, celui-ci eut un mouvement brusque et le regarda, puis il l’empoigna à deux mains par sa tunique. « Rand, jamais je n’ai raconté à personne quoi que ce soit sur… sur toi. Je ne voudrais pas te trahir. Il faut que tu le croies ! » Il avait une mine plus défaite que jamais, cependant Rand pensa que c’était principalement dû à la peur.

« Je te crois », dit-il. Il se demanda quelles existences Mat avait vécues, et ce qu’il avait fait. Il doit avoir prévenu quelqu’un, sinon il n’éprouverait pas tant d’angoisse. Il ne pouvait pas lui en tenir rigueur. C’étaient d’autres Mat, pas celui-ci. D’ailleurs, après quelques-unes des versions différentes qu’il avait vues pour lui-même… « Je te crois. Perrin ? »

Le jeune homme aux cheveux bouclés laissa en soupirant tomber ses mains qu’il avait plaquées sur sa figure. Des marques rouges étaient imprimées sur son front et ses joues à l’endroit où s’étaient enfoncés ses ongles. Ses yeux d’or masquaient ses pensées. « Nous n’avons pas grand choix, en réalité, n’est-ce pas, Rand ? Quoi qu’il arrive, quoi que nous fassions, certaines choses restent presque toujours les mêmes. » Il poussa de nouveau un profond soupir. « Où sommes-nous ? Dans un de ces mondes dont toi et Hurin parliez ?

— Nous sommes à la Pointe de Toman, répliqua Rand. Dans notre monde. Ou du moins Vérine le dit. Et c’est l’automne. »

Mat avait l’air soucieux. « Comment cela… ? Non, je ne tiens pas à savoir comment c’est arrivé. Mais alors comment découvrirons-nous maintenant Fain et le poignard ? À présent, il peut se trouver n’importe où.

— Il est ici », lui assura Rand. Il espérait ne pas se tromper. Fain avait eu tout le loisir de s’embarquer pour n’importe quelle direction. De se rendre à cheval au Champ d’Emond. Ou à Tar Valon. Veuille la Lumière qu’il ne se soit pas lassé d’attendre. S’il a fait du mal à Egwene ou à tout autre au Champ d’Emond, je… Que la Lumière me brûle, je me suis efforcé d’arriver à temps.

« Les bourgs les plus importants de la Pointe de Toman sont situés tous à l’ouest d’ici », annonça Vérine d’une voix assez forte pour que chacun l’entende. Le groupe était debout, à l’exception de Rand et de ses deux amis ; elle s’approcha de Mat et posa les mains sur lui en continuant à parler. « Non pas qu’il y ait tellement de villages assez grands pour mériter le nom de bourg. Si nous avons une chance de repérer une trace des Amis du Ténébreux, c’est par l’ouest qu’il faut commencer à chercher. Et je pense que nous ne devrions pas perdre ce qui reste de jour à demeurer assis ici. »

Quand Mat cligna des paupières et se leva – il avait encore l’air malade mais il se mouvait avec vivacité – elle posa les mains sur Perrin. Rand recula quand elle vint à lui.

« Ne soyez pas ridicule, dit-elle.

— Je ne veux pas de votre aide, chuchota-il. Ni de l’aide d’aucune Aes Sedai. »

Les lèvres de Vérine se contractèrent. « Comme il vous plaira. »

Ils se mirent aussitôt en selle et partirent vers l’ouest, laissant derrière eux la colonne de la Pierre Porte. Personne ne s’y opposa, Rand encore moins que les autres. Ô Lumière, fais que je n’arrive pas trop tard.

38

Entraînement

Assise en tailleur sur son lit, revêtue de sa robe blanche, Egwene faisait s’entrecroiser au-dessus de ses mains, selon diverses figures de jonglerie, trois minuscules boules de lumière. Elle n’était pas censée s’entraîner sans au moins une des Acceptées pour superviser l’exercice mais Nynaeve qui, le regard farouche, arpentait comme un lion en cage le devant de la petite cheminée, portait bien l’anneau au Serpent attribué aux Acceptées et le bas de sa robe blanche avait au-dessus de l’ourlet les bandes de couleur rituelles même si elle n’était pas encore autorisée à enseigner qui que ce soit. Et Egwene s’était aperçue au cours de ces treize dernières semaines qu’elle était incapable de résister à la tentation. Elle savait maintenant à quel point il était facile d’atteindre la saidar. Elle la sentait toujours présente, l’attendant comme la fragrance d’un parfum ou la sensation de la soie, l’attirant, l’attirant irrésistiblement. Et une fois qu’elle avait établi le contact, elle réussissait rarement à s’empêcher de canaliser ou du moins d’essayer. Elle échouait aussi souvent qu’elle y parvenait, mais ce n’était qu’un stimulant de plus pour persévérer.

Elle en était souvent terrifiée. Terrifiée par l’intensité de son désir de canaliser et par le sentiment d’être morne et minable quand elle ne canalisait pas, en comparaison de ce qu’elle était dans le cas contraire. Elle avait envie d’absorber la saidar par tous les pores, en dépit des avertissements qu’elle s’y consumerait entièrement, et cette envie l’effrayait plus que tout. Parfois, elle aurait aimé n’être jamais venue à Tar Valon. Par contre, la terreur ne l’arrêtait jamais longtemps, pas plus que la crainte d’être surprise par une Aes Sedai ou une des Acceptées, à part Nynaeve.

Toutefois, elle ne risquait pas grand-chose ici, dans sa propre chambre. Min était là qui la regardait, assise sur le tabouret à trois pieds, mais elle connaissait assez bien Min à présent pour savoir que Min ne la dénoncerait jamais. Elle se dit qu’elle avait eu de la chance de se faire deux vraies amies depuis son arrivée à Tar Valon.

La pièce était exiguë et dépourvue de fenêtre, comme toutes les cellules des novices. Trois courtes enjambées amenaient Nynaeve d’un mur plâtré de blanc à l’autre ; la propre chambre de Nynaeve était beaucoup plus vaste mais, comme elle ne s’était liée avec aucune des autres Acceptées, elle venait dans la chambre d’Egwene quand elle avait besoin de parler à quelqu’un, ou même comme maintenant où elle ne prononçait pas un mot. Le feu minuscule dans l’âtre étroit tenait en échec les premiers froids annonciateurs de l’automne, encore qu’Egwene fût convaincue qu’il ne serait pas aussi efficace une fois l’hiver venu. Une petite table pour étudier complétait l’ameublement, et ses possessions étaient suspendues en bon ordre à une série de patères fixées au mur ou rangées sur la courte étagère au-dessus de la table. Les novices étaient en général maintenues trop occupées pour passer du temps dans leur chambre mais aujourd’hui était une journée de repos, la troisième seulement depuis qu’elle et Nynaeve étaient arrivées à la Tour Blanche.

« Else contemplait Galad avec des yeux de crapaud mort d’amour aujourd’hui pendant qu’il s’exerçait avec les Liges », dit Min qui se balançait sur deux des trois pieds du tabouret.

Les petites boules perdirent leur rythme pendant un instant au-dessus des mains d’Egwene. « Qu’elle admire donc qui elle veut, déclara Egwene d’un ton détaché. Je me demande bien pourquoi cela m’intéresserait.

— Aucune raison, je suppose. Il est terriblement beau garçon, si l’on ne se formalise pas qu’il soit si bardé de principes. Très agréable à détailler, surtout sans sa chemise. »

Les boules tournoyèrent follement. « Je n’ai en tout cas aucune envie d’examiner Galad, avec ou sans chemise.