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« Tu as beau dire et répéter que cela t’indiffère, s’exclama Élayne, je suis persuadée que tu serais encore moins d’accord que ma mère. Il est attachant, Egwene. Plus attachant qu’aucun homme de ma connaissance, quand bien même c’est un berger. Serais-tu assez sotte pour le rejeter, tu n’aurais que toi-même à blâmer si je décide de vous tenir tête, à toi aussi bien qu’à maman. Ce ne serait pas la première fois que le Prince d’Andor n’aurait pas de titre de noblesse avant son mariage. Mais tu ne seras pas bête à ce point-là, alors n’essaie pas de nous le faire croire. Tu choisiras sans doute l’Ajah Verte et tu le prendras en tant qu’un de tes Liges. Les seules Vertes que je connais avec un seul Lige sont mariées avec lui. »

Egwene se força à rester dans le ton de la plaisanterie et répliqua qu’au cas où elle entrerait effectivement dans l’Ajah Verte, elle aurait dix Liges.

Min l’observait, les sourcils froncés, et Nynaeve observait Min pensivement. Toutes étaient devenues silencieuses quand elles échangèrent leurs vêtements contre d’autres tirés de leurs fontes et mieux appropriés pour voyager. Ce n’était pas facile de garder sa bonne humeur dans un lieu pareil.

Le sommeil vint lentement pour Egwene, troublé et rempli de cauchemars. Elle rêva non pas de Rand mais de l’homme aux yeux qui étaient de feu. Cette fois, il n’avait pas le visage masqué, et ce visage était horrible avec des brûlures presque guéries. Il se contentait de la regarder et de rire, mais c’était pire que les rêves qui suivirent, les rêves où elle était à jamais perdue dans les Voies, ceux où le Vent Noir la pourchassait. Elle fut soulagée quand la pointe de la boue de Liandrin s’enfonça dans ses côtes pour la réveiller ; elle avait la sensation de n’avoir pas dormi du tout.

Liandrin leur imposa un train d’enfer le jour d’après, ou ce qui passait pour le jour avec leurs seules lanternes comme soleil, n’acceptant de s’arrêter pour dormir que lorsqu’elles vacillèrent sur leur selle. La pierre était un lit dur, ce qui n’empêcha pas Liandrin de les arracher sans pitié au sommeil au bout seulement de quelques heures, et c’est à peine si elle attendit qu’elles montent à cheval pour continuer son chemin. Par des rampes et des ponts, des Îles et des Indicateurs.

Egwene en aperçut une telle quantité dans cette noirceur de poix qu’elle renonça à les compter. Elle avait perdu depuis longtemps la notion des heures ou des jours. Liandrin n’autorisait que de brèves haltes pour manger et laisser reposer les chevaux, et l’obscurité pesait sur leurs épaules. Elles étaient affaissées sur leur selle comme des sacs de blé, sauf Liandrin. L’Aes Sedai semblait insensible à la fatigue ou à la pénombre. Elle était aussi reposée que dans la Tour Blanche et tout aussi froide. Elle ne permettait à personne de jeter un coup d’œil au parchemin qu’elle comparait avec les Indicateurs, le renfonçant dans sa poche avec un sec « Vous n’y comprendriez rien » quand Nynaeve lui posa la question.

Et alors qu’Egwene avait du mal à garder les paupières ouvertes à force de lassitude, voilà que Liandrin s’éloignait d’un Indicateur, non pas vers un autre pont ou une autre rampe mais le long d’une ligne blanche corrodée qui s’enfonçait dans le noir. Egwene regarda ses compagnes d’un air déconcerté, puis toutes se hâtèrent de suivre. En avant, à la clarté de sa lanterne, l’Aes Sedai enlevait déjà la feuille d’Avendesora d’entre les sculptures sur une Porte de Voie.

« Nous y sommes, dit Liandrin avec un sourire. Je vous ai enfin amenées là où vous devez aller. »

40

Les Damanes

Egwene avait mis pied à terre pendant que la Porte de la Voie s’ouvrait et, quand Liandrin leur fit signe de la franchir, elle conduisit avec prudence de l’autre côté la jument à la robe épaisse. Même ainsi, aussi bien elle que Béla trébuchèrent sur des broussailles rabattues à plat par les vantaux de pierre dont l’écartement semblait soudain s’effectuer avec une lenteur croissante. Un écran de buissons denses avait entouré et masqué la Porte de la Voie. Il y avait seulement quelques arbres à proximité et une brise matinale faisait bruisser leur feuillage un peu plus coloré que ne l’avaient été les feuilles dans Tar Valon.

Elle regardait ses amies apparaître à sa suite et cela depuis une bonne minute avant de prendre conscience qu’il y avait déjà sur place des gens impossibles à apercevoir de l’intérieur des Voies. Quand elle les remarqua, elle les examina avec incertitude ; ils formaient le groupe le plus étrange qu’elle avait jamais vu et elle n’avait entendu que trop de rumeurs concernant la guerre sur la Pointe de Toman.

Des guerriers cuirassés, cinquante au moins, en armure à plates (les lames d’acier se chevauchant du haut en bas de leur torse) et casque d’un noir mat en forme de tête d’insecte, étaient en selle ou à côté de leurs chevaux, les yeux fixés sur elle et ses compagnes qui sortaient de la Porte de la Voie, échangeant entre eux des propos indistincts. Le seul homme tête nue parmi eux, un grand gaillard au teint sombre, au nez en bec d’aigle, un casque peint et doré posé sur la hanche, avait l’air stupéfait par ce qu’il découvrait. Des femmes aussi se trouvaient à côté des guerriers. Deux étaient habillées d’une simple robe gris foncé, le cou entouré d’un collier d’argent, et elles observaient avec une attention soutenue les jeunes femmes qui sortaient de la Porte de la Voie, chacune avec une autre postée tout près derrière elle comme prête à lui parler à l’oreille. Deux autres, un peu à l’écart, avaient des panneaux brodés d’éclairs arborescents ornant leurs corsages et leurs jupes, lesquelles étaient amples, divisées pour monter à cheval et s’arrêtaient au-dessus de leurs chevilles. La plus étonnante était la dernière qui reposait nonchalamment dans un palanquin porté par huit hommes musclés au torse nu, en large pantalon noir. Les côtés de sa tête étaient rasés de sorte que demeurait seule une épaisse crinière de cheveux noirs qui déferlaient le long de son dos. Une longue tunique couleur crème bordée de fleurs et d’oiseaux dans des ovales bleus était soigneusement disposée pour laisser voir sa jupe plissée blanche, et ses ongles avaient près d’un bon pouce de long, les deux premiers de chaque main laqués de bleu.

« Liandrin Sedai, questionna Egwene avec inquiétude, savez-vous qui sont ces gens ? » Ses amies tortillaient entre leurs doigts la bride de leurs chevaux comme se demandant si elles ne devraient pas les enfourcher et s’enfuir, mais Liandrin replaça la feuille d’Avendesora et s’avança d’un pas assuré tandis que les battants de la Porte commençaient à se refermer.

« La Haute et Puissante Dame Suroth », dit Liandrin d’un ton à mi-chemin entre l’interrogation et l’affirmation.

L’occupante du palanquin esquissa un hochement de tête minimal. « Vous êtes Liandrin. » Elle escamotait les syllabes de telle façon qu’Egwene mit un moment à la comprendre. « Aes Sedai », ajouta Suroth avec un certain rictus, et un murmure monta du groupe des guerriers. « Nous devons en finir vite ici, Liandrin. Il y a des patrouilles et il ne faudrait pas qu’on nous trouve. Vous ne prendriez pas plus que moi plaisir aux attentions des Chercheurs de Vérité. J’ai l’intention d’être de retour à Falme avant que Turak sache que j’en étais partie.

— De quoi parlez-vous ? s’exclama Nynaeve d’un ton impératif. De quoi parle-t-elle, Liandrin ? »