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« Vous serez une des meilleures », conclut Renna avec des accents de satisfaction. Sa main caressa les cheveux d’Egwene, du geste d’une maîtresse flattant son chien.

Nynaeve se pencha en dehors de sa selle pour chercher à voir de l’autre côté de l’écran de buissons aux feuilles épineuses. Son regard rencontra des arbres éparpillés, certains avec des feuilles virant aux couleurs d’automne. Les étendues d’herbe et de broussailles entre eux semblaient désertes. Rien ne bougeait pour autant qu’elle pouvait le distinguer, à l’exception de la colonne de fumée en train de se disperser qui montait du lauréole et qui oscillait dans la brise.

C’était son œuvre, cela, le lauréole, et la foudre qui avait jailli une fois d’un ciel serein, y compris quelques autres astuces qu’elle n’avait songé à tenter que lorsque ces deux femmes les avaient essayées contre elle. Elle se dit qu’elles devaient œuvrer ensemble d’une manière ou d’une autre, sans arriver à comprendre la relation de l’une par rapport à l’autre, les deux étant unies par une laisse. L’une portait un collier, mais la seconde était aussi effectivement enchaînée qu’elle. Ce dont Nynaeve était certaine, c’est que l’une ou les deux étaient des Aes Sedai. Elle ne les avait jamais aperçues assez nettement pour distinguer l’aura entourant traditionnellement la personne qui canalise, mais il devait y en avoir une.

Ma foi, je serais ravie de parler d’elles à Sheriam, songea-t-elle ironiquement. Tiens donc, les Aes Sedai n’utilisent pas le Pouvoir comme arme, vraiment ? En tout cas, elle l’avait fait. Elle avait au moins jeté à terre ces deux femmes avec le coup de foudre et elle avait vu l’un des guerriers, ou plutôt son corps, s’enflammer au contact de la boule de feu qu’elle avait créée et lancée sur eux. Par contre, voilà un certain temps qu’elle n’avait plus aperçu aucun de ces inconnus.

La sueur perlait sur son front et ne provenait pas entièrement de la fatigue. Son contact avec la saidar avait disparu et elle était incapable de le rétablir. Dans le premier accès de colère en découvrant que Liandrin les avait trahies, la saidar était apparue presque avant qu’elle s’en rende compte, le Pouvoir Unique la submergeant. Elle avait eu l’impression d’être capable de réaliser n’importe quoi. Et aussi longtemps qu’on l’avait pourchassée, la rage d’être traquée comme une bête sauvage l’avait soutenue. Maintenant ses poursuivants s’étaient évanouis dans la nature. Plus elle passait de temps sans voir d’ennemis sur qui frapper, plus elle s’était mise à craindre qu’ils ne lui tombent dessus par surprise d’une manière ou d’une autre, et plus elle avait le loisir de se demander avec inquiétude ce qu’il advenait d’Egwene, d’Élayne et de Min. À présent, elle était forcée de reconnaître que son sentiment dominant était la peur. Peur pour elles, peur pour elle-même. C’est de colère qu’elle avait besoin.

Quelque chose remua derrière un arbre.

La respiration lui manqua et elle tâtonna à la recherche de la saidar, mais tous les exercices que Sheriam et les autres lui avaient enseignés, toutes les corolles dépliant leurs pétales dans son esprit, tous les ruisseaux imaginaires qu’elle contenait comme entre des berges, n’y faisaient rien. Elle la sentait, sentait la Source, mais elle ne parvenait pas à établir le contact avec elle.

Élayne sortit de derrière l’arbre, prudemment ramassée sur elle-même, et les muscles de Nynaeve se détendirent de soulagement. La robe de la Fille-Héritière était terreuse et déchirée, sa chevelure dorée était un enchevêtrement de boucles et de feuilles, ses yeux aux aguets étaient aussi dilatés que ceux d’un faon effrayé, mais elle tenait d’une main ferme son poignard à courte lame. Nynaeve rassembla ses rênes et sortit du couvert.

Élayne eut un sursaut convulsif, puis sa main se porta à sa gorge et elle aspira une grande bouffée d’air. Nynaeve descendit de cheval et les deux jeunes femmes s’étreignirent, réconfortées de s’être retrouvées.

« Pendant un moment, dit Élayne quand elles finirent par se séparer, j’ai cru que vous étiez… Savez-vous où ils sont ? Il y avait deux hommes qui me suivaient. Quelques minutes de plus et ils me rattrapaient, mais un cor a sonné et ils ont tourné bride et filé au galop. J’étais bien visible, Nynaeve, et ils sont partis, sans plus.

— J’ai entendu aussi ce cor et je n’ai pas rencontré un seul guerrier depuis. Avez-vous vu Egwene ou Min ? »

Élayne secoua la tête en se laissant choir sur le sol où elle s’assit. « Pas depuis… Cet homme a frappé Min, il l’a assommée. Et une de ces femmes s’efforçait de passer quelque chose autour du cou d’Egwene. C’est tout ce que j’ai aperçu avant de m’enfuir. Je ne crois pas qu’elles se soient échappées, Nynaeve. J’aurais dû tenter quelque chose. Min a planté son couteau dans la main qui m’agrippait, et Egwene… je me suis simplement mise à courir, Nynaeve. Je me suis rendu compte que j’étais libre et je me suis enfuie. Maman serait sage d’épouser Gareth Bryne et d’avoir une autre fille aussi vite que possible. Je ne suis pas digne de monter sur le trône.

— Ne jouez pas les sottes, riposta Nynaeve. Rappelez-vous que j’ai un paquet de racines de langue-de-mouton parmi mes herbes. » Élayne avait la tête dans les mains ; la taquinerie ne provoqua même pas un murmure. « Écoutez-moi, mon petit. M’avez-vous vue rester pour combattre vingt ou trente hommes armés, pour ne rien dire des Aes Sedai ? Si vous aviez attendu, le plus probable et de beaucoup c’est que vous seriez prisonnière aussi. En admettant qu’ils ne vous aient pas simplement tuée. Ils avaient l’air, je ne sais trop pourquoi, de s’intéresser à Egwene et à moi. Cela leur aurait peut-être été égal que vous soyez demeurée en vie ou non. » Pourquoi s’intéressent-ils à Egwene et à moi ? Pourquoi à nous en particulier ? Pourquoi Liandrin a-t-elle fait ça ? Pourquoi ? Elle n’avait pas plus de réponse maintenant qu’elle n’en avait eu la première fois qu’elle s’était posé ces questions.

« Si j’étais morte en essayant de les secourir…, commença Élayne.

— … vous seriez morte. Et cela ne servirait pas à grand-chose, ni à vous ni à elles. Maintenant, debout et secouez la poussière de votre robe. » Nynaeve fouilla dans ses fontes à la recherche d’une brosse à cheveux. « Et recoiffez-vous. »

Élayne se releva lentement et prit la brosse avec un petit rire. « À vous entendre, on croirait écouter ma vieille nourrice Lini. » Elle commença à passer la brosse dans ses cheveux avec une grimace à chaque nœud qui résistait. « Mais comment allons-nous les secourir, Nynaeve ? Vous êtes aussi forte qu’une Sœur professe quand vous êtes en colère, mais elles aussi ont des femmes capables de canaliser. Je n’arrive pas à croire qu’elles sont des Aes Sedai, n’empêche qu’elles en sont peut-être. Nous ne savons même pas dans quelle direction on les a emmenées.

— À l’ouest, répliqua Nynaeve. Cette créature de malheur Suroth a mentionné Falme et c’est aussi loin à l’ouest que l’on puisse se rendre sur la Pointe de Toman. Nous irons à Falme. J’espère que Liandrin y est. Je lui ferai maudire le jour où sa mère a posé les yeux sur son père. Mais d’abord je crois que mieux vaut nous procurer des costumes du pays. J’ai vu des Tarabonaises et des Domanies à la Tour et leurs vêtements ne ressemblent en rien à ce que nous portons. À Falme, on repérerait tout de suite que nous sommes des étrangères.

— Cela m’est égal de mettre une robe domanie – quoique maman piquerait sûrement une crise si jamais elle l’apprenait et Lini m’en rebattrait les oreilles jusqu’à la fin des temps – mais même si nous trouvons un village, avons-nous les moyens d’acheter de nouvelles robes ? Je n’ai aucune idée de la somme que vous avez, mais je n’ai que dix marcs d’or et peut-être le double en pièces d’argent. Cela nous durera deux ou trois semaines, seulement je ne sais pas comment nous nous débrouillerons ensuite.