— Elles lui ont barré l’accès à la Vraie Source. » Élayne était blême.
« Peu importe, reprit Nynaeve avec calme. Nous ne laisserons pas la même chose nous arriver.
— Bien, bien, cela se passera peut-être comme vous l’assurez, mais je m’en souviendrai jusqu’à ma dernière heure. « Ryma, au secours ». Voilà ce qu’elle criait. Et une des damanes s’est affalée par terre en pleurant, et les autres ont attaché un de ces colliers au cou de la… jeune femme, et moi… j’ai pris la fuite. » Il haussa les épaules, se frotta le nez et contempla fixement son vin. « J’ai vu capturer trois femmes et je ne peux pas le supporter. Je serais prêt à laisser ma vieille grand-mère sur le quai pour lever l’ancre d’ici, mais je me devais de vous avertir.
— Egwene disait qu’ils ont deux prisonnières, commenta Min d’une voix lente. Ryma, une Jaune, et elle ignorait qui était l’autre. » Nynaeve lui adressa un coup d’œil sévère et elle se tut en rougissant. À voir l’air de Domon, cela n’aurait nullement plaidé en faveur de leur cause de lui apprendre que les Seanchans détenaient non pas une mais deux Aes Sedai.
Cependant il se mit brusquement à dévisager Nynaeve et avala une longue gorgée de vin. « Serait-ce la raison pour laquelle vous êtes ici ? Pour libérer… ces deux-là ? Vous avez dit que vous seriez trois.
— Vous savez ce que vous avez besoin de savoir, lui rétorqua Nynaeve avec autorité. Vous devez être prêt à larguer les amarres à tout moment dans les deux ou trois jours qui viennent. Le voulez-vous, ou resterez-vous ici pour voir si on va finalement vous couper le cou ? Il y a d’autres bateaux, Capitaine, et j’ai l’intention de m’assurer un passage sur l’un d’eux aujourd’hui. »
Min retint son souffle ; sous la table, ses doigts s’étaient noués.
Finalement, Domon hocha la tête. « Je serai prêt. »
Quand elles ressortirent dans la rue, Min fut surprise de voir Nynaeve s’affaisser contre la façade de l’auberge dès que la porte fut refermée. « Êtes-vous malade, Nynaeve ? » demanda-t-elle avec anxiété.
Nynaeve respira à fond et se redressa en ajustant son manteau. « Il y a des gens avec qui il faut se montrer sûr de soi. Si vous laissez paraître le plus petit doute, ils vous entraîneront dans une direction où vous n’avez pas envie d’aller. Par la Lumière, je craignais qu’il ne s’apprête à dire « non ». Venez, nous avons des plans à mettre au point. Il y a encore un ou deux petits problèmes à résoudre.
— J’espère que tu n’as rien contre le poisson, Min », commenta Élayne.
Un ou deux petits problèmes ? répéta Min pour elle-même en les suivant. Elle souhaita de tout son cœur que Nynaeve ne feigne pas cette fois encore d’être sûre d’elle.
44
Ils partiront à cinq
Perrin regardait les villageois du coin de l’œil, en remontant avec gêne sur ses épaules une cape trop courte, brodée sur la poitrine et percée de quelques trous qui n’avaient même pas été raccommodés, mais personne ne se retourna sur lui en dépit de l’association bizarre de ces vêtements et de la hache à son côté. Hurin portait sous son manteau un surcot avec des spirales bleues en travers de la poitrine et Mat avait enfilé d’amples chausses dont le bas bouffait au-dessus des bottes où elles étaient enfoncées. C’est tout ce qu’ils avaient réussi à trouver à peu près à leur taille dans le village abandonné. Perrin se demanda si celui-ci ne serait pas bientôt déserté aussi. La moitié des maisons de pierre étaient vides et, devant l’auberge, plus loin sur la chaussée en terre battue, trois chariots tirés par des bœufs, trop lourdement chargés en hauteur et bâchés de toile assujettie par des cordes, attendaient au milieu de familles rassemblées autour.
Comme il les observait, serrés les uns contre les autres et adressant leurs adieux à ceux qui restaient – au moins pour le moment, Perrin conclut que l’attitude de ces villageois ne traduisait pas un manque d’intérêt à l’égard d’inconnus ; en fait, ils évitaient soigneusement de se tourner vers lui et ses compagnons. Ces gens avaient appris à ne pas montrer de curiosité envers des étrangers, même des étrangers qui n’étaient manifestement pas seanchans. Les étrangers présentaient le risque d’être dangereux à cette époque sur la Pointe de Toman. Ils avaient constaté la même indifférence voulue dans d’autres villages. Il y avait par ici un plus grand nombre de bourgs à quelques lieues de la côte, chacun se considérant comme indépendant. En tout cas jusqu’à l’arrivée des Seanchans.
« À mon avis, il est temps d’aller chercher les chevaux, avant qu’ils se décident à poser des questions, dit Mat. Il faudra bien en arriver là. »
Hurin contemplait fixement un grand cercle de terrain noirci qui tranchait désagréablement sur l’herbe jaunie du pré communal. Il n’avait pas l’air récent, mais personne n’avait rien tenté pour l’effacer. « Remonte à six ou huit mois, mais pue encore. Tous les Conseillers du Village et leurs familles. Pourquoi ont-ils perpétré une horreur pareille ?
— Qui sait pourquoi ils font quoi que ce soit ? marmonna Mat. Les Seanchans n’ont apparemment pas besoin de raisons pour tuer. Aucune qui me vienne en tête, je l’avoue. »
Perrin s’efforçait de ne pas regarder l’emplacement carbonisé. « Hurin, êtes-vous sûr en ce qui concerne Fain ? Hurin ? » Cela avait été difficile d’arracher le Flaireur à cette contemplation depuis qu’ils avaient pénétré dans le village. « Hurin !
— Comment ? Oh. Fain. Oui. » Les narines de Hurin se dilatèrent et aussitôt il plissa le nez. « Impossible de s’y tromper, même que cela date d’un certain temps. À côté, un Myrddraal paraît sentir la rose. Il est bien passé par là, mais je crois qu’il était seul. Sans Trollocs, c’est sûr, et s’il avait des Amis du Ténébreux avec lui, ils n’ont pas commis grands méfaits ces derniers temps. »
Du côté de l’auberge se manifestait une certaine agitation, des gens s’exclamaient et tendaient le bras. Ni vers Perrin ou les deux autres mais vers quelque chose que Perrin ne voyait pas, dans les collines basses à l’est du village.
« On va chercher les chevaux maintenant ? dit Mat. Ce sont peut-être des Seanchans. »
Perrin acquiesça d’un signe de tête et ils s’élancèrent au pas de course vers l’endroit où ils avaient attaché leurs montures derrière une maison abandonnée. Comme Mat et Hurin disparaissaient au coin de cette maison, Perrin regarda en arrière dans la direction de l’auberge et s’immobilisa, stupéfait. Les Enfants de la Lumière entraient dans le bourg, en longue colonne.
Il fonça à la suite des autres. « Des Blancs Manteaux ! »
Ils ne perdirent qu’un bref instant à le regarder d’un air incrédule avant de se hisser précipitamment en selle. Laissant des maisons entre eux et la rue principale, les trois sortirent du village au galop en direction de l’ouest, avec un coup d’œil par-dessus l’épaule pour guetter si on les poursuivait. Ingtar leur avait recommandé d’éviter tout ce qui risquait de les retarder, et les Blancs Manteaux en posant des questions n’y manqueraient pas, même si eux imaginaient des réponses satisfaisantes. Perrin guettait avec encore plus d’attention que les deux autres ; il avait des raisons personnelles pour ne pas vouloir rencontrer des Blancs Manteaux. La hache dans mes mains. Par la Lumière, que ne donnerais-je pas pour changer cela.