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Les collines parsemées de bois masquèrent bientôt le village et Perrin commença à penser que finalement rien ne les pourchassait. Il tira sur ses rênes et fit signe aux autres de s’arrêter. Quand ils eurent obtempéré, l’air interrogateur, il tendit l’oreille. Son ouïe était plus fine que naguère, mais il ne perçut aucun martèlement de sabots.

À contrecœur, il lança son esprit à la recherche de loups. Il en trouva presque aussitôt, une petite meute qui se reposait pour la journée dans les collines au-dessus du village qu’ils venaient de quitter. Les loups éprouvèrent d’abord une stupeur si forte que Perrin eut presque l’impression que c’était lui qui la ressentait ; ces loups avaient entendu des rumeurs, mais ils n’avaient pas vraiment cru que des Deux-Pattes savaient parler à ceux de leur espèce. Perrin sua sang et eau pendant les minutes qu’il lui fallut pour passer du stade où il se présenta – il projeta malgré lui l’image de Jeune Taureau et ajouta sa propre odeur, selon la coutume en usage parmi les loups ; les loups étaient très attachés à l’étiquette lors des premiers contacts – mais il parvint à la longue à transmettre sa question. Ils ne s’intéressaient pas réellement à des Deux-Pattes qui ne pouvaient pas communiquer avec eux, mais ils finirent par descendre discrètement voir ce qu’il en était, invisibles aux yeux sans pénétration des Deux-Pattes.

Au bout d’un moment, des images se présentèrent à lui, ce que les loups voyaient. Des cavaliers en cape blanche parcouraient le village, passaient au milieu des maisons, tournaient autour de l’agglomération, mais aucun ne s’éloignait. En particulier en direction de l’ouest. Les loups dirent que tout ce qu’ils sentaient se diriger vers l’ouest c’était lui-même et deux autres Deux-Pattes avec trois des grands aux pieds durs.

Perrin rompit le contact avec soulagement. Il savait que Mat et Hurin le regardaient.

« Ils ne nous suivent pas, dit-il.

— Qu’est-ce qui t’en rend si sûr ? protesta Mat, agressif.

— Je le sais », rétorqua sèchement Perrin, qui ajouta plus doucement : « Je le sais, voilà tout. »

Mat ouvrit la bouche, la referma, dit finalement : « Eh bien, s’ils ne nous donnent pas la chasse, je suis d’avis que nous retournions retrouver Ingtar et la piste de Fain. Ce poignard ne se rapprochera pas tout seul si nous restons plantés là.

— Impossible de rejoindre la piste aussi près de ce village, objecta Hurin. Pas sans risquer de tomber sur des Blancs Manteaux. Je ne crois pas que le Seigneur Ingtar apprécierait, ni Vérine Sedai. »

Perrin acquiesça d’un signe de tête. « De toute façon, nous ne la prendrons pas pour plus d’une demi-lieue. Mais soyez sur vos gardes. Nous ne devons plus être bien loin de Falme, à présent. Cela n’arrangerait pas nos affaires d’éviter les Blancs Manteaux pour tomber sur une patrouille seanchane. »

Comme ils se remettaient en route, il ne put s’empêcher de se demander ce que des Blancs Manteaux faisaient dans cette région.

Assis sur sa selle, Geofram Bornhald scrutait la grand-rue tandis que la légion se répandait dans le petit bourg et l’encerclait. Quelque chose chez l’homme aux épaules massives qui s’était éclipsé, quelque chose réveillait en lui un souvenir. Oui, bien sûr. Le garçon qui avait prétendu être forgeron. Comment s’appelait-il donc ?

Byar arrêta sa monture devant lui, la main sur le cœur. « Nous nous sommes assurés du bourg, mon Seigneur Capitaine. »

Les villageois engoncés dans leurs lourdes pelisses en peau de mouton que les guerriers à la cape blanche rassemblaient près des chariots surchargés devant l’auberge tournaient en rond avec malaise. Des enfants en pleurs se cramponnaient à la jupe de leur mère, mais personne n’arborait un air de défi. Les yeux des adultes avaient un regard morne, ils attendaient passivement ce qui allait arriver. Pour cela, au moins, Bornhald était reconnaissant. Il n’avait franchement pas le désir de faire un exemple parmi ces gens et pas la moindre envie de perdre du temps.

Mettant pied à terre, il jeta ses rênes à l’un des Enfants. « Veillez à ce que les hommes prennent un repas. Byar, enfermez les prisonniers dans l’auberge avec autant de nourriture et d’eau qu’ils peuvent en porter, puis clouez toutes les portes et les volets. Arrangez-vous pour les persuader que je laisse quelques hommes pour les garder, hein ? »

Byar porta de nouveau la main à son cœur et fit tourner son cheval pour lancer des ordres. Le rassemblement recommença dans l’auberge au toit plat, tandis que d’autres Enfants fouillaient les maisons à la recherche de marteaux et de clous.

Observant les visages empreints de tristesse qui défilaient devant lui, Bornhald se dit que deux ou trois jours se passeraient probablement avant que l’un d’eux trouve assez de courage pour forcer un passage hors de l’auberge et découvre qu’il n’y avait pas de sentinelles. Deux ou trois jours, il n’avait pas besoin de plus, mais il n’avait pas l’intention de courir le risque que les Seanchans aient à présent vent de sa présence.

Laissant derrière lui assez d’hommes pour faire croire aux Inquisiteurs que sa légion entière était toujours éparpillée dans la Plaine d’Almoth, il avait amené plus de mille Enfants presque jusqu’au bout de la Pointe de Toman sans donner l’alarme, pour autant qu’il le sache. Trois escarmouches avec des patrouilles seanchanes s’étaient vite terminées. Les Seanchans s’étaient habitués à affronter un ramassis de gens minés déjà par la défaite ; les Enfants de la Lumière avaient été une surprise accablante. Néanmoins, les Seanchans savaient combattre comme les hordes du Ténébreux, et il ne pouvait s’empêcher de se rappeler la rencontre qui lui avait coûté plus de cinquante hommes. Il n’aurait toujours pas su dire laquelle des deux femmes criblées de flèches qu’il avait contemplées ensuite était l’Aes Sedai.

« Byar ! » Un des hommes de Bornhald lui tendait de l’eau dans une chope en terre prise sur un des chariots ; elle lui glaça la gorge.

L’homme au visage décharné sauta à bas de sa selle. « Oui, Seigneur Capitaine ?

— Quand j’engagerai le combat avec l’ennemi, Byar, dit avec lenteur Bornhald, vous n’y prendrez pas part. Vous observerez à distance et vous irez rapporter à mon fils ce qui se passera.

— Mais, mon Seigneur Capitaine… !

— C’est mon ordre, Enfant Byar, répliqua-t-il d’un ton cassant. Vous l’exécuterez, oui ? »

Byar raidit l’échine et regarda droit devant lui. « Puisque vous le commandez, Seigneur Capitaine. »

Bornhald l’examina un instant. Cet homme obéirait, mais mieux valait lui donner un autre objectif que d’apprendre à Dain de quelle façon son père était mort. Ce n’est pas comme s’il manquait d’informations précieuses à envoyer d’urgence à Amador. Depuis cette escarmouche avec les Aes Sedai – y en avait-il une ou étaient-elles deux ? Trente Seanchans, de bons guerriers, et deux femmes m’ont coûté deux fois plus de pertes que celles qu’ils ont subies – depuis lors, il ne pensait plus partir vivant de la Pointe de Toman. Au cas bien aléatoire où les Seanchans n’y veilleraient pas, les Inquisiteurs s’en chargeraient probablement.

« Quand vous aurez trouvé mon fils – il devrait être avec le Seigneur Capitaine Eamon Valda près de Tar Valon – et l’aurez averti, vous irez à Amador faire votre rapport au Seigneur Capitaine Commandant. À Pedron Niall en personne, Enfant Byar. Vous lui exposerez ce que nous avons appris sur les Seanchans ; je vais l’écrire pour vous. Assurez-vous qu’il comprenne que nous ne pouvons plus compter que les sorcières de Tar Valon se contentent d’influer dans l’ombre sur les événements. Si elles combattent ouvertement pour les Seanchans, nous aurons sûrement à les affronter ailleurs. » Il hésita. Ce dernier point était le plus important de tous. Il fallait que l’on sache sous la Coupole de Vérité qu’en dépit de tous leurs serments tant vantés les Aes Sedai participaient aux combats. Cela lui serrait le cœur, ce monde où les Aes Sedai usaient du Pouvoir dans une guerre ; il n’était pas certain de regretter de le quitter. Mais il y avait encore un message qu’il voulait transmettre à Amador. « Et, Byar… expliquez à Pedron Niall comment nous avons été manipulés par les Inquisiteurs.