— Comme vous le commandez, mon Seigneur Capitaine », dit Byar, mais Bornhald soupira en voyant son expression. Cet homme ne comprenait pas. Pour Byar, les ordres devaient être exécutés, qu’ils émanent du Seigneur Capitaine ou des Inquisiteurs, et quelle que soit leur nature.
« Je vais vous l’écrire pour que vous le donniez aussi à Pedron Niall », reprit-il. Il ne savait pas trop quel bien en résulterait, de toute façon. Une idée lui traversa l’esprit et il regarda en fronçant les sourcils l’auberge où quelques-uns de ses hommes enfonçaient bruyamment à coups de marteau des clous dans les volets et les portes. « Perrin, murmura-t-il. C’était son nom. Perrin des Deux Rivières.
— L’Ami du Ténébreux, mon Seigneur Capitaine ?
— Peut-être, Byar. » Lui-même n’en était pas entièrement certain, mais sûrement qu’un homme ayant des loups combattant pour lui ne pouvait être rien d’autre. En tout cas, ce Perrin avait tué deux des Enfants. « J’ai cru l’avoir vu quand nous sommes arrivés, mais je ne me rappelle personne parmi les prisonniers ressemblant à un forgeron.
— Leur forgeron est parti depuis un mois, mon Seigneur Capitaine. Quelques-uns se lamentaient en disant qu’ils auraient été partis avant notre arrivée s’ils n’avaient pas été obligés de réparer eux-mêmes les roues de leurs chariots. Croyez-vous qu’il s’agit de ce Perrin, Seigneur Capitaine ?
— Peu importe, il n’a pas été repéré ici, non ? Et il pourrait informer les Seanchans de notre présence.
— Un Ami du Ténébreux n’y manquerait sûrement pas, mon Seigneur Capitaine. »
Bornhald avala le reste de l’eau et jeta la chope de côté. « Pas de repas pour les hommes ici, Byar. Je ne laisserai pas ces Seanchans me prendre au dépourvu, qu’ils soient avertis par Perrin des Deux Rivières ou par quelqu’un d’autre. Que la Légion se mette en selle, Enfant Byar ! »
Très haut au-dessus de leurs têtes, une énorme forme ailée décrivait un cercle, sans que personne l’ait remarquée.
Dans la clairière au milieu du hallier couronnant la colline où ils avaient installé leur camp, Rand s’exerçait aux différentes phases d’assaut avec son épée. Il voulait s’empêcher de réfléchir. Il avait eu ses chances de chercher avec Hurin la piste de Fain ; tous les avaient eues, par deux et par trois, de façon à ne pas attirer l’attention, et tous jusqu’à présent avaient fait chou blanc. Ils attendaient maintenant que Mat et Perrin reviennent avec le Flaireur ; ils auraient dû être de retour depuis des heures.
Loial lisait, bien entendu, et impossible de dire si le frémissement de ses oreilles se rapportait à son livre ou au retard du trio parti en reconnaissance, mais Uno et la plupart des guerriers du Shienar étaient assis, les nerfs tendus, s’affairant à huiler leur épée, ou guettaient à travers les arbres comme s’ils croyaient que des Seanchans allaient apparaître d’un instant à l’autre. Seule Vérine semblait imperturbable. L’Aes Sedai était assise sur un tronc d’arbre à côté de leur petit feu, parlant à voix basse et écrivant avec un long bâton dans la terre ; de temps en temps, elle secouait la tête, effaçait tout avec le pied et recommençait. La totalité des chevaux étaient sellés et prêts à repartir, les montures des cavaliers du Shienar attachées chacune à une lance enfoncée dans le sol.
« Le-Héron-s’avance-dans-les-roseaux », commenta Ingtar. Il était assis adossé à un arbre, faisant glisser une pierre à aiguiser le long de la lame de son épée en regardant Rand. « Vous ne devriez pas perdre votre temps avec cet exercice-là. Il vous laisse complètement à découvert. »
Pendant un instant, Rand resta en équilibre sur la demi-pointe d’un pied, l’épée qu’il brandissait à deux mains renversée en arrière au-dessus de sa tête, puis il reporta son poids en souplesse sur l’autre pied. « Lan dit que c’est bon pour perfectionner le sens de l’équilibre. » Garder son équilibre n’était pas facile. Dans le vide, il lui semblait souvent possible de se maintenir debout sur un rocher dévalant une pente, mais il n’osait pas faire appel au vide. Il le désirait trop pour être sûr de se maîtriser.
« Ce que l’on pratique trop souvent, on le met en œuvre machinalement. Vous embrocherez votre adversaire sur votre lame avec ce coup-là si vous êtes vif, mais pas avant qu’il vous ait perforé le thorax avec la sienne. Vous l’y invitez, pratiquement. Je ne crois pas que je résisterais à l’envie de lui enfoncer mon épée dans le corps si j’avais en face de moi quelqu’un tellement à découvert, même en sachant que je risque dans ce cas-là qu’il m’atteigne en plein cœur.
— C’est seulement pour l’équilibre, Ingtar ». Rand chancela sur son pied et dut poser l’autre pour ne pas tomber. Il renfonça sa lame dans le fourreau et ramassa la cape grise qui lui servait de déguisement. Elle était mangée aux mites et effrangée dans le bas mais doublée d’une toison épaisse et le vent se levait, froid, venant de l’ouest. « J’aimerais qu’ils reviennent. »
Comme si son souhait avait été un signal, Uno annonça d’une voix basse mais pressante : « Foutus cavaliers qui arrivent, mon Seigneur. » Ceux qui n’avaient pas déjà leur arme en main dégainèrent dans un cliquetis de fourreau. Quelques-uns sautèrent en selle et empoignèrent leur lance.
La tension s’apaisa à la vue de Hurin qui entrait au trot dans la clairière, en tête des autres, et remonta quand il prit la parole. « Nous avons trouvé la piste, Seigneur Ingtar.
— Nous l’avons suivie presque jusqu’à Falme », dit Mat en mettant pied à terre. Le rose de ses pommettes sur son visage blême semblait une singerie de santé ; la peau lui collait au crâne. Les guerriers du Shienar se groupèrent autour de lui, aussi surexcités qu’il l’était. « Rien que Fain, mais il ne pouvait aller nulle part ailleurs, de toute façon. Il doit avoir le poignard.
— Nous avons trouvé aussi des Blancs Manteaux, compléta Perrin en descendant de cheval. Des centaines.
— Des Blancs Manteaux ? s’exclama Ingtar en fronçant les sourcils. Ici ? Ma foi, s’ils ne nous cherchent pas noise, nous ne leur en chercherons pas non plus. Peut-être que si les Seanchans sont occupés avec eux, cela nous aidera à parvenir jusqu’au Cor de Valère. » Son regard tomba sur Vérine, toujours assise près du feu. « Je suppose que vous allez me dire que j’aurais dû vous écouter, Aes Sedai. Le gaillard s’est bien rendu à Falme.
— La Roue tisse selon son bon vouloir, répliqua placidement Vérine. Avec des Ta’verens, ce qui arrive est ce qui est prévu. Qui sait si le Dessin ne requérait ces jours supplémentaires. Le Dessin dispose chaque chose à sa place avec précision et, quand nous essayons d’altérer le motif, en particulier si des Ta’verens y sont impliqués, le tissage change pour nous réinsérer dans le Dessin à l’emplacement prévu. » S’ensuivit un silence inquiet qu’elle ne parut pas remarquer ; elle continuait à dessiner distraitement avec son bâton. « À présent, toutefois, je pense que nous devrions peut-être nous concerter. Le Dessin nous a enfin amenés à Falme. Le Cor de Valère a été emporté à Falme. »