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Tandis que Min et Élayne l’aidaient précipitamment à mettre la vieille robe de Nynaeve, Egwene expliqua ce qui se passait quand on enlevait le bracelet de l’endroit où une sul’dam l’avait laissé, et que canaliser la rendait malade à moins qu’une sul’dam ne porte le bracelet. Ce matin, justement, elle avait découvert comment ouvrir le collier sans le Pouvoir – et avait constaté que toucher le fermoir dans cette intention lui provoquait une crispation de la main, qui devenait inutilisable. Elle pouvait le toucher autant qu’elle le voulait pourvu qu’elle ne pense pas à ouvrir le fermoir ; par contre, la moindre tentation et…

Nynaeve se sentit elle-même malade. Le bracelet autour de son poignet la rendait malade. C’était trop horrible. Elle avait envie de l’arracher de son bras avant d’en apprendre davantage sur l’a’dam, avant d’apprendre peut-être quelque chose qui la ferait se sentir à jamais souillée pour l’avoir porté.

Ouvrant le fermoir du bandeau d’argent, elle l’enleva, le referma d’un coup sec et le suspendit à une des patères. « Ne croyez pas que cela signifie que vous pouvez maintenant appeler au secours. » Elle brandit le poing sous le nez de Sèta. « Je peux encore vous faire regretter d’être venue au monde si vous ouvrez la bouche et je n’ai pas besoin de ce sacré… machin.

— Vous… vous n’avez pas l’intention de me laisser ici avec ? répliqua Sèta dans un murmure. Oh, non, pas possible. Attachez-moi ! Bâillonnez-moi pour que je ne puisse pas donner l’alarme. Je vous en prie ! »

Egwene eut un rire sans joie. « Laissez-le-lui. Elle ne criera pas au secours même sans bâillon. Espérez plutôt que celle qui vous découvrira enlèvera l’a’dam et gardera votre petit secret, Sèta. Votre sale secret, n’est-ce pas ?

— De quoi parles-tu ? demanda Élayne.

— J’y ai beaucoup réfléchi, répliqua Egwene. Réfléchir, c’est la seule chose qui me restait à faire quand elles me laissaient seule ici. Les sul’dams prétendent qu’au bout de quelques années se développe chez elles une certaine affinité. La plupart d’entre elles savent discerner quand une femme canalise, qu’elles soient reliées à elle ou non. Je n’en étais pas sûre, mais Sèta le prouve.

— Prouve quoi ? » s’exclama Élayne, puis ses yeux s’écarquillèrent comme elle devinait subitement, mais Egwene poursuivit :

« Nynaeve, l’a’dam ne fonctionne qu’avec les femmes capables de canaliser. Vous ne comprenez pas ? Les sul’dams ont la même faculté de canaliser que les damanes. » Sèta gémit entre ses dents, secouant la tête dans un violent geste de dénégation. « Une sul’dam est prête à mourir plutôt que d’admettre qu’elle en est capable, même si elle le sait, et elles ne s’exercent jamais, de sorte qu’elles ne parviennent pas à s’en servir, mais l’aptitude, elles l’ont.

— Je vous l’avais dit, commenta Min. Ce collier n’aurait jamais dû fonctionner sur elle. » Min finissait d’attacher les derniers boutons dans le dos d’Egwene. « Toute femme qui ne canalise pas aurait le temps de vous assommer pendant que vous essayez de la dominer avec ce système.

— Comment est-ce possible ? se récria Nynaeve. Je pensais que les Seanchanes mettaient en laisse toutes les femmes ayant le don de canaliser.

— Toutes celles qu’elles trouvent, expliqua Egwene, mais celles-là sont comme vous, comme moi, comme Élayne. Nous sommes nées avec le don, prêtes à canaliser, qu’on nous l’enseigne ou non. Par contre qu’en est-il des jeunes Seanchanes qui ne sont pas nées avec cette faculté mais que l’on peut former ? Ce n’est pas possible à n’importe qui de devenir une… une Teneuse-de-Laisse. Renna croyait m’accorder une faveur en me racontant ça. Apparemment, c’est un jour de fête dans les villages seanchans quand les sul’dams viennent tester les jeunes filles. Elles cherchent à en trouver comme vous et moi pour leur passer l’a’dam au cou, mais elles laissent toutes les autres mettre un bracelet afin de vérifier si elles décèlent ce que ressent la pauvre femme portant le collier. Celles qui y réussissent sont emmenées pour être entraînées à jouer le rôle de sul’dams. Ce sont les femmes qui peuvent être formées. »

Sèta gémissait tout bas : « Non. Non. Non. » Sans arrêt.

« Je sais bien qu’elle est horrible, dit Élayne, mais j’ai comme l’impression que je devrais l’aider, vaille que vaille. »

Nynaeve ouvrait la bouche pour répliquer qu’elles devraient plutôt se préoccuper de s’aider elles-mêmes quand la porte se rabattit.

« Qu’est-ce qui se passe ici ? s’exclama Renna avec autorité en pénétrant dans la cellule. Une audience ? » Elle dévisagea Nynaeve, les mains sur les hanches. « Jamais je n’ai autorisé qui que ce soit à se relier avec mon chouchou, Tuli. Je ne sais même pas qui… » Son regard tomba sur Egwene – Egwene revêtue de la robe de Nynaeve au lieu du gris des damanes. Egwene sans collier autour de sa gorge – et ses yeux s’écarquillèrent, grands comme des soucoupes. Elle n’eut pas une chance de se mettre à crier.

Avant qu’aucune autre ait eu le temps d’esquisser un geste, Egwene saisit le broc posé sur sa table de toilette et le lança au creux de l’estomac de Renna. Le broc se brisa et la sul’dam, le souffle coupé net dans un gargouillement étranglé, se plia en deux. Comme elle tombait, Egwene lui sauta dessus en poussant un grondement, la renversa à plat sur le sol, attrapa le collier porté par elle qui était toujours par terre et le referma autour du cou de la sul’dam.

D’une secousse sur la laisse d’argent, Egwene décrocha le bracelet de sa patère et l’attacha à son propre poignet. Ses lèvres étaient retroussées sur ses dents, ses yeux fixés sur Renna avec une concentration terrible. S’agenouillant sur les épaules de la sul’dam, elle appuya fortement ses deux mains sur sa bouche. Renna se tordit dans une convulsion effrayante, ses yeux s’exorbitèrent ; des sons rauques jaillirent de sa gorge, des hurlements étouffés par les paumes d’Egwene ; ses talons martelaient le sol.

« Arrête, Egwene ! » Nynaeve attrapa Egwene par les épaules, l’écarta de force de l’autre femme. « Egwene, arrête ! Tu ne veux pas ça ! » Renna gisait haletante et le visage blême, regardant le plafond avec des yeux fous.

Soudain Egwene se jeta contre Nynaeve, sanglotant spasmodiquement sur sa poitrine. « Elle m’a fait mal, Nynaeve. Elle m’a fait mal. Toutes m’ont fait mal. Elles m’ont torturée jusqu’à ce que j’agisse comme elles le désiraient. Je les déteste. Je les déteste parce qu’elles m’ont fait mal et je les déteste parce que je ne pouvais pas les empêcher de m’obliger à exécuter leurs volontés.

— Je sais », dit Nynaeve avec douceur. Elle lissa les cheveux d’Egwene. « C’est juste de les détester, Egwene. Très juste. Elles l’ont mérité. Mais ce n’est pas bien de les laisser te transformer en ce qu’elles sont. »

Les mains de Sèta étaient pressées contre son visage. Renna tâtait le collier autour de son cou avec incrédulité, d’une main tremblante.

Egwene se redressa en essuyant vivement ses larmes. « Non, non. Je ne suis pas devenue comme elles. » Elle arracha le bracelet, s’égratignant presque pour l’enlever, et le jeta par terre. « Je ne suis pas devenue comme elles. N’empêche, j’aimerais les tuer.

— Elles le méritent. » Min dévisageait d’un air sévère les deux sul’dams.

« Rand tuerait quiconque aurait commis une chose pareille », dit Élayne. Elle parut se cuirasser le cœur. « Je suis sûre qu’il n’hésiterait pas.