— Partie. » Le visage de Min rosit. « Tous sont partis. Egwene, Nynaeve, Élayne, Mat, Hurin et Vérine. Hurin ne voulait pas vous quitter, à franchement parler. Ils sont en route pour Tar Valon. Egwene et Nynaeve afin de continuer leur formation à la Tour et Mat afin d’en passer par ce que les Aes Sedai doivent faire pour le libérer de ce poignard. Ils ont emporté le Cor de Valère. J’ai du mal à croire que je l’ai vu de mes propres yeux.
— Partie, murmura-t-il. Elle n’a même pas attendu que je me réveille. » La teinte rose fonça sur les joues de Min et elle se rassit, le regard fixé sur son giron.
Rand leva les mains pour les passer sur sa figure et interrompit son geste, examinant ses paumes avec stupeur. Il y avait aussi un héron imprimé par de l’acier rougi sur sa paume gauche, à présent, assorti à celui de sa paume droite, chaque trait net et précis. Une fois le héron pour indiquer sa voie ; deux fois le héron pour le bien désigner, « Non !
— Ils sont partis, répliqua Min. Dire « non » n’y changera rien. »
Il secoua la tête. Quelque chose lui donnait à penser que la douleur dans son côté était importante. Il ne se souvenait pas d’avoir été blessé, mais c’était sérieux. Il commença à soulever les couvertures, mais elle lui écarta les mains d’une tape.
« Cela ne vous avancera à rien. Elle n’est pas encore complètement cicatrisée. Vérine a tenté de vous guérir, mais elle a dit que la Guérison n’avait pas opéré comme elle aurait dû. » Elle se mordilla la lèvre, hésitante. « Moiraine pense que Nynaeve doit être intervenue d’une manière ou d’une autre, sinon vous n’auriez pas survécu jusqu’à ce que nous vous amenions à Vérine, mais Nynaeve affirme qu’elle était trop effrayée même pour allumer une chandelle. Votre blessure a… quelque chose de bizarre. Il vous faudra attendre qu’elle guérisse d’elle-même. » Elle paraissait inquiète.
« Moiraine est ici ? » Il émit un éclat de rire amer. « Quand vous aviez annoncé que Vérine était partie, je me croyais débarrassé de nouveau des Aes Sedai.
— Je suis là », dit Moiraine. Elle approcha, tout de bleu vêtue et aussi sereine que si elle se trouvait à la Tour Blanche, avançant d’un pas tranquille jusqu’à lui. Min regardait l’Aes Sedai d’un air sombre. Rand eut la curieuse impression qu’elle voulait le protéger de Moiraine.
« J’aurais préféré que vous n’y soyez pas, répliqua-t-il à Moiraine. En ce qui me concerne, vous n’avez qu’à retourner où vous vous étiez cachée et y rester.
— Je ne m’étais pas cachée, expliqua Moiraine avec calme. Je faisais ce que je pouvais, ici sur la Pointe de Toman et dans Falme. Peu de chose, effectivement, encore que j’aie beaucoup appris. Je n’ai pas réussi à libérer deux de mes sœurs avant que les Seanchans les embarquent de force sur leurs vaisseaux avec les Femmes-en-Laisse, mais j’ai fait mon possible.
— Votre possible. Vous avez dépêché Vérine pour veiller sur moi comme sur un mouton, mais je ne suis pas un mouton, Moiraine. Vous aviez dit que je pouvais aller où j’en avais envie et je veux aller où vous n’êtes pas.
— Je n’avais pas envoyé Vérine. » Moiraine se rembrunit. « Elle est venue de son propre mouvement. Tu intéresses un grand nombre de gens, Rand. Est-ce que Fain t’a trouvé, ou l’as-tu trouvé ? »
Le brusque changement de sujet le prit par surprise. « Fain ? Non. Quel fameux héros je suis. J’essaie de sauver Egwene et Min y parvient avant moi. Fain a dit qu’il s’en prendra au Champ d’Emond si je ne l’affronte pas et je n’en ai pas même vu l’ombre. Est-il parti aussi avec les Seanchans ? »
Moiraine secoua la tête. « Je l’ignore. J’aimerais le savoir. Toutefois, c’est aussi bien que tu ne l’aies pas affronté, du moins pas avant que tu apprennes ce qu’il est.
— C’est un Ami du Ténébreux.
— Plus que cela. Pire. Padan Fain était la créature du Ténébreux jusqu’au tréfonds de son âme, mais je crois que dans Shadar Logoth il s’est heurté à Mordeth qui s’était montré aussi infâme en combattant l’Ombre que l’Ombre elle-même. Mordeth a tenté de consumer l’âme de Fain, pour recouvrer un corps humain, mais il a découvert une âme qui avait été façonnée directement par le Ténébreux et ce qui en est résulté… Ce qui en est résulté n’était ni Padan Fain ni Mordeth, mais quelque chose de bien plus malfaisant, un mélange des deux. Fain – continuons à l’appeler ainsi – est plus dangereux que tu ne peux l’imaginer. Tu n’aurais pas survécu à pareille rencontre et, dans le cas contraire, tu risquais encore davantage que d’être transformé en séide de l’Ombre.
— S’il est vivant, s’il n’est pas allé avec les Seanchans, je dois… » Il s’interrompit comme Moiraine sortait de sous sa cape l’épée estampillée au héron. La lame se terminait brusquement à un pied de la garde, comme fondue. La mémoire revint brutalement à Rand. « Je l’ai tué, dit-il à voix basse. Cette fois je l’ai tué. »
Moiraine posa de côté l’objet inutile qu’était à présent cette épée tronquée et se frotta les mains l’une avec l’autre pour les essuyer. « Le Ténébreux n’est pas tué aussi facilement. Le seul fait qu’il est apparu dans le ciel au-dessus de Falme est plus troublant. Il ne devrait pas être en mesure de le faire, s’il est enfermé comme nous le croyons. Et s’il ne l’est pas, pourquoi ne nous a-t-il pas tous anéantis ? »
Min changea de position, mal à l’aise. « Dans le ciel ? répéta Rand avec stupeur.
— Vous deux, répliqua Moiraine. Votre duel s’est déroulé en plein ciel, visible par tout le monde à Falme. Peut-être dans d’autres villes sur la Pointe de Toman, aussi, s’il faut en croire la moitié de ce que j’entends raconter.
— Nous… nous l’avons tous vu », murmura Min d’une voix faible. Elle posa sa main sur une main de Rand dans un geste de réconfort.
Moiraine fouilla de nouveau sous sa cape et en sortit un rouleau de parchemin, une de ces larges feuilles comme en utilisaient les dessinateurs des rues à Falme. Les traits de craie étaient un peu estompés quand elle le déroula mais l’image était encore assez nette. Un homme dont le visage était une flamme compacte se battait avec un bâton contre un autre armé d’une épée au milieu de nuages où dansaient des éclairs et, derrière eux flottait la bannière du Dragon. Le visage de Rand était aisément reconnaissable.
« Combien de gens ont-ils vu ça ? s’exclama-t-il avec emportement. Déchirez-le. Brûlez-le. »
L’Aes Sedai laissa le parchemin s’enrouler de lui-même. « Cela ne servirait à rien, Rand. Je l’ai acheté il y a deux jours, dans un village que nous avons traversé. Il y en a des centaines, peut-être des milliers, et partout se raconte comment le Dragon a combattu le Ténébreux dans le ciel au-dessus de Falme. »
Rand se tourna vers Min. Elle acquiesça à contrecœur d’un signe de tête, et pressa sa main. Elle avait l’air effrayée, mais elle ne s’écarta pas. Je me demande si c’est ce qui a fait partir Egwene. Elle a eu raison de s’en aller.
« Le Dessin se tisse autour de toi encore plus étroitement, dit Moiraine. Tu as besoin de moi aujourd’hui plus que jamais.
— Je n’ai pas besoin de vous, répliqua-t-il âprement, et je ne veux pas de vous. Je me refuse à être impliqué là-dedans. » Il se rappela avoir été appelé Lews Therin ; non seulement par Ba’alzamon mais aussi par Artur Aile-de-Faucon. « Je m’y refuse. Par la Lumière, le Dragon est censé détruire de nouveau le monde, tout mettre en pièces. Je me refuse à être le Dragon.