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« Lan, pourquoi ne partirais-je pas comme je l’avais projeté ? D’ici qu’elle apprenne que je ne viens pas. Je serais à une lieue des remparts et filerais au galop.

— Et elle lancerait des traqueurs à tes trousses avant que tu en aies parcouru deux. Ce que l’Amyrlin veut, berger, elle l’obtient. » Il ajusta le ceinturon de Rand de façon que la lourde boucle se trouve bien centrée. « Ce que je fais est le maximum que je peux faire pour toi. Crois-moi.

— Mais pourquoi tout ceci ? Qu’est-ce que cela signifie ? Pourquoi mettre ma main au-dessus de ma tête si l’Amyrlin se lève ? Pourquoi n’accepter que de l’eau – non pas que je veuille partager un repas avec elle – pour la laisser ensuite couler par terre en déclarant « La terre a soif » ? Et si elle demande mon âge, pourquoi lui répondre par le temps qui s’est écoulé depuis que l’épée m’a été donnée ? Je ne comprends pas la moitié de ce que vous me recommandez.

— Trois gouttes, berger, ne renverse pas tout. Tu asperges de trois gouttes seulement. Comprends plus tard, pourvu que tu t’en souviennes maintenant. Dis-toi que tu observes une coutume. L’Amyrlin fera de toi ce qu’elle doit. Si tu crois que tu y échapperas, alors c’est que tu peux t’envoler jusqu’à la lune comme Lenn. Tu ne peux pas y échapper, mais peut-être seras-tu capable de tenir le coup un moment et au moins tu pourras conserver intact ton amour-propre. Que la Lumière me brûle, je perds probablement mon temps, mais je n’ai rien de mieux à faire. Ne bouge pas. » Le Lige tira de sa poche une grande longueur de cordelière dorée à franges et l’attacha autour du bras gauche de Rand avec un nœud compliqué. Sur le nœud, il agrafa une broche émaillée rouge, un aigle aux ailes déployées. « J’avais commandé cela pour toi et c’est le moment ou jamais de te l’offrir. Cela leur donnera à réfléchir. »

Il n’y avait pas de doute, cette fois. Le Lige souriait.

Rand regarda anxieusement la broche. Caldazar. L’Aigle Rouge de Manetheren. « Une épine dans le pied du Ténébreux, murmura-t-il, et une ronce dans sa main. » Il leva les yeux vers le Lige. « Le pays de Manetheren est depuis longtemps mort et oublié, Lan. C’est juste un nom dans un livre à présent. Il ne reste que les Deux Rivières. Quoi que je sois d’autre, je suis un berger et un paysan. Avant tout.

— Ah, l’épée qui ne pouvait pas être brisée a été finalement rompue, berger, mais elle a combattu l’Ombre jusqu’au bout. Il y a pour être un homme une des règles qui les surpasse toutes. Quoi qu’il advienne, affronte-le debout. Maintenant es-tu prêt ? L’Amyrlin attend. »

Un nœud glacé au creux du ventre, Rand sortit derrière le Lige dans le couloir.

8

Le Dragon Réincarné

Au début, Rand avançait avec nervosité d’un pas raide à côté du Lige. Affronter quoi qu’il arrive tête haute, c’était aisé à dire pour Lan. Lui n’avait pas été convoqué par la Souveraine d’Amyrlin. Lui ne se demandait pas s’il serait neutralisé avant que le jour s’achève, ou pire. Rand avait l’impression que quelque chose s’était bloqué en travers de sa gorge, il était incapable de déglutir et il en avait follement besoin.

Les couloirs fourmillaient de monde, des serviteurs accomplissant leurs tâches matinales, des guerriers portant une épée sur de longues cottes d’apparat. Quelques jeunes garçons armés de petites épées d’entraînement serraient de près leurs aînés, imitant leur démarche. Aucune trace du combat ne demeurait, mais même les enfants avaient un air de vigilance. Les adultes ressemblaient à des chats attendant une horde de rats.

Ingtar regarda Rand et Lan avec une expression bizarre, presque troublée, ouvrant la bouche puis ne disant rien quand ils passèrent près de lui. Kajin, grand, maigre et olivâtre, brandit et abaissa les poings au-dessus de sa tête dans un mouvement de pompage en criant « Taïshar Malkier ! Tai’shar Manetheren ! » Vrai sang de la Malkier. Vrai sang de Manetheren.

Rand sursauta. Par la Lumière, pourquoi a-t-il dit ça ? Ne sois pas stupide, se dit-il. Ils sont tous au courant pour Manetheren ici. Ils connaissent toutes les vieilles histoires où il est question de combat. Que je sois brûlé, il faut que je me maîtrise.

Lan dressa les poings en réponse. « Tai’shar Shienar ! »

S’il s’enfuyait, pourrait-il se perdre dans la foule assez longtemps pour aller jusqu’à son cheval ? Si elle envoie des traqueurs sur ma piste… À chaque pas, sa tension augmentait.

Comme ils approchaient des appartements des femmes, Lan dit soudain d’un ton sec : « Le Chat-traverse-la-cour ! »

Surpris, Rand adopta instinctivement l’allure de marche qui lui avait été enseignée, le dos droit mais chaque muscle souple, comme s’il était suspendu à un fil de fer attaché en haut de sa tête. C’était une allure détendue de flâneur, presque arrogante. Détendue en apparence ; il ne se sentait nullement tel intérieurement. Il n’eut pas le temps de s’étonner de sa réaction machinale. Ils abordaient du même pas le dernier couloir.

À l’entrée des appartements des femmes, des femmes levèrent la tête calmement quand ils arrivèrent. Certaines étaient assises derrière des tables à plan incliné, des pupitres, consultant de grands registres et parfois y inscrivant une note. D’autres tricotaient ou s’affairaient avec une aiguille et un tambour à broder. Des Dames vêtues de soie montaient cette garde aussi bien que des servantes en livrée. Les battants de la porte en plein cintre étaient ouverts sans autre sentinelle. Point n’était besoin de plus. Aucun homme du Shienar n’entrerait sans y être invité, mais tous les hommes du Shienar étaient prêts à défendre cette porte si besoin était, et ils seraient stupéfaits que ce soit nécessaire.

L’estomac de Rand se souleva dans une violente nausée acide. Elles vont jeter un coup d’œil à nos épées et nous empêcher d’entrer. Eh bien, c’est ce que je souhaite, non ? Si elles nous refoulent, peut-être que je parviendrai encore à m’enfuir. À condition qu’elles ne lancent pas les soldats à nos trousses. Il s’attacha à conserver l’allure que Lan lui avait dit de prendre comme il se serait cramponné à une branche flottant sur les flots d’une inondation ; se concentrer là-dessus était la seule chose qui le retenait de tourner les talons et de fuir.

Une des suivantes de la Dame Amalisa, Nisura, une femme au visage rond, posa sa broderie et se leva quand ils firent halte. Ses yeux se tournèrent brièvement vers leurs épées, sa bouche se pinça, mais elle n’en parla pas. Toutes les femmes interrompirent leurs tâches pour observer, silencieuses et attentives.

« Honneur à vous deux », dit Nisura en inclinant légèrement la tête. Elle jeta un coup d’œil à Rand, si vite qu’il doutait presque de l’avoir vu ; cela lui rappela la remarque de Perrin. « La Souveraine d’Amyrlin vous attend. » Sur un geste d’elle, deux autres dames – pas des servantes ; ils étaient honorés – s’avancèrent pour les escorter. Ces femmes saluèrent à peine un peu plus profondément que Nisura, et leur indiquèrent l’embrasure voûtée en berceau. L’une et l’autre examinèrent Rand du coin de l’œil, puis ne le regardèrent plus.

Croyaient-elles que nous viendrions tous, ou moi seulement ? Pourquoi nous tous ?