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Partir. Elle n’y avait pas prêté attention quand Lan en avait parlé. « Il faudra que je dise au revoir aux garçons », murmura-t-elle, puis elle adressa à Moiraine un regard scrutateur. « Qu’avez-vous fait à Rand ? Il a été conduit à l’Amyrlin. Pourquoi ? Avez-vous averti l’Amyrlin que… que… » Elle était incapable de l’énoncer à haute voix. Il était de son village, et elle avait juste assez d’années de plus que lui pour s’en être occupée une ou deux fois quand il était petit, mais elle ne pouvait pas penser à ce qu’il était devenu sans que son estomac se noue.

« L’Amyrlin les verra tous les trois, Nynaeve. Il n’existe pas tellement de Ta’veren qu’elle laisse passer la chance d’en voir trois à la fois au même endroit. Peut-être leur adressera-t-elle quelques paroles d’encouragement, puisqu’ils partent avec Ingtar à la poursuite de ceux qui ont volé le Cor. Ils s’en iront à peu près en même temps que nous, mieux vaudrait donc vous dépêcher d’en finir avec vos adieux. »

Nynaeve se précipita vers la meurtrière la plus proche et regarda en bas dans la cour extérieure. Il y avait des chevaux partout, des bêtes de somme et des chevaux de selle, ainsi que des hommes qui s’affairaient autour en s’interpellant. Un seul espace était dégagé, celui où se trouvait la litière de l’Amyrlin, ses chevaux assortis attendant patiemment sans que personne s’en occupe. Il y avait quelques Liges là-bas, qui examinaient leur monture et Ingtar se tenait de l’autre côté de la cour entouré d’un groupe de guerriers du Shienar en armure. De temps en temps, un Lige ou un des hommes d’Ingtar traversait la cour dallée pour échanger un mot avec les autres.

« J’aurais dû vous enlever les garçons », dit-elle en regardant toujours dehors. « Et aussi Egwene, si je le pouvais sans que cela risque de la tuer. » Ô Lumière, pourquoi a-t-il fallu qu’elle naisse avec ce don maudit ? « J’aurais dû les ramener chez nous.

— Ils ont largement dépassé l’âge d’être tenus en laisse, répliqua ironiquement Moiraine. Et vous savez très bien pourquoi vous ne le pouviez pas. Pour l’un d’eux au moins. D’autre part, cela impliquerait de laisser Egwene se rendre seule à Tar Valon. Ou bien avez-vous décidé de renoncer vous-même à Tar Valon ? Si votre usage du Pouvoir n’est pas discipliné, vous ne serez jamais en mesure de vous en servir contre moi. »

Nynaeve se retourna d’un bond face à l’Aes Sedai, bouche béante. Elle n’avait pu empêcher sa mâchoire de tomber. « Je ne sais pas de quoi vous parlez.

— Croyez-vous donc que je n’étais pas au courant, mon enfant ? Eh bien, comme vous voudrez. J’en déduis que vous venez bien à Tar Valon ? Oui, c’est ce que je pensais. »

Nynaeve avait envie de la frapper, d’effacer par des coups le sourire qui passa comme un éclair sur le visage de l’Aes Sedai. Les Aes Sedai n’avaient pas pu exercer leur pouvoir ouvertement depuis la destruction, et moins encore le Pouvoir Unique, mais elles complotaient et manipulaient, tiraient des ficelles telles des marionnettistes, se servaient des trônes et des nations comme de palets de pierre sur un échiquier à mérelles. Elle veut se servir de moi aussi, d’une manière ou d’une autre. Si c’est le cas pour un roi ou une reine, pourquoi pas pour une Sagesse ? Exactement comme elle utilise Rand. Je ne suis pas une gamine, Aes Sedai.

« Quels projets avez-vous pour Rand, à présent ? Vous ne l’avez pas assez utilisé ? Je ne comprends pas pourquoi vous ne l’avez pas fait neutraliser, alors que l’Amyrlin est ici avec toutes ces autres Aes Sedai, mais vous devez avoir une raison. Ce doit être je ne sais quelle machination que vous êtes en train d’ourdir. Si l’Amyrlin savait ce que vous mijotez, je parie qu’elle… »

Moiraine lui coupa la parole. « En quoi un berger intéresserait-il l’Amyrlin ? Certes, si son attention était attirée sur lui dans un sens défavorable, il risquerait d’être neutralisé ou même tué. Il est ce qu’il est, en somme. Et la nuit dernière a suscité une forte colère. Tout le monde cherche sur qui rejeter le blâme. » L’Aes Sedai se tut et laissa le silence se prolonger. Nynaeve l’observait en serrant les dents.

« Oui, finit par dire Moiraine. Il est bien préférable de ne pas réveiller un lion qui dort. Mieux vaut vous occuper d’emballer vos affaires, à présent. » Elle s’éloigna dans la direction prise par Lan, d’un pas qui semblait glisser à la surface du sol.

Avec une grimace, Nynaeve frappa du poing contre le mur ; l’anneau s’enfonça dans sa paume. Elle ouvrit la main pour le regarder. L’anneau eut l’effet d’attiser sa colère, de donner une cible à sa détestation. J’apprendrai. Vous croyez que parce que vous avez l’expérience vous réussirez à m’échapper, mais j’apprendrai mieux que vous ne le pensez et je vous anéantirai pour vos agissements. Pour ce que vous avez fait à Mat et à Perrin. À Rand, que la Lumière l’assiste et que le Créateur le protège. À lui, en particulier. Ses doigts se replièrent autour du massif anneau d’or. Et à moi.

Egwene regardait la camériste en livrée qui pliait ses robes dans un coffre de voyage couvert de cuir, encore un peu mal à l’aise, même au bout de près d’un mois de cette expérience, en voyant quelqu’un d’autre se charger de ce qu’elle aurait aussi bien pu exécuter elle-même. C’étaient de très belles robes, toutes des cadeaux de la Dame Amalisa, comme la tenue de cheval en soie grise qu’elle portait, à part que cette robe-là était sans autre ornement que quelques étoiles-du-matin brodées sur le corsage. La plupart des robes étaient beaucoup plus travaillées. N’importe laquelle aurait fait sensation le dimanche ou à Bel Tine. Elle soupira, se rappelant qu’elle serait à Tar Valon le prochain dimanche, et non pas au Champ d’Emond. D’après le peu que lui avait raconté Moiraine concernant le noviciat – presque rien en réalité – elle s’attendait à ne pas être de retour chez elle pour la fête de Bel Tine, au printemps, ni même le dimanche suivant.

Nynaeve passa la tête dans la chambre. « Es-tu prête ? » Elle acheva d’entrer. « Il faut que nous descendions bientôt dans la cour. » Elle aussi portait une tenue de cheval, une robe en soie bleue avec des lacs-d’amour rouge sur le corsage. Encore un cadeau d’Amalisa.

« À peu près, Nynaeve. Je regrette presque de partir. Je ne crois pas que nous aurons beaucoup d’occasions de porter à Tar Valon les jolies robes que nous a données Amalisa. » Elle eut un rire brusque. « N’empêche, Sagesse, que je ne serai pas fâchée de pouvoir prendre un bain sans regarder constamment par-dessus mon épaule.

— Mieux vaut se baigner seule », répliqua rondement Nynaeve. Son expression ne changea pas mais, au bout d’un instant, ses joues s’empourprèrent.

Egwene sourit. Elle pense à Lan. Elle avait encore du mal à imaginer Nynaeve, la Sagesse, soupirant après un homme. Elle ne jugeait pas prudent d’en parler à Nynaeve en pareils termes mais, ces derniers temps, la Sagesse se conduisait parfois aussi bizarrement que n’importe quelle jeune fille qui s’entiche d’un homme. Et un qui n’a même pas le bon sens de la conquérir, par-dessus le marché. Elle l’aime, et je vois bien qu’il l’aime, alors pourquoi n’est-il pas assez raisonnable pour se déclarer ?

« J’estime que tu ne devrais plus m’appeler Sagesse », dit soudain Nynaeve.

Egwene cligna des paupières. Ce n’était pas obligatoire, à vrai dire, et Nynaeve n’insistait jamais là-dessus à moins d’être en colère ou de se montrer cérémonieuse, mais ceci… « Pourquoi donc ?

— Tu es adulte, à présent. » Nynaeve jeta un coup d’œil à ses cheveux qui flottaient librement et Egwene résista à l’envie de les tresser précipitamment en un semblant de natte. Les Aes Sedai coiffaient leur chevelure selon leur fantaisie, mais avoir la sienne libre était devenu le symbole d’un départ pour une vie nouvelle. « Tu es adulte, répéta Nynaeve d’un ton ferme.