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« J’ai entendu parler de tes… exploits, finit par déclarer Egwene. Traverser en courant, une épée à la main, les appartements des femmes. Venir armé à une audience de l’Amyrlin. » Il ne prononçait toujours pas un mot, il marchait les yeux à terre, les sourcils froncés. « Elle ne… t’a pas fait de mal, hein ? » Elle se sentait incapable de demander s’il avait été neutralisé ; il semblait rien moins que doux, mais elle n’avait aucune idée de l’apparence qu’avait un homme, après.

Il eut un mouvement brusque. « Non, elle ne m’a pas… Egwene, l’Amyrlin… » Il secoua la tête. « Elle ne m’a fait aucun mal. »

Elle eut l’impression qu’il s’était apprêté à dire quelque chose d’entièrement différent. D’ordinaire, elle savait lui extirper ce qu’il avait envie de lui cacher mais, quand il était décidé à s’entêter, elle aurait aussi aisément arraché d’un mur une brique avec ses ongles. D’après la façon dont il serrait les mâchoires, il était en ce moment dans son humeur la plus obstinée.

« Que te voulait-elle, Rand ?

— Rien d’important. Ta’veren. Elle souhaitait voir un Ta’veren. » Il la regarda et son expression s’adoucit. « Et toi, Egwene ? Tu vas bien ? Moiraine l’avait dit, mais tu étais si immobile. À première vue, je t’ai crue morte.

— Ma foi, je ne le suis pas. » Elle rit. Elle ne parvenait à se rappeler rien de ce qui s’était passé après qu’elle avait demandé à Mat de l’accompagner en bas dans les cachots, rien jusqu’à son réveil dans son propre lit ce matin. D’après ce qu’elle avait entendu raconter de la nuit, elle était contente d’être incapable de s’en souvenir. « Moiraine a dit qu’elle m’aurait laissé un mal de tête pour m’être montrée aussi stupide si elle avait pu guérir le reste et pas ça, mais elle ne pouvait pas.

— Je t’avais prévenue que Fain était dangereux, murmura-t-il. Je t’avais prévenue, mais tu n’as pas voulu écouter.

— Si tu veux mettre la discussion sur ce pied-là, répliqua-t-elle avec fermeté, je te ramène à Nisura. Elle ne te parlera pas comme moi. Le dernier homme qui a essayé de s’introduire dans les appartements des femmes a passé un mois les bras dans l’eau savonneuse jusqu’au coude, à aider à faire la lessive, et il désirait seulement voir sa fiancée pour se réconcilier après une dispute. Au moins avait-il eu assez de bon sens pour ne pas porter son épée. La Lumière sait ce qu’elles vont t’imposer.

— Tout le monde cherche à m’imposer quelque chose, riposta Rand avec rage. Tout le monde veut m’utiliser pour quelque chose. Eh bien, je ne veux pas l’être. Une fois que nous aurons retrouvé le Cor et le poignard de Mat, je ne me laisserai plus jamais utiliser. »

Avec une exclamation exaspérée, elle le saisit aux épaules et l’obligea à se tourner vers elle. Elle darda sur lui des yeux furieux. « Si tu ne te décides pas à parler raison, Rand Al’Thor, je jure que je te gifle.

— Maintenant, à t’entendre, on dirait Nynaeve. » Il rit. Cependant, en la regardant, son rire s’éteignit. « Je suppose… je suppose que je ne te reverrai jamais. Je sais que tu dois aller à Tar Valon. Je le sais. Et tu deviendras une Aes Sedai. J’en ai assez des Aes Sedai, Egwene. Je ne veux pas être leur marionnette, ni pour Moiraine ni pour une autre. »

Il avait l’air tellement désemparé qu’elle eut envie de lui attirer la tête pour la poser sur son épaule, et si obstiné qu’elle lui aurait vraiment volontiers asséné des claques. « Écoute-moi, grosse bête. Je vais devenir une Aes Sedai et je trouverai un moyen de t’aider. Je le trouverai.

— La prochaine fois que tu me verras, il y a des chances que tu voudras me neutraliser. »

Elle examina précipitamment les alentours ; ils étaient seuls dans cette partie du couloir. « Si tu ne surveilles pas ta langue, je ne pourrai rien pour t’aider. Veux-tu donc que tout le monde soit au courant ?

— Trop de gens le sont déjà, répliqua-t-il. Egwene, je souhaiterais que les choses soient différentes, mais ce n’est pas le cas. Je souhaiterais… Prends soin de toi. Et promets-moi de ne pas choisir l’Ajah Rouge. »

Des larmes brouillèrent la vision d’Egwene tandis qu’elle l’enserrait de ses bras. « Fais attention à toi, dit-elle d’un ton farouche, le nez pressé contre la poitrine de Rand. Sinon, je… je… » Elle crut l’entendre murmurer Je t’aime, puis il dénoua son étreinte avec fermeté et l’écarta doucement de lui. Il se détourna et s’éloigna à grands pas, presque en courant.

Elle sursauta quand Nisura lui effleura le bras. « On dirait que vous l’avez chargé d’une tâche qui ne l’enchante pas. Mais vous ne devez pas lui laisser voir que vous en pleurez. Cela annule votre intention. Venez. Nynaeve vous réclame. »

S’essuyant les joues avec vigueur, Egwene suivit l’autre femme. Prends soin de toi, espèce de grand dadais sans cervelle. Ô Lumière, prends soin de lui.

9

Départs

La cour extérieure était en pleine effervescence bien ordonnée quand Rand y arriva finalement avec ses sacoches de selle et le ballot contenant la harpe et la flûte. Le soleil montait vers le zénith. Des hommes se hâtaient autour des chevaux pour resserrer des sangles de selle et de bât, parlant à voix forte. D’autres se précipitaient pour apporter des compléments de dernière minute à mettre dans les fontes, ou de l’eau pour les hommes qui travaillaient, ou partaient en courant chercher quelque chose dont le souvenir était revenu au dernier moment. Cependant tous semblaient savoir exactement ce qu’ils faisaient et où ils allaient. Les chemins de ronde et les balcons des archers étaient de nouveau bondés, et l’air matinal semblait crépiter d’excitation. Un des chevaux de somme commença à ruer et des palefreniers s’élancèrent pour le calmer. L’odeur de cheval était puissante. Le manteau de Rand voulut se soulever pour claquer dans le vent qui faisait onduler en haut des tours les bannières ornées d’un faucon fonçant vers sa proie, mais son arc, accroché en travers de son dos, le maintint rabattu.

Du dehors, par les portes ouvertes, provenaient les bruits des piquiers et archers de l’Amyrlin qui s’alignaient sur la place. Ils étaient sortis par une poterne latérale et avaient contourné le mur d’enceinte. Un des hérauts essayait son cor.

Quelques-uns des Liges jetèrent un coup d’œil à Rand quand il traversa la cour ; un petit nombre haussa les sourcils en voyant l’épée marquée au héron, mais aucun ne parla. La moitié d’entre eux avaient revêtu ces capes dont l’aspect changeant donnait le tournis à qui les regardait. Mandarb, l’étalon de Lan, était là, grand, noir, l’œil farouche, mais pas son cavalier, et aucune des Aes Sedai, aucune des femmes, n’était présente encore non plus. La jument blanche de Moiraine, Aldieb, marquait délicatement le pas à côté de l’étalon.

L’étalon roux de Rand se trouvait avec le second groupe à l’extrémité opposée de la cour, avec Ingtar et un porte-étendard tenant la bannière au Hibou Gris d’Ingtar, et vingt guerriers en armure avec des lances à la pointe d’acier longue de deux pieds, tous déjà en selle. Les barres du vantail de leurs casques couvraient leurs visages et des casaques dorées ornées du Faucon noir sur la poitrine masquaient leurs armures à plates. Seul le casque d’Ingtar avait une crête, un croissant de lune au-dessus du front, les cornes tournées vers le haut. Rand reconnut certains guerriers. Uno à la langue bourrue, avec une longue cicatrice sur son visage et un œil seulement. Ragan et Masema. D’autres qui avaient échangé un mot avec lui ou joué aux mérelles. Ragan agita la main à son adresse et Uno salua de la tête ; mais Masema ne fut pas le seul à lui décocher un regard glacial et à se détourner. Leurs chevaux de somme restaient placidement sur place, fouettant l’air de leur queue.