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Ingtar hocha la tête. Hurin sourit avec fierté et déclara. « C’est cela… ah… Rand. Une fois, j’ai traqué un assassin jusqu’à Cairhien et une autre fois tout du long jusqu’à Maradon pour les ramener devant la justice du Roi. » Son sourire s’effaça et il parut troublé. « Quoi qu’il en soit, ceci est bien pire. Le meurtre a une mauvaise odeur et la piste d’un assassin en est empuantie, mais ceci… » Son nez se plissa. « Des hommes étaient mêlés à ça, hier soir. Devaient être des Amis du Ténébreux, mais on ne peut pas déceler un Ami du Ténébreux à l’odeur. Ce que je suivrai, c’est les Trollocs et les Demi-Hommes. Et quelque chose d’encore plus mauvais. » Il laissa sa voix baisser, rembruni, parlant entre ses dents pour lui-même, mais Rand l’entendit néanmoins. « Quelque chose d’encore plus affreux, que la Lumière me préserve. »

Ils arrivèrent aux portes de la ville et, juste au-delà de l’enceinte, Hurin leva la tête pour humer le vent. Ses narines se dilatèrent, puis il eut un reniflement de dégoût. « Par ici, mon Seigneur Ingtar. » Il désigna la direction du sud.

Ingtar parut surpris. « Pas vers la Dévastation ?

— Non, Seigneur Ingtar. Pouah ! » Hurin s’essuya la bouche sur sa manche. « J’en sens presque le goût. Au sud, ils sont allés.

— Elle avait donc raison, l’Amyrlin, commenta Ingtar d’une voix lente. Une sage et grande femme, qui mérite mieux que moi pour la servir. Montrez la voie, Hurin. »

Rand se retourna et regarda en arrière, par la porte de la ville, ses yeux remontant la rue jusqu’à la citadelle. Il espérait qu’Egwene ne risquait rien. Nynaeve veillera sur elle. Peut-être cela vaut-il mieux de cette façon, comme une coupure franche, trop rapide pour n’être douloureuse qu’une fois faite.

Il chevaucha derrière Ingtar et la bannière au Hibou Gris, en direction du sud. Le vent prenait de la force et lui glaçait le dos en dépit du soleil. Il crut entendre dans ce souffle un rire, lointain et moqueur.

La lune croissante éclairait les rues sombres et humides de l’Illian nocturne qui résonnait encore des fêtes célébrées pendant la journée. Dans quelques jours seulement, le départ de la Grande Quête du Cor serait donné avec un apparat que la tradition prétendait remonter à l’Ère des Légendes. Les festivités pour les « Chasseurs », les cavaliers participant à la Quête, s’étaient amalgamées avec la Fête de Teven, fameuse par ses concours et prix pour les ménestrels. Le prix le plus important de tous, comme toujours, récompensait la meilleure récitation de La Grande Quête du Cor.

Ce soir, les ménestrels donnaient leur représentation dans les palais et les demeures seigneuriales de la ville, où se récréaient nobles et puissants, de même que les Chasseurs venus de toutes les nations pour se lancer dans cette Quête et trouver, sinon le Cor de Valère, du moins l’immortalité dans les chansons et les contes. Ils auraient de la musique et des danses, ainsi que des éventails et des glaces pour lutter contre la première réelle chaleur de l’année, mais le carnaval remplissait aussi les rues, dans la nuit tiède et humide où brillait la lune. Chaque jour était une fête jusqu’à ce que la Quête commence, et aussi chaque nuit.

Des gens dépassaient en courant Bayle Domon, portant masques et déguisements bizarres et fantaisistes, beaucoup découvrant trop de chair. Criant et chantant, ils couraient par une demi-douzaine à la fois, ou de temps en temps par couples qui s’étreignaient avec de petits gloussements de rire, puis par vingt en groupe tapageur. Des fusées d’artifice crépitaient dans le ciel, pluies d’étincelles or et argent sur fond noir. Il y avait presque autant d’Illuminateurs que de ménestrels dans la ville.

Domon ne prêtait guère attention aux feux d’artifice ou à la Quête. Il allait à un rendez-vous avec des hommes par qui il pensait risquer d’être tué.

Il traversa le Pont des Fleurs, qui enjambait un des nombreux canaux de la cité, et entra dans le Quartier Parfumé, le quartier du port d’Illian. Le canal exhalait la puanteur de trop nombreux pots de chambre, sans le moindre signe qu’il y ait jamais eu des fleurs près du pont. Le quartier sentait le chanvre et la poix émanant des chantiers navals et des docks, ainsi que la vase acide des ports, le tout rendu plus agressif par l’air chaud qui semblait presque assez imprégné d’eau pour être bu. Domon respirait lourdement ; chaque fois qu’il revenait du nord, il se retrouvait surpris, encore qu’il fût né là, par la chaleur précoce de l’été à Illian.

Dans une main, il tenait un gourdin solide, son autre main était posée sur la poignée de l’épée courte dont il se servait souvent pour défendre les ponts de son bateau marchand contre les brigands quand il naviguait sur le fleuve. Les voleurs à la tire ne manquaient pas dans les rues pendant ces nuits de réjouissances où le butin était abondant et la plupart des passants pris de boisson.

Cependant, il était musclé et large d’épaules, de sorte qu’aucun de ceux qui aspiraient à rafler de l’or ne le jugeait assez riche, dans son justaucorps de coupe simple, pour s’exposer à sa masse physique et à son gourdin. Les quelques-uns qui l’aperçurent clairement, quand il traversait une zone de lumière provenant d’une fenêtre, se reculaient jusqu’à ce qu’il soit bien loin. Des cheveux noirs qui lui tombaient jusqu’aux épaules et une longue barbe qui laissait à découvert sa lèvre supérieure encadraient une figure ronde, mais cette figure n’avait jamais été douce et présentement elle avait une expression aussi menaçante que s’il avait l’intention de se frayer un chemin en battant un mur en brèche. Il avait des gens à rencontrer, et cela ne lui plaisait pas du tout.

D’autres bandes joyeuses le dépassèrent en courant et en chantant faux, le vin déformant les paroles. « Le Cor de Valère », ma vieille grand-mère ! songea Domon, morose. C’est mon bateau que je veux conserver. Et ma vie, que la Fortune me pique.

Il poussa la porte d’une auberge, sous l’enseigne d’un gros blaireau rayé de blanc dansant sur ses pattes de derrière avec un homme portant une pelle en argent. Au Blaireau Amadoué, c’était son nom, encore que même Nieda Sidoro, la maîtresse de céans, fût dans l’ignorance de ce que cela signifiait ; il y avait toujours eu une auberge de ce nom à Illian.

La salle commune, avec de la sciure par terre et un musicien qui pinçait doucement sur un cistre à douze cordes une des mélodies mélancoliques du Peuple de la Mer, était bien éclairée et paisible. Nieda n’admettait pas le tapage dans son auberge et son neveu, Bili, était assez vigoureux pour emporter au-dehors un homme dans chaque main. Marins, dockers et magasiniers venaient au Blaireau pour boire et peut-être un brin de causette, pour une partie de mérelles ou de fléchettes. La salle était à demi pleine en ce moment ; même les hommes qui aimaient le calme avaient été attirés par le carnaval. Les conversations se poursuivaient à mi-voix, mais Domon entendit mentionner La Quête, le Faux Dragon que les Murandiens avaient capturé et celui que les Tareni pourchassaient dans le Cœur-Sombre-du-Haddon. Ce qui semblait en question était de savoir s’il était préférable de voir mourir le Faux Dragon ou les Tareni.

Domon fit la grimace. Des Faux Dragons ! Que la Fortune me pique, on n’est en sûreté nulle part, ces temps-ci.

La propriétaire, forte femme aux cheveux roulés en chignon sur la nuque, essuyait une chope sans perdre de vue son établissement. Elle ne suspendit pas son occupation ni même ne regarda vraiment Domon, mais sa paupière gauche s’abaissa et ses yeux se coulèrent vers trois hommes installés à une table dans le coin. Ils étaient silencieux même pour le Blaireau, presque taciturnes, et leurs chapeaux de velours en forme de cloche, leurs bliauds sombres, où étaient brodées en travers de la poitrine des barres d’argent, d’écarlate et d’or, tranchaient sur les vêtements quelconques des autres clients.