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Rand essaya de chevaucher côte à côte avec Mat et Perrin mais, quand il laissa son cheval ralentir pour qu’ils le rattrapent, Mat donna un coup de coude à Perrin et ce dernier, à regret, partit au galop vers la tête de la colonne avec Mat. Se disant que rester en queue de colonne ne rimait à rien, Rand retourna en tête. Les deux autres revinrent à l’arrière, Perrin de nouveau sur l’incitation de Mat.

Qu’ils rôtissent. Je veux seulement m’excuser. Il se sentait isolé. Qu’il sache que c’était par sa propre faute ne lui apportait pas de réconfort.

Au sommet d’une colline, Uno mit pied à terre pour examiner le sol labouré par des sabots. Il donna un coup de botte à un tas de crottin et grommela. « Se déplacent sacrément vite, mon Seigneur. » Il avait une voix qui résonnait comme s’il criait à pleins poumons alors qu’il parlait normalement. « Nous n’avons pas gagné une heure sur eux. Que je brûle, nous avons peut-être même perdu une bougre d’heure. Ils tueront leurs sacrés chevaux au train qu’ils mènent. » Il suivit du doigt le contour d’une empreinte de sabot. « Pas d’un cheval, ça. Un sacré Trolloc. Il y a de foutues empreintes de chèvre là-bas.

— Nous les rattraperons, dit Ingtar avec détermination.

— Nos chevaux, mon Seigneur. Cela ne rime à rien de les faire tomber sur les genoux dans ce sacré terrain avant de les rattraper, mon Seigneur. Même s’ils crèvent sous eux leurs montures, ces sacrés Trollocs sont capables de continuer à avancer plus longtemps que des chevaux.

— Nous les rattraperons. En route, Uno. »

Uno regarda Rand de son œil unique, puis haussa les épaules et se remit en selle. Ingtar prit leur tête pour dévaler l’autre versant, glissant la moitié du temps, et remonta le versant suivant au galop.

Pourquoi me regarde-t-il de cette manière, se demanda Rand. Uno était de ceux qui ne lui avaient jamais témoigné beaucoup de sympathie. Cela n’avait rien à voir avec l’aversion déclarée de Masema ; Uno ne se montrait amical envers personne à part quelques vieux soldats aussi grisonnants que lui-même. Lui ne croit sûrement pas cette bêtise que je suis un seigneur.

Uno passait son temps à scruter le terrain devant eux mais, quand il surprit Rand à le regarder, il lui rendit coup d’œil pour coup d’œil sans prononcer un mot. Cela ne tirait pas à conséquence. Il regardait aussi Ingtar dans le blanc des yeux. C’était la façon d’être d’Uno.

Le chemin choisi par les Amis du Ténébreux – et quoi d’autre ? se demandait Rand ; Hurin ne cessait de marmotter « quelque chose de pire » – qui avaient volé le Cor ne s’approchait jamais d’un village. Rand aperçut des villages, d’un sommet de colline à un autre, avec environ un quart de lieue ou plus de pays vallonné les séparant, mais aucun n’était assez proche pour qu’on distingue des gens dans les rues. Ou assez proche pour que ces gens voient une troupe se dirigeant vers le sud. Il y avait aussi des fermes, aux maisons enfouies sous leur toit débordant, de hautes granges et des cheminées fumantes, au sommet des collines, à flanc de coteau ou dans le creux des vallées, mais jamais une à distance suffisante pour que le fermier ait repéré leur gibier.

Finalement, même Ingtar dut se rendre compte que les chevaux ne pouvaient plus soutenir le train qu’ils menaient. Rand entendit un chapelet de jurons marmonnés, Ingtar se martela la cuisse de son poing cuirassé d’un gantelet aux lamelles d’acier, mais il ordonna néanmoins que tout le monde descende de cheval. Ils coururent au pas gymnastique en tenant leur monture par la bride, gravissant puis descendant les pentes pendant un quart de lieue, après quoi ils se remirent en selle et chevauchèrent de nouveau. Ensuite, encore pied à terre et pas gymnastique. Courir un quart de lieue, galoper un quart de lieue. Courir, galoper.

Rand fut surpris de voir Loial sourire quand ils étaient à terre, gravissant péniblement une colline. Lors de leur première rencontre, l’Ogier s’était montré anxieux à l’idée d’approcher des chevaux et d’en monter, préférant se fier à ses propres jambes. Mais Rand croyait qu’il avait dominé depuis longtemps cette inquiétude-là.

« Aimez-vous courir, Rand ? demanda Loial en riant. Moi, oui. J’étais le plus rapide au Stedding Shangtai. Une fois, j’ai dépassé un cheval. »

Rand se contenta de secouer la tête. Il ne voulait pas gaspiller son souffle à bavarder. Il chercha du regard Mat et Perrin, mais ils étaient encore en queue de colonne, avec de trop nombreux guerriers entre eux et lui pour que Rand les aperçoive. Il se demanda comment ces gens du Shienar en armure réussissaient à soutenir l’allure. Uno n’avait même pas l’air de transpirer et le porte-bannière ne laissait jamais vaciller le Hibou Gris.

En dépit de leur marche rapide, le crépuscule commença à tomber sans qu’ils voient le moindre signe de ceux qu’ils poursuivaient à part des empreintes. Enfin, à contrecœur, Ingtar commanda la halte afin d’installer le camp pour la nuit dans la forêt. Les guerriers se mirent à allumer des feux et à planter des piquets d’attache pour les chevaux, avec une souple économie d’effort provenant d’une longue expérience. Ingtar posta six hommes par paire, pour la première veille.

Quant à Rand, il s’affaira avant toute chose à retrouver son ballot de vêtements dans les paniers de bât en osier sur les chevaux de somme. Ce ne fut pas difficile – il y avait peu de balluchons personnels parmi les provisions – mais, quand il l’eut ouvert, il poussa un cri qui fit se dresser tous les hommes du camp, l’épée à la main.

Ingtar survint en courant. « Que se passe-t-il ? Par la Paix, a-t-on pénétré dans le camp ? Je n’ai pas entendu les sentinelles.

— Il s’agit de ces surcots », grommela Rand qui regardait toujours fixement ce qu’il avait déballé. Un des vêtements était noir, brodé au fil d’argent, l’autre blanc au fil d’or. Les deux avaient des hérons brodés sur le col, et tous deux étaient au moins aussi élégants que le rouge qu’il avait sur le dos. « Les serviteurs m’avaient dit que j’avais deux tuniques solides et pratiques là-dedans. Regardez-les ! »

Ingtar remit son épée au fourreau par-dessus son épaule. Les autres retournèrent à leurs occupations. « Ma foi, elles ont l’air pratiques.

— Je ne peux pas les mettre. Je ne peux pas me balader habillé comme ça tout le temps.

— Mais si. Une tunique est une tunique. D’après ce qu’on m’a dit, Moiraine Sedai s’est occupée en personne de l’emballage de vos affaires. Possible que les Aes Sedai n’aient pas une conception bien réaliste de ce qui se porte en campagne. » Ingtar eut un large sourire. « Après que nous aurons attrapé ces Trollocs, peut-être aurons-nous un festin. Du moins serez-vous habillé pour la circonstance, même si le reste d’entre nous ne l’est pas. » Il repartit tranquillement vers les feux de cuisine qui étaient déjà allumés.

Rand n’avait pas bougé depuis qu’Ingtar avait mentionné Moiraine. Il contemplait les tuniques. Qu’a-t-elle en tête ? Quoi qu’il en soit, je ne veux pas me laisser utiliser. Il rempaqueta tout ensemble et rechargea le balluchon dans le panier de bât. Je pourrai toujours aller nu, songea-t-il amèrement.

Les guerriers du Shienar préparaient les repas à tour de rôle quand ils étaient en campagne, et Masema remuait le contenu de la marmite lorsque Rand revint vers les feux. L’odeur d’un ragoût à base de navets, d’oignons et de viande séchée se répandait dans le camp. Ingtar fut servi le premier, puis Uno, mais tous les autres s’alignaient à la file dans l’ordre où ils arrivaient. Masema laissa choir avec désinvolture une grosse louche de ragoût dans l’assiette de Rand ; lequel recula vivement pour éviter de recevoir sur ses vêtements ce qui débordait, puis il laissa la place au suivant en suçant son pouce brûlé. Masema le dévisagea avec un sourire figé qui ne se reflétait pas dans ses yeux. Jusqu’à ce qu’Uno s’avance et lui assène une taloche.