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Mat fit tourner son cheval avec empressement. « C’est peut-être Rand. Je savais bien qu’il ne m’abandonnerait pas. »

De minces bouffées de poussière s’élevaient par-ci par-là vers le nord ; un cheval courait à travers des parcelles de terrain où l’herbe était rare. Les guerriers du Shienar se déployèrent, lance en arrêt, guettant dans toutes les directions. L’endroit ne se prêtait pas à accueillir un étranger sans précautions.

Un point apparut – un cheval et son cavalier ; une femme aux yeux de Perrin, longtemps avant que quiconque d’autre soit capable de discerner qui était en selle – et ce point se rapprocha rapidement. La cavalière ralentit au trot quand elle arriva près d’eux, s’éventant d’une main. Une femme replète, grisonnante, au manteau attaché derrière sa selle, qui cligna des paupières en les examinant distraitement.

« C’est une des Aes Sedai, s’exclama Mat d’un ton déçu. Je la reconnais. Vérine.

— Vérine Sedai, rectifia vertement Ingtar qui s’inclina sur sa selle à l’adresse de l’arrivante.

— Moiraine Sedai m’a envoyée, Seigneur Ingtar, annonça Vérine avec un sourire satisfait. Elle pense que vous pourriez avoir besoin de moi. Quelle course au galop j’ai dû faire. J’ai cru ne pas arriver à vous rattraper avant Cairhien. Vous avez vu ce village, naturellement. Oh, c’était vraiment déplaisant, n’est-ce pas ? Et ce Myrddraal. Des corbeaux et des corneilles couvraient les toits, mais aucun ne s’en approchait, même mort. Par contre, j’ai dû chasser le propre poids du Ténébreux en masses de mouches avant de discerner ce qu’il y avait dessous. Dommage que je n’ai pas eu le temps de le décrocher. Je n’ai jamais eu l’occasion d’étudier un… » Soudain ses yeux se rétrécirent et son air distrait se dissipa comme de la fumée. « Où est Rand al’Thor ? »

Ingtar eut une grimace. « Parti, Vérine Sedai. Disparu la nuit dernière, sans laisser de trace. Lui, l’Ogier et Hurin, un de mes hommes.

— L’Ogier, Seigneur Ingtar ? Et votre Flaireur s’en est allé avec lui ? Qu’est-ce que ces deux-là avaient en commun avec… ? » Ingtar la regarda bouche bée et elle eut un rire sec. « Avez-vous cru pouvoir garder secrète une chose pareille ? » Elle émit un nouveau rire sec. « Des Flaireurs. Disparus, vous dites ? »

— Oui, Vérine Sedai. » Ingtar avait un accent troublé. Ce n’est jamais réconfortant de découvrir que les Aes Sedai connaissent ce qu’on essaie de leur dissimuler ; Perrin espéra que Moiraine n’avait parlé de lui à personne. « Mais j’ai… j’ai un nouveau Flaireur. »

Le seigneur du Shienar désigna Perrin du geste. « Ce jeune homme paraît posséder aussi ce don. Je trouverai le Cor de Valère, comme j’ai juré de le faire, n’ayez crainte. Votre compagnie sera la bienvenue, Aes Sedai, si vous désirez nous accompagner. » À la surprise de Perrin, on n’avait pas l’impression à l’entendre qu’il était tout à fait sincère.

Vérine jeta un coup d’œil à Perrin qui, mal à l’aise, changea d’assise. « Un nouveau Flaireur, juste au moment où vous perdez l’ancien. Comme c’est… providentiel. Vous n’avez pas trouvé de traces ? Non, bien sûr que non. Vous l’aviez dit. Bizarre. La nuit dernière. » Elle se retourna sur sa selle pour regarder vers le nord et, pendant un instant, Perrin crut presque qu’elle allait s’en retourner par le chemin d’où elle était venue.

Ingtar fronça les sourcils en s’adressant à elle. « Vous pensez que leur disparition a un rapport avec le Cor, Aes Sedai ? »

Vérine reprit sa position première. « Le Cor ? Non. Non, je… je ne le crois pas. Mais c’est curieux. Très curieux. Je n’aime pas les choses bizarres que je ne comprends pas.

— Je peux vous faire escorter par deux hommes jusqu’à l’endroit où ils ont disparu, Vérine Sedai. Ils n’auront aucun mal à vous y conduire tout droit.

— Non. Si vous dites qu’ils se sont évaporés sans laisser de trace… » Pendant une longue minute, le visage indéchiffrable, elle examina Ingtar. « Je vais vous accompagner. Peut-être que nous les retrouverons, ou qu’ils nous trouveront. Vous me parlerez en route, Seigneur Ingtar. Dites-moi tout ce que vous savez sur ce jeune homme. Tout ce qu’il a fait, tout ce qu’il a dit. »

Ils se mirent en route dans un tintement de harnais et d’armures, Vérine chevauchant botte à botte avec Ingtar et le soumettant à un interrogatoire serré, mais trop bas pour qu’on l’entende. Elle jeta un coup d’œil à Perrin quand il voulut garder son rang à côté d’eux, et il se laissa distancer.

« C’est après Rand qu’elle en a, pas après le Cor », murmura Mat.

Perrin hocha la tête. Où que tu sois allé, Rand, restes-y. Tu y seras plus en sécurité qu’ici.

15

Meurtrier-des-Siens

Cette manière qu’avaient les collines étrangement estompées à l’horizon de glisser au-devant de Rand quand il les regardait franchement lui donnait le vertige, sauf quand il s’enveloppait du vide. Parfois le vide l’entourait sans qu’il l’ait voulu, mais il l’évitait comme la peste. Mieux valait avoir la tête qui tournait que partager le vide avec cette lumière angoissante. Mieux valait de beaucoup contempler le paysage décoloré. Néanmoins, il s’efforça de ne rien regarder de trop éloigné à moins que ce ne soit droit devant.

Hurin avait une expression figée tandis qu’il se concentrait pour flairer la piste, comme s’il tentait de ne pas penser au pays qu’elle traversait. Lorsque le Flaireur remarquait ce qui les entourait, il sursautait et s’essuyait les mains sur sa cotte, puis il tendait le nez en avant comme un limier, le regard devenant vitreux, faisant abstraction de tout le reste. Loial chevauchait affaissé sur sa selle en jetant un coup d’œil soucieux aux alentours, les oreilles frémissant d’inquiétude, parlant pour lui-même entre ses dents.

Ils traversèrent de nouveau un terrain noirci et brûlé, même le sol s’écrasait sous les sabots des chevaux comme s’il avait été desséché par le feu. Ces bandes de terre calcinée, tantôt larges d’un quart de lieue, tantôt seulement de quelques centaines de pas, allaient toutes d’est en ouest aussi droit que la course d’une flèche. Par deux fois, Rand aperçut le bout d’une terre brûlée, une fois quand ils la franchirent à cheval et l’autre quand ils la longèrent ; elles finissaient en pointe. Du moins, les extrémités qu’il vit se terminaient-elles ainsi, mais il soupçonnait qu’elles étaient toutes pareilles.

Un jour, il avait regardé Whatley Eldin décorer une charrette pour le dimanche, là-bas au pays, au Champ d’Emond. What peignait en couleurs vives les motifs et les arabesques complexes qui les entouraient. Pour les bordures, What avait posé la pointe de son pinceau sur la charrette, traçant une ligne fine qui s’épaissit quand il appuya plus fort sur le pinceau et redevint plus mince quand il allégea la pression. Tel était l’aspect du terrain, comme si quelqu’un avait passé en travers un monstrueux pinceau de feu.

Rien ne poussait aux emplacements brûlés, bien qu’on aurait dit à voir certains brûlis qu’ils étaient très anciens. Il ne restait pas la moindre odeur charbonneuse dans l’air, pas un relent même quand il se pencha pour casser une brindille noire et la flairer. Un événement ancien et pourtant rien n’était venu refaire fructifier la terre. Le noir de charbon le cédait à la verdure et le vert au noir selon des lignes de partage aussi nettes que tracées par la pointe d’un poignard.

À sa façon, le reste du pays était aussi mort que les brûlis, même si de l’herbe couvrait le sol et des feuilles les arbres. Tout avait cette teinte fanée, comme de vêtements trop souvent lavés et laissés trop longtemps au soleil. Il n’y avait ni oiseaux ni autres animaux, pour autant que Rand voyait ou entendait. Pas un vol de faucon qui se laisse porter par les airs, pas un glapissement de renard qui chasse, pas un chant d’oiseau. Rien ne faisait bruisser les herbes ou ne se posait sur une branche d’arbre. Pas d’abeilles ni de papillons. À plusieurs reprises, ils franchirent un ruisseau dont le peu de profondeur d’eau ne l’avait pas empêché de raviner la terre et de s’aménager un lit aux berges abruptes forçant les chevaux à descendre tant bien que mal et à remonter péniblement de l’autre côté. C’était de l’eau courante limpide sauf quand la vase était soulevée par les sabots des chevaux, mais jamais un vairon ou un têtard ne s’évadait des remous en frétillant, ni même une dolomède dansant à la surface ou une demoiselle planant au-dessus.