Elle était entièrement vêtue de blanc, sa robe à la jupe divisée pour monter à califourchon était blanche et enserrée par une ceinture d’argent, et ses bottes blanches, qui pointaient sous l’ourlet de sa jupe, étaient aussi ornées d’argent. Même sa selle était blanche et incrustée d’argent. Sa jument blanche comme la neige, avec son cou arqué et son allure gracieuse, était presque aussi grande que le cheval de Rand. Cependant, c’est la jeune femme elle-même – elle pouvait avoir l’âge de Nynaeve, à son avis – qui retint son attention. D’abord, elle était grande ; d’une main plus grande, elle l’aurait presque regardé droit dans les yeux. D’autre part, elle était belle, sa peau d’un blanc d’ivoire formant un vif contraste avec une longue chevelure sombre comme la nuit et des yeux noirs. Rand avait vu de belles femmes. Moiraine était belle, encore que d’une beauté froide, et aussi Nynaeve, quand son caractère irritable ne prenait pas le dessus. Egwene et Élayne, la Fille-Héritière d’Andor, avaient de quoi couper le souffle à n’importe qui. Mais cette jeune femme… Il avait la langue collée au palais ; il sentit son cœur recommencer à battre.
« Vos gens, mon Seigneur ? »
Surpris, il tourna la tête. Hurin et Loial les avaient rejoints. Hurin écarquillait les yeux comme lui-même l’avait fait, et même l’Ogier semblait fasciné. « Mes amis, dit-il. Loial et Hurin. Mon nom est Rand. Rand al’Thor.
— Je n’y avais encore jamais réfléchi, déclara soudain Loial comme s’il se parlait à lui-même, mais si la perfection existe en matière de beauté humaine, pour le visage et pour le corps, alors vous…
— Loial ! » s’exclama Rand. Les oreilles de l’Ogier se figèrent d’embarras. Celles de Rand étaient écarlates ; les remarques de Loial étaient trop proches de ses propres conclusions.
La jeune femme eut un rire musical mais, l’instant d’après, elle se drapa dans une dignité protocolaire, telle une reine sur son trône. « Je m’appelle Séléné, dit-elle. Vous avez risqué votre vie et sauvé la mienne. Je suis à vous, Seigneur Rand al’Thor. » Et devant Rand horrifié, elle mit un genou en terre.
Sans regarder Hurin ni Loial, il la releva hâtivement. « Un homme qui ne mourrait pas pour sauver une femme n’est pas un homme. » Il s’empourpra aussitôt, à sa grande confusion. La phrase était d’usage courant au Shienar et il s’était rendu compte de ce qu’elle avait de pompeux avant même qu’elle lui sorte de la bouche, mais l’attitude solennelle de la jeune femme avait déteint sur lui et il n’avait pu s’empêcher de la prononcer. « Je veux dire… En fait, c’était… » Espèce d’idiot, impossible de dire à une femme que sauver sa vie est peu de chose. « C’était pour moi une question d’honneur. » Cela ressemblait vaguement à une formule cérémonieuse du Shienar. Il espéra qu’elle conviendrait ; il avait l’esprit aussi dépourvu de reparties que s’il se trouvait encore dans le Vide.
Subitement, il sentit son regard peser sur lui. Séléné n’avait pas changé d’expression, mais ses yeux noirs lui donnaient l’impression d’être nu. Spontanément, l’image de Séléné dévêtue s’imposa à son esprit. La rougeur envahit de nouveau sa figure. « Aah ! Heu, d’où venez-vous, Séléné ? Nous n’avons rencontré personne depuis notre arrivée ici. Votre ville se trouve-t-elle à proximité ? » Elle l’examina d’un air songeur et il recula d’un pas. Cet air le rendait trop conscient du peu de distance qui les séparait.
« Je ne suis pas de ce monde, mon Seigneur, dit-elle. Il n’y a personne ici. Aucun être vivant à l’exception des grolms et de quelques créatures du même genre. Je suis de Cairhien. Quant à la façon dont j’ai abouti ici, je ne le sais pas exactement. J’étais partie me promener, je me suis arrêtée pour faire la sieste et, quand je me suis réveillée, ma jument et mot étions ici. Je ne peux qu’espérer, mon Seigneur, que vous serez en mesure de me sauver encore une fois en m’aidant à rentrer chez moi.
— Séléné, je ne suis pas un… enfin, appelez-moi Rand, je vous en prie. » Il se sentait une fois de plus les oreilles brûlantes. Par la Lumière, il n’y a aucun mal à ce qu’elle me prenne pour un seigneur. Que je sois brûlé, cela ne tire pas à conséquence.
« Si vous le souhaitez… Rand. » Son sourire causa une constriction de la gorge de Rand. « Vous m’aiderez ?
— Certes, oui. » Que je sois brûlé, elle est drôlement belle. Et elle me regarde comme un héros de conte courtois. Il secoua la tête pour chasser ces idées folles. « Mais nous devons commencer par trouver les hommes que nous suivons. J’essaierai de vous garder hors de danger mais il faut que nous les trouvions. Venir avec nous vaudra mieux que rester seule ici. »
Elle demeura silencieuse un instant, le visage lisse et inexpressif ; Rand n’avait aucune idée de ce qu’elle pensait, sinon qu’elle paraissait recommencer à l’examiner. « Un homme de devoir », finit-elle par dire. Un léger sourire s’esquissa sur ses lèvres. « Cela me plaît. Oui. Qui sont ces scélérats que vous poursuivez ?
— Des Amis des Ténèbres et des Trollocs, ma Dame », s’écria Hurin. Il s’inclina vers elle avec gaucherie du haut de sa selle. « Ils ont commis des meurtres dans la citadelle de Fal Dara et volé le Cor de Valère, ma Dame, mais mon Seigneur Rand va le rapporter. »
Rand regarda le Flaireur d’un air mi-figue mi-raisin ; Hurin lui répondit par un sourire contrit. Autant pour la discrétion. Cela n’avait pas d’importance ici, probablement, mais une fois de retour dans leur monde… « Séléné, ne dites rien à qui que ce soit concernant le Cor. Si la nouvelle se répandait, nous aurions cent personnes sur nos talons qui tenteraient de s’emparer du Cor pour leurs ambitions personnelles.
— D’accord, promit Séléné. Ce serait catastrophique qu’il tombe entre d’autres mains que celles qui conviennent. Le Cor de Valère. Je ne peux pas vous dire combien de fois j’ai rêvé de le toucher, de le tenir dans les miennes. Promettez-moi que lorsque vous l’aurez vous me laisserez le toucher.
— Avant que je puisse le faire, nous devons le trouver. Mieux vaut continuer notre chemin. » Rand lui présenta le poing pour l’aider à se mettre en selle ; Hurin se précipita à bas de son cheval pour lui tenir l’étrier. « Qu’est-ce que c’était que j’ai tué-un grolm ? D’autres rôdent peut-être dans les parages. » Séléné avait une main ferme – l’étreinte en était d’une force surprenante – et sa peau était… comme de la soie ? Non, plus veloutée, plus lisse. Rand frissonna.
— Il y en a toujours », répliqua Séléné. La grande jument blanche caracola et montra les dents à l’intention du Rouge, mais une pression de Séléné sur les rênes la calma.
Rand suspendit son arc derrière son dos et enfourcha le Rouge. Par la Lumière, comment peut-on avoir une peau aussi satinée ? « Hurin, où est la piste ? Hurin ? Hurin ! »
Le Flaireur sursauta et interrompit sa contemplation de Séléné. « Oui, Seigneur Rand. Ah… la piste. Au sud, mon Seigneur. Toujours au sud.
— Alors, en route. » Rand jeta un coup d’œil inquiet à la masse gris-vert du grolm gisant dans le torrent. Croire qu’ils étaient les uniques êtres vivants dans ce monde avait été plus que réconfortant. « Suivez la piste, Hurin. »
Au début, Séléné chevaucha côte à côte avec Rand, causant de choses et d’autres, le questionnant et l’appelant « seigneur ». Une demi-douzaine de fois, il s’apprêta à lui expliquer qu’il était non pas un seigneur mais un berger et, chaque fois, en la regardant, il fut incapable de sortir un mot. Une dame comme elle ne s’entretiendrait pas de cette façon avec un berger, il en était sûr, même un berger qui lui avait sauvé la vie.