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— Me voilà rassuré ! Mais pour en revenir à Sarrance, le crois-tu capable d’avoir pondu ce billet ?

— Il y a seulement quelques mois, je vous aurais dit non sans hésiter, mais il a tellement changé ! Je sais qu’il lui arrive, dans les combats, de se laisser emporter par cette espèce de fureur que les Vikings anciens appelaient berseke et prétendaient envoyée par les dieux, ce qui les rendait pratiquement invincibles. Mais l’excitation retombée, il redevenait comme vous et moi. Cependant, après s’être laissé aller jusqu’à défier le Roi à la limite de l’insulte comme il l’a fait...

— Il devrait être embastillé ! Il a eu de la chance qu’Henri ait été de bonne humeur ! Qu’en pense votre colonel?

— M. de Sainte-Foy n’est pas homme à livrer ses sentiments. Il a ordonné qu’on le raye des rôles du régiment sans autre commentaire. En revanche, la plupart de ses camarades lui ont tourné le dos. Mais, pour ce que j’en sais, cela ne l’empêche pas de mener joyeuse vie avec des filles et les fêtards les plus notoires de Paris grâce à la fortune des Davanzati. Il joue beaucoup en compagnie de cet ex-croupier de Concini avec lequel la Reine le verrait toujours avec plaisir quand le Roi n’y est pas. On le rencontrerait aussi chez Mme de Verneuil mais là rien d’étonnant : il lui rendait déjà visite avant l’entrée en scène de Lorenza ! Voilà tout ce que je sais !

— Tu ne t’en tires pas si mal, pour quelqu’un qui ne s’intéresse pas aux potins de la Cour ! Donc, au fond de toi-même, tu le crois capable d’avoir rédigé ce maudit billet ?

Thomas haussa des épaules désabusées.

— C’est possible... bien que ce tutoiement me gêne !

— Pas moi ! Ce n’est jamais qu’une infamie de plus laissant supposer des droits de propriété !

— Vous voulez me faire comprendre qu’il en aurait eu...

— Ne divague pas ! J’ai dit une infamie de plus ! De toute façon, et au cas - inimaginable ! - où tu en douterais encore, la nuit de demain devrait te donner une preuve irréfutable.

— Je n’ai pas besoin de preuve ! Ce que je veux, c’est savoir le nom de ce salaud et lui passer mon épée au travers du corps ! A y réfléchir d’ailleurs, l’auteur du billet ne peut pas être Sarrance...

— Pourquoi ?

— La dague. Elle a peut-être tué son père mais je suis sûr qu’il ne l’a jamais vue. Celui qui l’a soigneusement dessinée devait l’avoir sous les yeux...

— Là, il se pourrait que tu aies raison !

Etait-ce le clair rayon de soleil qui envahit sa chambre le lendemain mais, en s’éveillant après une nuit réparatrice, Lorenza se retrouva telle qu’elle était avant l’arrivée du désastreux message : une jeune fille au matin de ses noces avec un garçon qu'elle aimait bien. Le cercle d’affection spontanée et l’atmosphère de ce puissant château dont l’élégance cachait une force réelle avaient, en se refermant autour d’elle, chassé les ténèbres de ses souvenirs. Et c’était une impression délicieuse que de se sentir, après tant de vicissitudes, partie intégrante d’une vraie famille. Surtout de cette famille-là !

A Guillemette qui, après avoir gratté timidement à la porte, passait un visage inquiet par l’entrebâillement, elle offrit un sourire radieux.

— Entre donc ! De quoi as-tu peur ?

— C’est que... vous étiez si malheureuse hier...

— Hier n’est pas aujourd’hui et aujourd’hui j’ai faim !

Brève disparition pour reprendre le plateau laissé sans doute sur un meuble à l’extérieur que la jeune femme de chambre vint déposer sur les genoux de Lorenza.

— Ah ! J’aime mieux ça ! On s’est fait tant de souci pour vous !

— C’est gentil et je vous en remercie tous !

Elle n’eut pas le temps d’en dire davantage : Mme de Royancourt, visiblement en proie à une inquiétude qu’elle s’efforçait de cacher, effectuait une entrée plus discrète que d’habitude. Le soupir de soulagement qu'elle lâcha dès le seuil fut plus révélateur qu’un long discours. Elle aussi se demandait dans quel état elle allait trouver la future baronne. Voir celle-ci tremper une tartine de miel dans un bol de lait chaud lui parut le plus agréable des spectacles.

— Bon appétit ! lança-t-elle. Je suis venue vous annoncer que votre robe vient d’arriver. J’avoue que je commençais à m’inquiéter mais enfin elle est là !

— Comment est-elle ?

— Sublime ! La maison Pèlerin s’est surpassée et il est préférable que la reine Marie ne nous honore pas de sa présence : elle s’en pâmerait de jalousie !

— Pas au point de se la faire « prêter » tout de même afin de la copier ? Elle a déjà oublié de me rendre mes bijoux...

— Ah ! Si l’on parle de bijoux, je crois que c’est mon domaine !

Après un coup léger frappé à la porte, le baron Hubert entrait dans la chambre suivi d’un valet chargé d’une cassette et d’une pile d'écrins.

— C’est l’approche de Noël qui vous inspire, Hubert ? Le taquina sa sœur. Quel dommage que nous ne soyons que deux ! Nous aurions fait une assez bonne imitation des Rois mages !

A la vue de son futur beau-père, Lorenza se hâta de se lever, d’enfiler sa robe de chambre et ses pantoufles. Elle se sentait soudain très émue.

— Ma chère enfant, commença le baron un rien solennel, puisque vous devenez ma fille en ce jour béni, j’estime naturel de vous remettre le petit trésor qui était celui de ma chère épouse Catherine, la mère de Thomas. J’espère que vous porterez ces babioles avec plaisir...

— ... et beaucoup d’émotion, murmura Lorenza à deux doigts des larmes. Mais c’est avec humilité que je les reçois. Comme un dépôt sacré qu’avec l’aide de Dieu, je voudrais transmettre, dans l’avenir, aux enfants qui seront, je pense, la meilleure façon de vous rendre un peu du bonheur que vous me donnez aujourd’hui...

— Ajoutez-y votre affection et nous serons comblés.

La gorge nouée par l’émotion, Lorenza les embrassa tous les deux.

En parlant d’un petit trésor, le baron Hubert avait fait preuve de modestie. Les joyaux dont elle se considérerait désormais comme dépositaire étaient dignes d’une princesse bien plus que ceux qu’elle avait apportés dans ses bagages. Colliers, bracelets, pendants d’oreilles, ornements de tête, ceintures, devants de corsage, broches, agrafes, il y en avait de toutes les couleurs, mais perles et diamants dominaient. Une mignonne couronne de chignon composée de fleurs en diamant semblait faite exprès pour retenir un voile de mariée.

— Vous voyez, dit Clarisse, que, si vous vous rendez à la Cour, vous serez aussi joliment parée que les duchesses.

— Ce qui est normal, appuya son frère, car si les Montmorency sont les premiers barons chrétiens, nous, les Courcy, sommes les deuxièmes et ce depuis des siècles. Mais qu’est-ce donc qui vous rend tout à coup si songeuse ?

Lorenza contemplait en effet l’étalement scintillant qui couvrait une table et auquel le soleil arrachait des éclairs.

— Je me demande justement si les porter à la Cour serait prudent. Il est vrai que je serais fort étonnée d’y être appelée et qu’en toute vérité je n’en ai pas envie !

— Si vous pensez à l’œil glauque et aux doigts collants de notre gracieuse souveraine, vous avez pleinement raison... à ceci près qu’il lui serait plus difficile de dépouiller la baronne de Courcy qu’une petite filleule nouvellement arrivée et dont personne ne savait rien ! Certaines de ces pièces sont célèbres! Et puis dites-vous que notre Dauphin a huit ans, qu’on le mariera peut-être bientôt et que notre Reine à venir ne sera pas affligée de la même passion collectionneuse que sa belle-mère! Bon, trêve de bavardage ! Je crois qu’il est l’heure d’aller nous adoniser et revêtir nos atours ! Et vous, jeune fille, ajouta-t-il en posant ses deux mains sur les épaules de Lorenza pour la tenir à bout de bras, songez seulement à vous, à être belle... et heureuse ! Il n’y a ici que des gens qui vous aiment et sont prêts à vous défendre ! Contre toute menace !