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— Non. La tentative que la cotte de mailles a fait avorter, oui, mais non le meurtre !

— Vous savez cela aussi ? fit Lorenza d’une voix que la colère naissante faisait trembler. Et pourtant, vous m'avez laissé condamner...

La forme noire haussa les épaules.

— Qu’avais-je à me soucier de vous ? N’étiez-vous pas une coupable tout à fait convenable ?

— C’est trop juste ! C’est donc ce Bruno Bertini qui a frappé ? Pas pour son propre compte, je présume ? Et d’abord me révélerez-vous le nom de celui qui a tué mon fiancé ?

— Notre ami Giovanetti, voyons ! (Et comme Lorenza étouffait sous sa main un cri d’horreur, elle poursuivit :) Pas pour son plaisir, croyez-le ! Mais essayez de comprendre : il accourait à Florence pour ramener en France la plus riche héritière de la ville afin d’éviter une répudiation à la reine Marie. Et pour apprendre quoi ? Qu'elle est fiancée et doit se marier dans les prochains jours. Il fallait bien parer au plus pressé. C’est un diplomate, que voulez-vous !

— Curieuse façon de pratiquer la diplomatie ! Et, selon vous, il a tenté de recommencer à Paris ? Mais pourquoi ?

— Par remords, peut-être ? Le mariage qu’on vous avait promis devait vous rendre heureuse, or il tournait au cauchemar...

— C’est donc pour lui que travaillait Bruno Bertini ? Il a achevé la besogne ?

— Là, je ne saurais vous répondre ! Je n’en sais pas plus !

— Ce serait logique pourtant et j’y voie la raison pour laquelle Giovanetti a voulu m’emmener quand il a dû quitter Paris précipitamment !

— Pourquoi pas, en effet ? Il était lui-même chassé et ne pouvait plus revenir pour vous porter secours.

— Avant d’être reconduit aux frontières, il pouvait écrire, tout de même ? Faire une tentative pour me sauver ?

— Je vous ai dit ce que je sais. Pour le reste... interrogez-le.

Lorenza cependant n’écoutait plus. Les coudes sur les bras de son fauteuil, le visage appuyé sur ses mains jointes, elle réfléchissait.

— Mais alors la seconde lettre...

— Quelle lettre ?

— Celle reçue à Courcy la veille de mon mariage et qui... Se pourrait-il qu’il soit l’assassin que je cherche ? Pourtant, il n’est revenu en France que peu avant la mort du Roi !...

— A cela je n’ai pas de réponse à vous donner puisque c’est ce que vous m’avez demandé d’éclaircir. Le souhaitez-vous toujours ou bien...

— Plus que jamais, s’exclama-t-elle. Il faut que je sache... A tout prix !... Pourquoi... mais pourquoi aurait-il fait cela ?

— Peut-être pour la plus élémentaire des raisons. Il ne vous est pas venu à l’esprit que cet homme était amoureux de vous ?

— Giovanetti ? Amoureux de moi ? Mais il pourrait être mon père !

— Et je vous croyais intelligente ! Le vieux Sarrance aussi pouvait l’être... sinon plus et pourtant il s’est pris pour vous d’une passion sénile aussi furieuse que dévastatrice !

Elle avait cent fois raison ! Saisie soudain d’une douleur insidieuse, Lorenza murmura :

— Pas son fils tout de même ?...

— On dirait que cela vous chagrine ? Constata l’autre, implacable. Vous tenez toujours à ce que je vous donne une réponse à votre question de tout à l’heure ?

Lorenza alors se redressa, puis se leva. Les yeux secs et la voix tranchante, elle lança à ce fantôme noir dont elle pouvait voir briller le regard sous la mousseline funèbre :

— Je ne désire que cela... mais j’exige une certitude !

Et amassant ses robes, elle ouvrit la porte et s’enfuit en courant jusqu’à sa voiture dont un valet eut juste le temps de baisser le marchepied.

— Au château ! ordonna-t-elle. Nous rentrons !

Mais le temps que l’on ouvre le portail, elle vit surgir à la portière la tête de Giovanetti :

— Pourquoi partir si vite... et sans même me dire un mot ?

Il voulut ouvrir mais elle avait verrouillé :

— Que vous ai-je fait ?... Répondez-moi, Lorenza !

D’un geste vif, elle baissa le mantelet de cuir sans répondre. A ce moment, le cocher enleva ses chevaux et le carrosse franchit le seuil en déclenchant un bruit d’apocalypse avant de se lancer dans la rue heureusement déserte et que le crépuscule emplissait de grisaille.

Une fois certaine d’être bien seule, Lorenza se laissa aller dans les coussins et éclata en sanglots... Elle était venue chercher un rayon d’espoir auprès de cette femme en piétinant son orgueil. Elle ne remportait qu’une blessure supplémentaire. Giovanetti ! L’ami sur qui elle pensait pouvoir s’appuyer en toutes circonstances ! Un meurtrier ! Qu’il eût agi pour quelque raison que ce fût ne changeait rien à sa déception... même si elle pouvait lui être reconnaissante de l’avoir débarrassée de l’abominable Sarrance. Mais Vittorio! Ce charmant garçon qui avait ouvert pour elle les portes du bonheur ?... Elle savait trop, depuis son arrivée en France, que les pires forfaits pouvaient être perpétrés au nom de la politique puisque l’on venait d’y assassiner un roi afin de détruire son œuvre et qu’on s’était servi pour cela de rancunes et d’appétits sordides. Mais qu’un personnage tel que l’ambassadeur eût décidé froidement d’abattre un beau jeune homme pour remplir sa mission, elle ne pouvait l’admettre. Quelle qu’ait pu être l’urgence !

Et maintenant, Thomas ?...

Plus elle y réfléchissait et plus la certitude s’ancrait ! Les éléments s’imbriquaient à la perfection, et c’était elle-même - suprême dérision - qui, en demandant à Giovanetti d’aller à Bruxelles, l’avait lâché comme un vautour sur son époux bien-aimé. Trouver une dizaine de mercenaires et mettre à leur tête quelque reître désargenté en l’affublant du nom de Vitry n’avaient pas dû poser de problèmes insolubles, d’autant que le physique du capitaine était plutôt brutal. L’ex-ambassadeur ne manquait pas d’or et qui en possédait assez était capable de mettre la terre sens dessus dessous. Même la lettre de Marie de Médicis n’avait pas dû créer de difficultés : il connaissait si bien son écriture ! Et, ainsi que l’avait souligné la Galigaï, dénicher un habile faussaire n’avait rien d’impossible en admettant qu’il ne l’ait pas rédigée lui-même !

Oui, tout s’enchaînait trop bien, surtout si l’on tenait compte de sa présence à Verneuil quand elle avait reçu la dernière lettre. Mais vers qui se tourner à présent ?

En changeant de position dans la voiture, sa jambe rencontra la raideur de la dague glissée dans une poche de sa jupe. Elle la sortit, la dégaina et contempla un moment la lame effilée. La tentation était grande d’ordonner au cocher de faire demi-tour et de la ramener rue Mauconseil pour en finir une bonne fois.

Elle se penchait déjà pour se faire entendre quand une pensée, imprécise et qu’elle ne put définir, la retint. L’instinct peut-être mais c’était comme une main invisible soudain posée sur son épaule et elle se rejeta au fond des coussins. Au point où elle en était, mieux valait se garder de ses impulsions. La sagesse - un mot qu’elle n’aimait pas beaucoup - commandait d’attendre au moins la réponse de la Galigaï. Simple courtoisie ou simple prudence mais il fallait jouer le jeu jusqu’au bout ! En outre, aller seule attaquer Giovanetti dans sa maison - où la femme de Concini se serait peut-être attardée - relevait de la folie pure. Même s’il l'aimait, il était capable de la tuer. Non, il fallait patienter encore... voir venir ! Et le carrosse poursuivit son chemin, franchissant au galop les portes de Paris alors qu’on les fermait, ce qui provoqua des cris de protestation qui s’élevèrent derrière eux.

Ce mince incident rappela à Lorenza ce fameux soir où, après l’avoir pour ainsi dire enlevée de chez Mme de Verneuil, Giovanetti avait tenté de lui faire reprendre la route de Florence. Cette fois, les portes étaient restées closes devant eux. Arrêtée par le guet, elle avait fini la nuit dans une geôle du Grand Châtelet. Giovanetti avait vraiment tenté de la sauver alors, et sa douleur de devoir poursuivre son chemin sans elle n’était pas feinte. La Galigaï voyait peut-être juste en affirmant qu’il l’aimait ?