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De cette idée naquit une autre : devait-elle accorder une confiance totale à cette femme qui n’avait aucune raison de la porter dans son cœur, même si l’enchaînement des faits tels qu’elle les lui avait rapportés et qui s’ajoutait à ce que savait la jeune femme était d’une redoutable logique.

Décidément, le plus sage était d’attendre !

Le temps s’était mis à la pluie. La nuit était fort avancée lorsque l’on fut à Courcy où l’on trouva Mme de Royancourt dans une agitation extrême.

— Dieu que vous avez tardé ! s’écria-t-elle. J’étais dans la dernière inquiétude et je n’ai cessé de me reprocher de ne pas vous avoir accompagnée !

— Que pouviez-vous redouter ? J’allais chez... un ami.

Toujours si perspicace d’habitude, Clarisse ne remarqua pas la légère hésitation de sa nièce avant de prononcer le dernier mot.

— Certes ! Mais pas pour rencontrer une amie ! L’avez-vous vue au moins ?

— Oh oui ! Elle m’a promis d’essayer d’apprendre la vérité sur le faux capitaine de Vitry.

— Vous a-t-elle parlé à visage découvert ?

— Non, mais le voile - une simple mousseline ! - était moins opaque que de coutume et je distinguais nettement ses traits, l’expression de ses yeux surtout ! C’est une femme étonnante, vous savez ?

— Je n’ai jamais prétendu le contraire... mais ne venez pas me dire qu’elle vous a séduite !

— Non. De ce côté-là, rien à craindre !

— Vous a-t-elle laissé entrevoir ce que ses services allaient vous coûter ? fit-elle avec une nuance de dédain.

— Non. Lorsque j’ai évoqué la question, elle l’a éludée... Au fait, ne devriez-vous pas être en train de souper à cette heure ? Où est père ?

— D’abord, nous ne nous serions jamais mis à table sans vous. Et certes pas dans l’incertitude causée par votre retard ! Ensuite, il n’est pas là !

Lorenza, qui s’était installée près de la cheminée pour se réchauffer et se frottait les mains, la regarda avec étonnement. Quelle curieuse tournure de phrase...

— Est-ce indiscret de vous demander... où il est ?

— Je... je n’en sais rien ! Esquiva Clarisse, à nouveau saisie par l’agitation qu’elle avait montrée au moment du retour de sa nièce, mais elle reprit : Vous étiez sortie depuis peu quand... quelqu'un est arrivé... et ils ont disparu !... Et ne me demandez pas qui est ce quelqu’un, je ne peux vous le dire! Ah, Chauvin ! ajouta-t-elle en voyant apparaître le maître d’hôtel. Nous passons à table ?

— Si Madame la comtesse et Madame la baronne le veulent bien !

— Nous y allons !

Et glissant son bras sous celui de Lorenza, Clarisse voulut l’entraîner. De plus en plus surprise, celle-ci résista doucement.

— Est-ce que nous ne nous lavons plus les mains ?

Portées par deux laquais, les bassines et les serviettes arrivaient en effet. Clarisse qui prenait toujours de ses mains un soin extrême expédia ce qui, ce soir, semblait être pour elle une sorte de formalité, et fila vers la table. Lorenza suivit non sans avoir jeté au passage à Chauvin un coup d’œil interrogateur auquel le vieux serviteur répondit par un haussement de sourcils traduisant l’ignorance ! Décidément, il s’était produit quelque chose en son absence ! Quelque chose que l’on n’avait pas l’intention de lui communiquer. Mais quoi?

Un fait était certain. Clarisse comme son frère, justement fiers de la cuisine du château, prenaient à table un plaisir délicat, savourant chaque bouchée sans perdre pour autant le fil d’une conversation généralement alerte. Or, cette fois, elle engloutit un premier potage, tâta d’un autre qu’elle avala sans respirer et, finalement, posa ses coudes sur la table pour regarder Lorenza d’un air engageant.

— Et si vous me disiez ce que vous a raconté la dame Concini ?

Lorenza avait bonne envie de riposter en demandant qui l’on avait reçu à Courcy en son absence mais elle aimait trop sa tante pour l’embarrasser en l’obligeant à mentir.

— Je vous le répète : elle a promis de s’intéresser au sort de Thomas mais elle aurait tendance à penser que l’auteur de tous nos maux n’est autre que Filippo Giovanetti !

— Quoi ? Cet homme charmant, votre meilleur ami, il me semble ! Elle est folle ?... Ou alors elle a l’intention de vous mener en bateau. Ne retournez pas la voir !

— Difficile à croire d’emblée, n'est-ce pas ? Pourtant il y a beaucoup d’éléments troublants. Par exemple, elle assure que c’est lui qui a fait assassiner Vittorio Strozzi, mon fiancé !

— Et pour quelle raison ?

— Remplir la mission dont il était chargé qui consistait à nous ramener, ma dot et moi, en France, afin de gagner Sarrance à la cause de la Reine. Or j’étais prête à me marier : il a paré au plus pressé !

— Doux Jésus ! Si tous les ambassadeurs se mettaient à trucider les gens qui entravent leurs missions, on assisterait à une hécatombe ! C’est tout ?

— Non. L’attaque subie par M. de Sarrance serait aussi son œuvre...

— Après tout, pourquoi pas ? Au point où il en était !

— Sans doute, mais la cotte de mailles ayant empêché la mort de faire son œuvre, il aurait poussé Bertini à l’achever en égorgeant le vieux satyre... après quoi il aurait fait supprimer Bertini afin d’être bien certain qu’il se tairait définitivement !

Du coup, la comtesse n’avait plus faim. Occupée à picorer distraitement des champignons à la crème dans un plat, elle resta la fourchette en l’air.

— Mais on ne lui en demandait pas tant ! C’est peut-être pousser un peu loin la conscience professionnelle ? Alors... les lettres signées de la dague au lys rouge...

— ... Seraient de lui, comme la fausse lettre aux archiducs... et l’expédition du pseudo-Vitry pour récupérer mon époux. Et ne me demandez pas pourquoi : simplement par amour pour moi !

— Miséricorde!... Et il était à Verneuil quand vous avez reçu la dernière !

— J’avais tellement de peine à croire tout cela que je suis partie sans accepter de lui parler ! J’avais besoin de réfléchir dans le calme. Mais plus j’y pense et plus j’en viens à croire qu'elle a raison. Et dire que c’est moi qui l’ai envoyé à Bruxelles pour tenter d’obtenir la libération de notre Thomas et de ce pauvre Bois-Tracy ! C’est... c’est épouvantable ! Je... je vais le tuer !

Elle laissa alors tomber son visage dans ses deux mains, non pour cacher ses larmes mais pour calmer leur tremblement. Clarisse alors se leva, fit le tour de la table et, se penchant sur elle, entoura ses épaules d’un bras affectueux et logea la tête de Lorenza contre son giron, afin de la bercer comme un petit enfant.

— Non... Non, pas d’acte inconsidéré ! Je vous en conjure, Lorie, ne prenez pas de décision trop hâtive que vous pourriez regretter votre vie entière. Après tout, pourquoi devriez-vous prendre comme paroles d’Evangile ce que vous a déballé cette teigne ? Elle a peut-être un intérêt quelconque à vous écarter de tous ceux qui ont fait partie de votre vie passée...

— Un intérêt ? Lequel ?

— Est-ce que je sais ? Nul n’ignore, depuis que le couple est arrivé en France avec Marie de Médicis, que la Galigaï n’a que deux passions : la richesse et son mari, celui-ci d’ailleurs n’ayant été conquis qu’à cause de la fortune qu'elle amassait. Notre stupide Régente lui accorde tous les pouvoirs et elle peut obtenir ce qu'elle veut. Même l’impensable ! Savez-vous ce que m’a dit ce tantôt Mme d’Angoulême venue m’emprunter une once de l’élixir apaisant que m’envoient les dames bénédictines de Royancourt ? Qu’elle aurait obtenu pour son forban la dignité de maréchal de France laissée vacante par la mort de M. de Fervaques. Pas moins ! Le Connétable est à moitié fou de colère : il ne cesse de clamer que Concini va le faire assassiner pour se faire donner l’épée aux fleurs de lys ! Maréchal de France ! Ce pilier de tripots ? Ce parvenu immonde ? Toutes les échines vont se courber devant lui ! Et s’il a trempé dans la vilaine affaire de Bruxelles, ce n’est pas sa femme qui s’en vantera ! Elle a par conséquent tout intérêt à diriger vos soupçons sur un autre qui ne sera pas de force contre le couple ! Ecoutez-moi, par pitié pour vous-même, et ne bougez surtout pas avant qu’Hubert... soit de retour et...