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Hubert l’avait questionné longuement sur le faux Vitry mais Gratien, n’ayant jamais vu le vrai, manquait de points de comparaison. Tout ce qu’il avait pu faire c’était décrire l’homme encore et encore sans rien pouvoir préciser...

— Un quelconque aventurier, avait fini par conclure le baron, comme on en trouve partout à notre époque. Ce qu’il faudrait savoir c’est de qui il tenait ses ordres...

« De toute façon, c'est pas ça le plus important, pensait le brave garçon en suivant la chevauchée de Thomas à travers la campagne picarde. Ce qui compte, c’est qu’on l’ait avec nous! Quand il sera rentré chez lui, qu’il reverra son château, tous ces gens qui le connaissent si bien... et surtout sa belle dame, ça s’rait tout de même le diable si la mémoire ne lui revenait pas ! Au moins quelques bribes ! Mais faudrait peut-être lui rendre d’abord son aspect d’autrefois... ou, presque ! Sinon, la tante Clarisse et la belle Lorenza vont s’évanouir en le revoyant ! »

Le baron ne pensait pas autrement. Pour parer au plus pressé, quand on fut à Valenciennes, on chercha la meilleure auberge où, évidemment, l’entrée de Thomas ne passa pas inaperçue, mais son père avait sa façon de donner des ordres et il obtint sans peine qu’on lui monte un baquet à lessive, de l’eau chaude et du savon. On s’empressa de récurer le rescapé. Pendant ce temps-là, Gratien courait à la recherche de linge et de vêtements convenables et surtout de bottes. Lui seul connaissait par cœur les mensurations de son maître et, quand on apporta le souper, le jeune homme avait retrouvé meilleure figure. Un barbier était venu le raser et raccourcir ses cheveux trop longs. Mais quand on lui tendit un miroir, il hocha la tête d’un air désolé.

— Ainsi c’est là mon visage ? murmura-t-il.

— Tu ne te reconnais pas ?

— Non et cela me déçoit : je ne suis vraiment pas beau!

— Comment veux-tu qu’il en soit autrement ? Tu as une mine épouvantable et tu es maigre comme un clou mais tu redeviendras vite...

— Vous dites que je suis marié et... que ma... femme est belle ?

— Très belle... et très amoureuse de toi !

— Si j’ai tellement changé, j’ai grand peur qu’elle ne soit horrifiée. Peut-être devrais-je attendre quelque temps avant de me montrer à elle ?

— Tu ne la connais pas. Elle n’est pas de celles qui s’arrêtent à ces détails. Elle sait que le temps vous transformera encore, que vous vieillirez, que tu pourras être de nouveau blessé dans une guerre, au pire défiguré, pourtant je réponds sur mon âme de son amour... Depuis que tu as disparu, elle souffre...

— Vous avez dit tout à l’heure que j’étais un soldat ?

— Tu es lieutenant aux chevau-légers du roi Louis XIII qui n’est encore qu’un enfant. Ton colonel est le comte de Sainte-Foy, un grand chef qui sera un jour maréchal de France comme l’était ton grand-père.

— Et pas vous ?

Quoiqu’il n’en eût guère envie jusque-là, Hubert se mit à rire.

— Je vais te porter peine mais non, je n’ai jamais eu la fibre militaire. Oh, certes, j’ai fait ma part auprès du feu roi Henri IV - que Dieu bénisse ! - lorsqu’il combattait pour conquérir son royaume et j’ai reçu de menues estafilades mais, la paix revenue, je suis rentré dans notre beau Courcy où je cultive des fleurs ! Avec l’aide de ta femme pour ne rien te cacher !

— Parlez-moi d’elle ! Elle s’appelle...

— Lorenza mais tu l’as rebaptisée Lorie. Elle est née à Florence qui est une ville...

— Je sais où est Florence !

— Tu sais ? Mais alors...

— C’est vrai... ma mémoire n’est pas entièrement détruite. Je crois toujours en Dieu et n’ai pas oublié les prières qu’on lui doit. Je me souviens de la lecture, de l’écriture, du calcul, du maniement de l’épée, de la monte à cheval...

— J’ai vu !

— Ce que j’ai oublié, c’est moi... qui je suis, ce qui concerne mon enfance, ma famille, qui j’aimais et n’aimais pas...

— Ta tante Clarisse par exemple ?

— J’ai une tante Clarisse ?

— Elle va être très malheureuse si tu ne la reconnais pas. Après la mort de ta mère, c’est elle qui s’est occupée de toi. Elle est veuve depuis très longtemps et vit à Courcy où tout le monde l’aime... à commencer par moi et ta jeune épouse... Ta tante a parfois la dent dure mais elle est très bonne au fond et, surtout, elle a un grand sens de l’humour... On rit souvent avec elle.

— On dirait que j’ai énormément de chance... pour un homme qui se croyait un paysan nommé Colin !

— Celui-là, il va falloir l’oublier ! Ecoute, c’est suffisant pour ce soir. Tu as besoin de repos... et moi aussi. En outre, il me vient des idées que je dois examiner ! Alors, bonne nuit, Thomas !

— Bonne nuit... Père ! Et encore merci !

— Tu n’as pas à dire merci ! N’es-tu pas mon seul enfant ?

En dépit de sa fatigue, Hubert resta éveillé tard dans la nuit. En découvrant que certaines connaissances subsistaient dans le cerveau de son fils, il avait conçu un espoir : celui que, peut-être, tout n’était pas perdu et qu’avec des soins, les zones enténébrées pourraient s’éclaircir. Cela, seul un médecin de talent pourrait être capable de le déceler. Sauf que les médecins valables étaient rares, quantité de ceux qui se paraient du titre n’étant guère que des charlatans. Il en existait un, pourtant, ce Valeriano Campo qui avait jadis sauvé la vie de Lorenza mais dont on disait que la Galigaï s’était emparé. Et si ce docteur-là était celui qui lui convenait ? Donc, avant de rentrer à Courcy, on allait faire halte rue Mauconseil ! Et pourquoi pas pour plusieurs jours !

D’autre part, il fallait éviter à ses « femmes » un choc trop brutal. Il aurait donc tout loisir de les décrire minutieusement, d’apprendre à Thomas ce qu’il devait savoir : comment s'adresser à elles, leurs habitudes et leurs comportements...

Arrivé à ce point de ses cogitations, il se permit une plaisanterie avec lui-même : si Thomas n’avait rien oublié de sa culture civile ou militaire, on pouvait espérer qu'il savait toujours faire l’amour!...

Pourquoi, même, ne se retrouverait-il pas lui-même dans les bras de Lorenza ? Sa féminité chaleureuse aurait réveillé un mort et, avec elle, le désir était une affaire sûre ! Pour sa part personnelle... bon ! Il était temps de quitter le sentier des évocations dangereuses. Donc, première urgence : faire examiner Thomas par le médecin florentin ! Ensuite on aviserait !

Et là-dessus le baron Hubert souffla la chandelle et s'endormit enfin.

Quand on fut à Saint-Quentin, le baron récupéra son carrosse, au grand désappointement de son fils.

— Dois-je vraiment abandonner mon cheval pour monter là-dedans ? dit-il d’un air si navré qu’Hubert ne put s'empêcher de rire.

— Je reconnais que tu n'as jamais aimé ce moyen de transport...

— C'est vrai ?

— On ne peut plus vrai ! Tu disais qu'il fallait être une femme ou un malade à l'agonie pour s’installer dans des coussins - de velours sans doute ! -, mais où l’on est secoué comme un prunier pour aller beaucoup moins vite qu’à cheval! Et je te donne raison...

— Ah ! fit le jeune homme avec satisfaction.

— Mais nous devons passer par Paris où je voudrais consulter un médecin... certainement le meilleur qui soit. Or, tu es connu dans la ville et je n’ai pas envie que l’on apprenne ton retour tant que tu seras...