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— Je ne suis pas un prétexte, déclara Lorenza en descendant de voiture, presque sur les pieds d’un majordome qu’elle ne connaissait d’ailleurs pas. Dites à ser Filippo que je suis la baronne de Courcy et que je ne bougerai de ces lieux avant de l’avoir vu malade ou pas, à l’article de la mort même si besoin est. Il vaudrait donc mieux permettre à mes gens d’entrer dans la cour.

Sa voix avait dû porter loin : Giovanetti en personne apparut à l’entrée de l’hôtel. Tout de suite, il s’empressa.

— Madonna Lorenza ! Quelle joie de vous recevoir ! La dernière fois, vous êtes partie si vite ! Et vous sembliez si mécontente !

— Je le suis encore, ne vous en déplaise ! C’est une explication franche et nette que je viens... demander (elle avait hésité un instant à employer le terme exiger, mais un peu de diplomatie lui paraissait préférable).

— Quelle que soit la raison, vous êtes et serez toujours la bienvenue... Mais est-ce que Mme de Royancourt ne descend pas ?

— Non. C’est seul à seule que nous devons parler... Et puis, elle a la migraine ! ajouta-t-elle tandis que Clarisse, un rien crispée, répondait de la tête et d’un vague sourire au salut qu’on lui adressait.

Pendant ce temps, Lorenza pénétrait dans la maison et se dirigeait d’un pas rapide vers le cabinet de l'ancien ambassadeur. Quand elle y fut, elle ne s'assit pas, resta au contraire très droite, les mains dans son manchon d'hermine, tournée vers la porte que son hôte refermait soigneusement.

Il lui parut vieilli. Son visage au teint un peu jaune était visiblement las, et sans doute était-il lui-même moins résistant. Elle n'hésita pas à en profiter.

— La Galigaï m'a dit l'autre jour que c'est sur votre ordre que Vittorio Strozzi a été assassiné. Est-ce la vérité ?

Il n'hésita même pas.

— J'ignore comment elle a pu l'apprendre mais c'est vrai. La dague au lys rouge m'appartient... ou m'appartenait !

— Pourquoi ?

— Cela coule de source, il me semble ? J'arrivais à Florence pour vous chercher et vous emmener en France et j'apprends que vous êtes sur le point de vous marier. J'ai paré au plus pressé. Pardonnez-moi... si vous pouvez !

Il s'était enfoncé dans son fauteuil et passait sur ses yeux cernés une main qui les tenait clos mais qui tremblait.

— Et, naturellement, le billet cloué par la dague avait pour but de décourager tout candidat éventuel ?

— Naturellement...

— Voilà un point d'acquis. Passons au deuxième chapitre : l'attaque contre le marquis de Sarrance ?

— C’était moi aussi. Malheureusement, l’homme a manqué son coup ! Et a même perdu la dague...

— Je sais puisque c’est dans cette damnée chambre que Bertini l’a ramassée. Ce meurtre-là aussi, c’est vous ?

— Non. Et je le regrette. Cette fois, j’aurais peut-être eu droit à votre reconnaissance en vous débarrassant d’un tortionnaire.

— Alors pour qui Bertini a-t-il travaillé ?

— Vous ne voulez pas vous asseoir ? Vous allez m’obliger à me relever et je ne vous cache pas que je suis fatigué !

Elle prit le premier siège venu et se posa sur le bord.

— Voilà ! Répondez à ma question maintenant : est-ce vous qui avez fait égorger le marquis de Sarrance ?

— Non ! Sur mon honneur ou ce qu’il en reste ! J’ignore pour qui cet homme - que je ne connais pas d’ailleurs! - a travaillé. Pourquoi pas à son propre profit ? Il paraîtrait que de l’or et des bijoux avaient disparu... Renseignez-vous plutôt du côté de Concini dont c’est l’un des fidèles qui se chargeait volontiers des sales besognes.

— « C’était » l’un des fidèles ! Vous oubliez que quelqu’un l’a tué lui aussi ainsi que sa maîtresse. Mais laissons cela pour le moment et passons à la lettre !

— Quelle lettre ?

— Je devrais dire les lettres car il y en a deux, signées de la dague au lys rouge. La première, reçue à la veille de mon mariage, spécifiait que si je passais outre à l’interdiction de prendre époux, Thomas s’attirerait le sort des deux premiers. La seconde... la voici ! dit-elle en tirant le billet de son manchon... Je précise qu’elle émanait du château de Verneuil. Si rapide qu’en eût été la délivrance, cette fois, l’un des écuyers de mon beau-père a pu suivre le messager. J’ajoute, afin de ne rien oublier, que vous étiez alors l’hôte de la marquise ainsi que Concini et le marquis de Sarrance... Alors je veux savoir qui a dépêché le messager !

Le poing de Giovanetti s’abattit sur le bois du bureau tandis que la colère rendait des couleurs à son visage.

— Encore une fois ce n’est pas moi ! J’étais là-bas - je crois vous l’avoir dit ! - pour accompagner Valeriano Campo et tâcher d’en savoir un peu plus sur la mort étrange du Roi !

— L’écriture des deux lettres est cependant la même que celle du billet retrouvé sur le corps de Vittorio Strozzi !

— Cela prouve simplement que c’était le même faussaire ! Rien qu’à Paris je pourrais vous citer cinq ou six artistes de la plume capables de reproduire n’importe quelle écriture !

— Je n’en doute pas un instant. Seulement, depuis que j’ai reçu ce misérable papier, mon époux a disparu, mort sans doute comme son ami Bois-Tracy dont on a retrouvé le cadavre ! Et je vous invite à vous joindre à moi pour admirer l’ironie du sort : ils se sont volatilisés peu après la demande que je vous ai faite de vous rendre à Bruxelles !

— D’où vous en concluez que je suis l’assassin ! Moi qui...

Il buta sur les derniers mots. En l’entendant, elle eut un petit rire cruel.

— Pourquoi vous arrêtez-vous ? Si j’en crois la Galigaï vous devriez terminer par « qui vous aime » !

— Elle vous a dit cela ?

— Mais oui ! Hormis son visage, c’est une femme qui ne cache rien de ce qu’elle pense lorsqu’on sait lui parler et elle m’a appris plus de choses que je n’en souhaitais ! Selon vous, sur ce point, a-t-elle menti ?

— Non!... Non, c’est vrai que je vous aime comme je n’aurais jamais cru pouvoir aimer un jour... Assez, en tout cas, pour vouloir votre bonheur plutôt que le mien. J’ai conscience de mon âge et savais me contenter d’une chaleureuse amitié. Que puis-je faire pour que vous me la rendiez ?

Il était au bord des larmes, si visiblement malheureux qu'elle en eut pitié.

— Livrez-moi l’assassin de mon époux et nous verrons! Je vous donne le bonsoir, ser Filippo !

Et elle rejoignit Clarisse et la voiture.

Chapitre XI.

Dans l’incertitude…

Quand, au matin, on quitta Saint-Quentin sous un rayon de soleil inattendu, le baron Hubert eut bien du mal à dissimuler son inquiétude en regardant son fils assis à ses côtés. L’avant-veille, tout à la joie de l’emmener et de constater qu’il n’avait rien perdu de son allure à cheval, il avait attribué son teint terreux à la crasse qui le recouvrait. A présent, même récuré à fond et vêtu proprement, sinon avec élégance, il conservait une mine affreuse. Le bain avait révélé sa maigreur et aussi que ses blessures mal soignées n’étaient pas belles, mais il en venait à se demander si ce grand corps ne recelait pas une maladie et qu’il était peut-être urgent d’y remédier. Il toussait parfois. Aussi le baron changea-t-il ses plans : on n’avait pas le temps de rentrer à Paris où ne se trouvait peut-être pas le médecin florentin. Il fallait agir au plus tôt et faire étape à Senlis.

Cinq ou six ans plus tôt, chassant dans la forêt avec le Roi, il était tombé de cheval, sans gravité, mais n’avait pu éviter le coup de boutoir du sanglier qui lui avait ouvert la cuisse et il avait perdu une certaine quantité de sang. Henri IV avait alors ordonné qu’on le porte chez le docteur Chancelier qui habitait près de l’abbaye Saint-Vincent et qui s’était révélé appartenir à une espèce rare à l’époque : un remarquable médecin apprécié d’ailleurs dans la région et dont le Béarnais, pour son compte personnel, avait pu constater l’efficacité.