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Clarisse, pour sa part, avait guetté la réapparition des jeunes époux. Les cernes sous les beaux yeux noirs, les mains qui avaient peine à se séparer, le bonheur plus qu’évident de Thomas la renseignèrent mieux qu’une longue confidence et si elle s’égara du côté de la chambre nuptiale que l’on n’avait pas encore eu le temps de refaire, ce fut pour achever de se convaincre, devant les traces de sang sur les draps, que Lorenza était arrivée au mariage aussi vierge qu’elle le supposait... Il ne restait plus qu’à attendre les fruits qu’une union aussi réussie ne pouvaient manquer de produire et, à cette idée, des larmes de joie lui montèrent aux yeux. Aussi se précipita-t-elle vers la chapelle, d’abord pour y cacher son émotion, ensuite pour remercier Dieu le Père, le Fils, le Saint-Esprit, Notre Dame et tous les saints d’avoir permis la réussite de ce qu’elle craignait être un désastre. Sachant d’expérience - elle avait beaucoup aimé son défunt mari -ce que pouvait être un mariage réussi, elle gardait présente à la mémoire la menaçante épître tombée comme une pierre au milieu des préparatifs de la fête. Elle se jura de veiller de près sur ce bonheur tout neuf.

Sa prière achevée sur un signe de croix et une génuflexion, elle se retourna pour sortir et découvrit alors un spectacle tout à fait inhabituel : Hubert sur un prie-Dieu, la figure dans les mains, en oraison ! Pourtant, jusqu'à ce matin, elle s’était demandé - non sans une certaine angoisse ! - s’il était encore un vrai croyant. En dehors des cérémonies obligatoires telles que les enterrements, les mariages, les baptêmes, ou les Te Deum de victoire, il ne mettait jamais les pieds dans une église, pas même dans la chapelle de son château, ce qui désespérait le père Fremyet, son chapelain... Et voilà que, ce matin, il était là ! C’était à n’y pas croire !

Elle allait repartir sur la pointe des pieds mais, quand elle fut à sa hauteur, il se signa rapidement et se leva.

— Eh oui ! Je prie ! grogna-t-il. Vous avez quelque chose contre ?

— Dieu m’en garde, Hubert, mais mon étonnement... je veux dire que vous ne nous avez pas habitués à...

— Cessez de bredouiller ! D’ailleurs, je ne priais pas : je remerciais !

Retenant un éclat de rire, elle gloussa :

— Grosse différence en effet ! Et de quoi, s’il vous plaît ?

— Ça ne vous regarde pas !

— Alors je vais vous le dire : Thomas vient de vous offrir la surprise de votre vie ! Certes, c’est un beau garçon, bien bâti, aimant la vie et les femmes tout à fait normalement, mais vous ne le croyiez pas capable de faire - en une seule nuit et encore pas bien longue ! - de la semi-désespérée d'hier la jeune femme rayonnante de bonheur que nous venons de voir. Hier, elle épousait par amitié et par reconnaissance. Peut-être aussi par un besoin de protection compréhensible mais, ce matin, elle se retrouve aussi amoureuse de lui qu'il l’est d'elle. Ce ne sont plus des jeunes mariés mais bel et bien un couple d’amants ! N'ai-je pas raison ?

— Si ! Il faut croire que Thomas est un maître en amour et je serais curieux de savoir comment il s’y est pris.

— Ce n'est plus de votre âge ! Mais au cas où vous garderiez une incertitude sur le passé peu ordinaire de Lorenza, je suis en mesure de vous rassurer : elle était vierge ! Sans le moindre doute possible !

Il exhala un soupir de soulagement.

— J'avoue que vous m'enlevez un sacré poids ! J'avais quelque peine à croire que ce vieux bouc de Sarrance n'ait pas réussi à la soumettre ! Il était fort comme un Turc en dépit de sa taille ! Sans compter le mystérieux correspondant d'avant-hier dont le ton était celui d'un propriétaire !

— Non. S’il en avait été ainsi, Lorenza aurait cherché de nouveau cette mort qui n’avait pas voulu d’elle une première fois et à laquelle Thomas l’avait arrachée ! J'en suis certaine !

— Allons la rejoindre ! La journée va lui paraître interminable... tout comme à nous !

Et elle le fut en effet ! Tandis que le château était livré au grand ménage rendu nécessaire par les réjouissances de la veille, le baron chercha refuge dans son orangerie. Mme de Royancourt se rendit à Chantilly pour bavarder un peu avec Diane d’Angoulême. Quant à Lorenza, elle alla d’abord à la chapelle afin de rendre grâce pour ce bonheur qu’on lui avait accordé et qu’elle n’aurait jamais cru possible... En abandonnant, hier, sa main à celle de Thomas, elle pensait seulement rester fidèle à la promesse qu’elle lui avait faite de ne pas se marchander. Elle était décidée à se donner parce qu’elle avait de l’affection pour lui, parce qu’elle jugeait qu’il l’avait mérité. Mais ce n’est pas sans une vague inquiétude qu’elle avait attendu sa venue. Après tout, les hommes sont tous faits du même bois et les gestes de l’amour ne pouvaient que se ressembler ! Il fallait s’y résigner si elle voulait éviter de lui faire de la peine. Et puis...

Et puis le miracle s’était produit dès l’instant où ses mains puissantes mais si douces s’étaient posées sur sa peau que ses lèvres avaient caressée... Eperdue, le cœur lui battant sourdement dans la poitrine, elle n’avait plus songé à rien sinon à s’offrir encore et encore, à s'ouvrir plus largement à l’accomplissement final qu'il avait su lui faire désirer. Il avait joué de son corps comme d'un instrument de musique, en tirant des sensations inouïes, si affolantes qu'elle s'était entendue haleter :

— Viens !... Oh, viens !

— Il ne faut pas aller trop vite, avait-il murmuré contre sa bouche. Tu es si jeune... si neuve ! Je vais te faire mal...

— Tant mieux !... Je veux... être à toi !

Dût-elle vivre cent ans, elle n’oublierait jamais l’instant où, d’un coup de reins, il était entré en elle. La brûlure du déchirement s’était perdue dans cette joie inattendue qu’elle avait éprouvée quand elle sentit qu’elle ne faisait plus qu’une seule chair avec lui. Trois fois encore, il l’avait possédée jusqu’à ce que le sommeil les emporte au même instant, si étroitement enlacés l’un à l’autre qu’au réveil ils avaient recommencé à s’aimer. Mais ensuite, la laissant se rendormir, Thomas était allé s’arroser copieusement d’eau froide afin de se retrouver prêt à rejoindre Bellegarde.

Elle eut soudain un peu honte d’évoquer, au pied d’un autel, les heures brûlantes de cette nuit d’amour, mais quand le prêtre qui les avait unis s’approcha d’elle pour lui demander si elle voulait se confesser, elle se conduisit d’une façon fort répréhensible en éclatant de rire.

— Me confesser ? De quoi, Seigneur ? De nous être aimés éperdument, Thomas et moi ? Ne nous y avez-vous pas incités en bénissant notre mariage ?

— Je vous ai invités à procréer sous le regard de Dieu. Au-delà de cette perspective, ma fille, il ne faut pas tomber dans la luxure... qui est un grave péché !

Elle le considéra de ses grands yeux noirs devenus immenses.

— J’aimerais savoir où commence le péché.

Il fronça les sourcils et sa bouche se resserra jusqu’à ne plus former qu’une mince ligne méprisante.

— J’ai manqué à mon devoir, hier, en ne vous conseillant pas les nuits de Tobie par lesquelles devrait commencer toute union chrétienne...

—  Les nuits de Tobie ? Qu’est-ce ?

— Un couple soucieux de plaire au Seigneur se doit de consacrer à la prière les trois premières nuits de leur union ! A la prière seule ! précisa-t-il en levant vers la voûte un doigt autoritaire. Ensuite seulement on peut laisser parler la chair... mais jusqu'à un certain point !

— Lequel ? murmura Lorenza, de plus en plus abasourdie.

— Lorsque la femme a reçu la semence, elle et son époux doivent se séparer pour prendre du repos mais non sans avoir au préalable prié Dieu de bénir cette étreinte afin qu’elle porte son fruit !