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A mesure que le chemin défilait, sa colère enflait. On n’allait pas en rester là ! Et surtout pas s’installer dans un fauteuil pour déverser des torrents de larmes. Si haut placé que soit celui qui avait osé s’emparer de son fils, il le paierait de sa vie. Le temps de délivrer sa terrible nouvelle au château et il se mettrait en chasse. Et ce carrosse trop douillet qui n’avançait pas !...

Il le fit arrêter, ordonna à l’un de ses hommes de lui céder son cheval, l’enfourcha et partit au triple galop tandis que le cavalier démonté prenait sa place dans la voiture, étalant une mine réjouie qui hérissa le cocher.

— Si tu t’imagines que tu vas pouvoir te prélasser, lança-t-il fort mécontent, tu vas déchanter ! Cramponne-toi bien, mon bonhomme, ça va secouer ! On ne va pas laisser Monsieur le baron arriver avant nous !

Le fouet claqua. L’attelage repartit à fond de train, encouragé par la voix du cocher debout tel un aurige grec menant son char. La voiture se mit alors à danser comme une barque dans la tempête. Seuls deux des gardes l’escortèrent : les autres étaient déjà partis sur les traces du baron.

En arrivant à Courcy avec un bon quart d’heure d’avance, Hubert fut tellement surpris qu’en sautant à terre, il faillit s’étaler sur le perron. Il n’y avait pas de lumières, pas de fleurs, pas d’habits de cérémonie mais un épais silence à peine troublé par les voix des serviteurs qui, massés à un bout de l’immense vestibule, chuchotaient entre eux.

— Mais enfin ! Tonna-t-il. Qu’est-ce qui se passe ici ?

Il avait à peine fini de parler que sa sœur, le visage défait, accourait se précipiter dans ses bras.

— Lorie ! Hoqueta-t-elle. Lorie est partie !

Il la détacha de lui pour la tenir à bout de bras et mieux la voir.

— Partie ?... Ça veut dire quoi ?

— Pas de son plein gré, évidemment ! J’aurais dû dire qu’elle a été enlevée...

— Enlevée par qui ? Comment ?

— Par qui ? On n’en sait toujours rien ! s’écria-t-elle soudain furieuse. Comment ?... Vous n’avez qu’à lire ça ! Où est Thomas ?

— Enlevé, lui aussi ! Par un certain Vitry qui s’est annoncé comme son cousin et son meilleur ami... et qu’il a suivi en toute innocence puisque aucun visage ne s'inscrit dans sa mémoire. Voyons la lettre et venez par ici ! On ne va pas rester là et vous avez besoin de vous remettre !

— Oh moi, c’est sans importance ! Lisez plutôt !

— Encore cette foutue dague!... Tonnerre de Dieu ! C'est une conspiration !...

Et il se mit à lire à haute voix :

« Tu n’as pas voulu m’obéir, aussi vas-tu recevoir à présent ta punition ! Si tu veux revoir vivante la pauvre loque qu’est devenu ton mari, tu dois exécuter mes ordres à la lettre. Tu vas sortir du château seule, habillée comme lorsque tu te promènes à pied. Tu iras ainsi jusqu’à la lisière des bois et tu continueras ton chemin. Quiconque tenterait de te suivre serait abattu, même ceux du château s’ils étaient derrière toi. Nous sommes nombreux et nous tirons juste ! Tu pénétreras dans le bois où tu es attendue. Toute désobéissance de ta part ou de celle d’un tiers signerait la mort de Thomas. Et une mort assez cruelle pour qu’il implore longuement sa venue...

« Hâte-toi ! Je te donne dix minutes pour apparaître sur le chemin de l’étang. Je vais savourer cet instant où tu vas venir vers ton destin comme, un peu plus tard, celui où, de toi-même, tu viendras t’offrir à moi ! »

A mesure qu’il lisait, la voix d’Hubert baissait. Il mâchait les mots jusqu’à ce qu’ils ne fussent plus qu’une sorte de grondement qui explosa sur le dernier.

— Par tous les diables de l’enfer ! J’arracherai la peau de ce monstre pouce par pouce ! Depuis quand Lorie est-elle partie ?

— Une heure environ. Que comptez-vous faire !

— Les retrouver ! Et pour cela interroger ce beau « monsignore » qui a lâchement livré mon fils !

— L’évêque de Luçon ? Vous êtes fou ! s’écria Clarisse. Où êtes-vous allé chercher pareille idée ?

— Tout simplement dans mon petit cerveau. Il est seul avec ceux de la maison à savoir où Thomas était soigné. Et vous voyez le résultat ?

— Mais pourquoi aurait-il fait cela ?

— Pour plaire à son cher Concini, voyons ! La Cour, le Roi, la Reine, tout le monde est en route vers l’Espagne. Il est le maître à Paris !

— Le Florentin et sa femme sont partis avec eux sans doute.

— Ce serait étonnant. L’amant de la Médicis au mariage de son fils ? Les Espagnols n'apprécieraient pas !

— On dit qu’il est à leur solde depuis longtemps !

— A plus forte raison si vous ajoutez les crises « démoniaques » de sa moitié ! Non, je suis persuadé qu’il est là et son évêque avec lui. En attendant, qu’on m’appelle Flagy avec des chevaux frais !

— Il n’est pas ici ! Pendant que Lorenza se dirigeait vers son bourreau, je l’ai fait sortir du château par le souterrain accompagné de quelques hommes. Dans l’espoir qu’il pourrait apercevoir quelque chose... et peut-être dépister des traces. Rappelez-vous que c’est un remarquable chasseur !

Sidéré, Hubert dévisagea sa sœur comme s'il la voyait pour la première fois.

— Ma parole, il vous arrive d’avoir du génie ?

— Je suis votre sœur, Hubert ! A ceci près que |e réfléchis davantage.

— Mais... des chevaux ?

— Ils sont trois. Ceux de la ferme devraient suffire...

Tandis que, enveloppée d’une épaisse mante à l’épreuve de la pluie, elle avançait sans hâte sur le chemin tant de fois parcouru qui longeait l’étang, Lorenza se sentait étrangement calme. Naturellement courageuse, elle ne redoutait ce qui allait venir que pour Thomas, plus malade peut-être qu’on ne le lui avait dit et que l’ennemi, si soigneusement caché, voulait faire souffrir, mais ce ne serait qu’un mauvais moment à passer pour l'un comme pour l’autre puisqu’elle ne lui survivrait pas. Dans quelques heures, tout serait terminé et peut-être aussi pour celui qu'elle appelait l’ennemi sans visage. Dans les plis de sa robe, elle sentait le poids rassurant de la dague dont, ce matin encore, elle avait vérifié le double fil. La belle arme n'était-elle pas, à elle seule, l’instrument de la vengeance et la clef de la vie éternelle ?

Prétendre qu’elle n’emportait pas des regrets serait faux et c’est pourquoi pas une seule fois elle ne se retourna vers son beau Courcy, ce château de rêve où elle avait connu les heures les plus merveilleuses de sa vie. Le temps écoulé n’avait pas réussi à en atténuer la saveur, l’ardente griserie coupée d’instants si doux. Cela, le misérable qui l’attendait au bout du chemin ne pourrait jamais le lui enlever, même s’il parvenait à obtenir ce qu’il convoitait depuis si longtemps : son corps qu’il voulait asservir. Mais elle le vendrait d’autant plus cher qu'elle était décidée à frapper la première, dès la minute où elle se trouverait en sa présence. A quoi bon des paroles dans ce genre de situation ? L'individu, quel qu'il soit, n’était rien d’autre qu’un criminel pervers qui ne méritait pas de vivre.

Une seule satisfaction - si l’on pouvait appeler cela ainsi !-, dans la situation où elle se trouvait : elle allait pouvoir mettre un nom sur le visage de son adversaire. Tout au moins avoir une certitude car, à force d'y penser, elle en était venue à s'en douter encore qu'elle hésitât entre deux hypothèses...

A présent, la lisière du bois était devant elle. Avant d'y pénétrer, elle envoya une pensée pleine de tendresse à ceux qui étaient devenus ses chers parents : Clarisse et Hubert ! Dans un laps de temps incertain, ils n’auraient plus d’enfants du tout ! Et pourtant ils avaient le cœur assez grand pour l’avoir aimée, elle par qui le malheur était entré chez eux !