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— Je vais me débrouiller. Rien d’autre ?

— Il me faudrait également une voiture avec un chauffeur très expérimenté ; d’après ce que j’ai pu voir, conduire dans cette ville c’est pas de la tarte.

— Je vais mettre à votre disposition l’un de mes deux chauffeurs de fonction, Kariff ; il est malin et parle convenablement le français.

Je proteste pour la forme : « Je ne voudrais pas abu-ser ; c’est trop ; je ne sais comment, nani nanère », paroles de San-Antonio sur une musique de Wolfgang Amadeus Mozart.

— Je ne vous invite pas à dîner ce soir, vous êtes trop fourbus. Vous allez dormir ?

— Non, dis-je, j’ai trop à faire.

Sans savoir réellement ce que j’ai à faire !

Nous raccompagnons son Excellence en bas. Il me présente ses deux petits coopérants si coopératifs. Des garçons bien de chez nous, qui se marrent en tranches de pastèque. Je leur exprime ma satisfaction.

— Votre bonhomme vient de descendre, me disent-ils ; il est en train de prendre le thé avec sa nana.

Ils me désignent un salon vitré. Effectivement, je renouche l’ami Lucien, près d’une colonne. Sa pétasse, ô pardon ! C’est pas du laissé-pour-compte, du lot à réclamer ! Une vraie couvrante de journal de mode. Décarpiller une nière de ce style, déjà c’est le pied géant assuré ! L’azur dans le kangourou ! Quand tu vois le dessus, t’imagines les dessous. Tout ce froufrou bordélique ! Un enveloppe-cul arachnéen, bordé de dentelle noire, j’espère ! La moufette délicate, très présente sous l’étoffe légère, avec sa mignonne frisure blonde, ses exquises lèvres faites pour l’amour (et non pour la moue). O Seigneur, que de joyaux, en ce bas monde ! Le pur régal permanent.

Je voyais l’autre jour, à la « Caméra cachée », Rich, le comédien qui s’approchait des dames, dans la rue, leur demandait poliment si elles voulaient bien aller tirer un petit coup avec lui. L’expression d’un de mes rêves. Des années et des années que j’ai écrit la chose, comme quoi fallait arrêter de bêcher, passer outre les simagrées. Y aller franco, quand la digue te biche. Tu vois une frangine qui te fait monter en asperge, tu lui proposes la botte, tout franchement, en camarade.

Ça m’est arrivé, d’ailleurs. J’en ai allongé, des sœurs, de cette manière très soudaine. Elles apercevaient mon chibre dans mes prunelles. Comprenaient que ça pouvait donner un moment exceptionnel. Cédaient sans rechignages hypocrites. Le grand embrasement sensoriel ! Feu occulte ! Feu au cul ! C’est pas nous qui avons inventé le jeu, mais le bon Dieu. Lui, espère, Il est d’accord. Mais y a l’armada pisse-froide, les guetteurs au trou ! Les foutriques de toute nature, mal pensants, mal bandants, mal dans leur peau ! Les cons de nature, quoi ! Faits en matière conne, avec des idées torves, des préjugés déliquescents.

Moi, la gonzesse à Lassale-Lathuile, elle me flanque des secousses simiesques (comme dit Béru) dans le calbute. Les heures d’avion m’ont attisé la nervouze. Dix-sept plombes à trémousser dans un fauteuil, à somnoler, à bouffer des mets à la con, à picoler comme un perdu pour user ce long temps mort, ça te file une godance infernale. Le premier prose à portée, je tire un penalty !

— Belle femme, n’est-ce pas ? sourit Delagrosse qui ne doit pas cracher sur une chatte, sauf pour faciliter la pénétration de son goumi fantasque.

— Après vous s’il en reste, je ricane.

On se prend congé, l’Excellence et nous.

— A bientôt !

— A très vite !

— Merci encore !

— Y a Pasqua !

Les deux petits coopérants peuvent s’évacuer également : si on a besoin d’un autre coup de main, on les préviendra ! Notre beau monde se trisse. Jérémie bâille.

— T’as sommeil, Bronzé ?

— J’attendrai la nuit d’ici ! assure le Suédois en négatif.

— Bon, je monte dans la chambre du couple pour une exploration express. Leur piaule, c’est le 2062 ; si d’aventure tu les vois rabattre sur les ascenseurs après le thé, téléphone-moi depuis l’un des postes destinés aux communications intérieures, il y en a un peu partout.

En quelques secondes je parviens devant l’apparte de mon contrôleur. Manche que je suis ! J’ai oublié que les lourdes s’ouvrent avec des cartes magnétiques. Alors là, je suis piqué ! Va falloir réviser mon sésame. L’adapter aux circonstances modernes. Si je n’étais pas brouillé avec Mathias, le damné Rouquemoute, promu chef du labo, je lui demanderais de mettre au point un bidule adéquat. Mais ce sale con, j’aimerais mieux crever avec la gueule et l’oignon pleins de piments rouges plutôt que de lui demander un service !

Juste que je vais renoncer, je perçois un glissement. C’est un serveur qui renouvelle les fruits dans les chambres. Il pousse un chariot aux roues caoutchoutées.

Je fais mine d’explorer mes vagues, puis je m’adresse à lui en anglais :

— J’ai oublié ma fiche magnétique à l’intérieur, vous pouvez m’ouvrir ?

Je lui montre rapidos la brème d’hôtel qui m’a été remise, sans lui laisser le temps d’en lire le numéro. Puis je tire un billet vert de mon gousset. Cinq dollars ! Je me fous pas de sa gueule !

Le gusman moule sa charrette fantôme et me dépone la lourde avec une complaisance ponctuée d’un de ces sourires dont les Asiatiques ont le secret.

Plouf ! Adios, Mister Lincoln ! Une tape complémentaire dans le dos du serveur (large d’une quinzaine de centimètres) et je pénètre chez Lassale-Lathuile.

Son territoire est beaucoup plus restreint que le mien, puisqu’il ne se compose que d’une entrée, d’une grande chambre et d’une salle de bains.

Je vais droit aux tables de chevet ! Des médicaments, de l’argent français (peu), des clés (également made in France), des billets d’avion (leur retour pour Paris prévu pour le 24, alors que nous sommes le 12). Deux livres : Orange amère, de Didier Van Cauwelaert (de l’Académie française par contumace), et Le démon de Minuit, d’Hervé Bazin (de l’Académie Goncourt par vocation), ce qui indique que les occupants du 2062 ont bon goût.

Sur ma lancée, je fonce à la penderie. La dame dispose d’une somptueuse garde-robe que je vais pas t’énumérer ici. Lucien, lui, a une fringuerie plus réduite, mais de bon ton (ou de bon thon, comme disent les morues).

Avisant leurs valoches empilées, je me hâte de les explorer, bien — qu’elles soient censées être vides. Mais juste comme je déboucle la première, le bigophone retentit. Va falloir me remuer le fion : sûr et certain qu’ils se pointent, les deux tourtereaux. Un réflexe m’amène à décrocher. Je n’obtiens pas l’organe chaleureux de Jérémie, mais une voix de femme, probablement indonésienne, qui lance en nasillant (et en anglais, ce qui n’est pas incompatible) :

— Hello, Louchien ? (pour Lucien).

— Yes ?

— I’m Loly !

— Hello, Loly !

— Juste pour vous dire que votre voyage est arrangé : vous partirez un jour plus tôt.

— C’est-à-dire ?

— C’est-à-dire lundi prochain au lieu de mardi.

— O.K. !

— On vous a livré l’objet ?

— Ce matin, fais-je, très inspiré.

— Parfait. Je vous fais porter vos billets et la réservation d’hôtel.

— Magnifique !

— So long !

— A bientôt !

On raccroche.

Je retourne aux valises. La seconde me semble lourde.

Elle contient effectivement un gros paquet. Il a été défait, puis refait sommairement, sans qu’on renoue la ficelle. Il contient une arbalète ancienne de toute beauté, dont la ferrure est damasquinée et le fût taillé dans un bois précieux sculpté sur les parties latérales. La corde figure encore et me semble avoir été confectionnée avec du boyau de chat, comme le cordage des bonnes raquettes.