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«Près de paraître devant Dieu, je déclare que seul et sans complices j’ai empoisonné Sauvresy et tué la comtesse de Trémorel ma femme.»

Quand il eut signé et daté, Laurence ouvrit un des tiroirs du bureau où se trouvaient des pistolets. Hector en saisit un, elle s’empara de l’autre.

Mais comme à l’hôtel autrefois, comme dans la chambre de Sauvresy mourant, Trémorel, au moment d’appuyer l’arme sur son front, sentit le cœur lui manquer. Il était livide, ses dents claquaient, il tremblait au point qu’il faillit laisser échapper le pistolet.

– Laurence, balbutia-t-il, ma bien-aimée, que vas-tu devenir?…

– Moi! j’ai juré que partout et toujours je vous suivrais. Comprenez-vous?

– Ah! c’est horrible, dit-il encore. Ce n’est pas moi qui ai empoisonné Sauvresy, c’est elle, il y a des preuves; peut-être qu’avec un bon avocat…

M. Lecoq ne perdait ni un mot, ni un geste de cette scène poignante. Volontairement ou involontairement, qui sait? il poussa la porte qui fît du bruit.

Laurence crut que cette porte s’ouvrait, que l’agent revenait, qu’Hector allait tomber vivant aux mains de la police…

– Misérable lâche! s’écria-t-elle en l’ajustant, tire ou sinon…

Il hésitait, le bruit se renouvela, elle fit feu. Trémorel tomba mort.

D’un geste rapide, Laurence ramassa l’autre pistolet et déjà elle le tournait contre elle, quand M. Lecoq bondit jusqu’à elle et lui arracha l’arme des mains.

– Malheureuse! s’écria-t-il, que voulez-vous?

– Mourir. Est-ce que je puis vivre, maintenant?

– Oui, vous pouvez vivre, répondit l’agent de la Sûreté, et je dirai plus, vous devez vivre.

– Je suis une fille perdue…

– Non. Vous êtes une pauvre enfant séduite par un misérable. Vous êtes bien coupable, dites-vous, soit, vivez pour expier. Les grandes douleurs comme la vôtre ont leur mission en ce monde, mission de dévouement et de charité. Vivez, et le bien que vous ferez vous rattachera à la vie. Vous avez cédé aux trompeuses promesses d’un scélérat, souvenez-vous, quand vous serez riche, qu’il y a de pauvres filles honnêtes, forcées de se vendre pour un morceau de pain. Allez à ces malheureuses, arrachez-les à la débauche, et leur honneur sera le vôtre.

M. Lecoq observait Laurence tout en parlant, et il s’aperçut qu’il la touchait. Pourtant ses yeux restaient secs et avaient un éclat inquiétant.

– D’ailleurs, reprit-il, votre vie n’est pas à vous, vous êtes mère.

– Eh! répondit-elle, c’est pour mon enfant qu’il faut que je meure maintenant, si je ne veux pas mourir de honte quand il me demandera qui est son père…

– Vous lui répondrez, madame, en lui montrant un honnête homme, en lui montrant un vieil ami, M. Plantat, qui est prêt à lui donner son nom.

Le vieux juge de paix était mourant; pourtant, il eut encore la force de dire:

– Laurence, ma fille bien-aimée, je vous en conjure, acceptez…

Ces simples mots, prononcés avec une douceur infinie, attendrirent enfin la malheureuse jeune fille et la décidèrent. Elle fondit en larmes, elle était sauvée.

M. Lecoq aussitôt, s’empressa de jeter sur les épaules de Laurence un châle qu’il avait aperçu sur un meuble, et passant le bras de la jeune fille sous celui du père Plantat:

– Partez, dit-il au vieux juge de paix, emmenez-la; mes hommes ont ordre de vous laisser passer, et Pâlot vous cédera sa voiture.

– Mais où aller?

– À Orcival, M. Courtois est informé par une lettre de moi que sa fille est vivante, et il l’attend. Allez! allez!

Resté seul, ayant entendu le roulement de la voiture qui emmenait Laurence et le père Plantat, l’agent de la Sûreté vint se placer devant le cadavre de Trémorel.

«Voilà, se disait-il, un misérable que j’ai tué au lieu de l’arrêter et de le livrer à la justice. En avais-je le droit? Non, mais ma conscience ne me reproche rien, c’est donc que j’ai bien agi.»

Et courant à l’escalier, il appela ses hommes.

28

Le lendemain même de la mort de Trémorel, La Ripaille et Guespin étaient remis en liberté, et recevaient, l’un quatre mille francs pour s’acheter un bateau et des filets à mailles réglementaires, l’autre dix mille francs, avec promesse de pareille somme au bout d’un an, s’il allait s’établir dans son pays.

Quinze jours plus tard, à la grande surprise des badauds d’Orcival, qui n’ont jamais su le fin mot de l’histoire, le père Plantat épousait Mlle Laurence Courtois et, le soir même, les nouveaux époux partaient pour l’Italie en annonçant qu’ils y resteraient au moins un an.

Quant au père Courtois, il vient de mettre en vente son beau domaine d’Orcival, il se propose de s’établir dans le midi, et est en quête d’une commune ayant besoin d’un bon maire.

Comme tout le monde, M. Lecoq aurait oublié cette affaire du Valfeuillu restée fort obscure dans le public, n’était que l’autre matin un notaire est venu de sa personne lui apporter une lettre bien gracieuse de Laurence et un gros cahier de papier timbré.

Ces paperasses n’étaient autres que les titres de propriété de la jolie habitation du père Plantat à Orcival, «telle qu’elle se poursuit et comporte, avec meubles meublants, écurie, remise, jardin, dépendances diverses», et quelques arpents de prés aux environs.

– Ô prodige! s’écria M. Lecoq, je n’ai pas obligé des ingrats! Pour la rareté du fait, je consens à devenir propriétaire.

(1867)